Le héros broyé par une vilaine machine
On se souvient de l’ouverture des Jeux olympiques de 1996 aux Etats-Unis à cause de l’image impressionnante de Mohamed Ali, ex-Cassius Clay, allumant la flamme dans la nuit d’Atlanta. La légende de la boxe est alors un grand gaillard vacillant et tremblant qui révèle au monde entier qu’il est atteint de la maladie de Parkinson…
On se souvient aussi qu’à cette Olympiade-là, Marie-Jo Perec, notre « Gazelle » française, réussit le doublé 200-400 mètres, conservant aussi sa médaille d’or sur le tour de piste conquise à Barcelone en 1992.
Ce dont on se souvient moins, c’est que ces J.O. ont été marqués, dans la nuit du 26 au 27 juillet, par une violente explosion dans le parc du Centenaire qui fera deux morts et 111 blessés. Avec Le cas Richard Jewell, Clint Eastwood se penche sur la trajectoire d’un agent de sécurité qui sera considéré comme un héros national parce qu’il a donné l’alerte et permis de largement faire évacuer la zone. Mais trois jours après l’attentat, Jewell est suspecté par le FBI d’être le poseur de la bombe…
On devine aisément que l’histoire vraie de Jewell a intéressé le vétéran d’Hollywood dans la mesure où elle aborde des thèmes que le cinéaste de 89 ans apprécie, ainsi la justice, les luttes de pouvoir et plus encore la relation –forcément douloureuse- que tisse un individu isolé avec le reste de la communauté, volontiers dangereuse ou, au moins, malveillante.
Après Le 15h17 pour Paris sur la courageuse attitude de trois jeunes touristes américains en voyage à travers l’Europe qui réussiront, en 2015, à neutraliser un terroriste djihadiste dans le Thalys à destination de Paris puis La mule, également sorti sur les écrans en 2018, qui évoque l’histoire d’Earl Stone (incarné par Eastwood lui-même) ancien vétéran de Corée devenu passeur de drogue pour un cartel mexicain, le metteur en scène s’empare encore d’une histoire vraie. Il signe ainsi le portrait d’un Américain moyen qui respecte, presqu’aveuglement, l’autorité et qui a toujours rêvé de servir son pays sous l’uniforme de la police. Las, personne, à part sa mère Bobi, n’a jamais pris Richard Jewell au sérieux. Et personne ne lui a jamais témoigné de respect.
Richard Jewell, disparu en 2007, c’est le gros lard ou le bonhomme Michelin, le teint rougeaud, la nuque épaisse, qui doit se contenter de faire le vigile sur le campus d’une université et qui, évidemment, en fait trop dans son souci de faire respecter la loi et l’ordre. Lorsqu’il est embauché comme vigile par le comité d’organisation des Jeux Olympiques, il est, une fois encore, décidé à donner le meilleur de lui-même, même s’il s’agit simplement de distribuer de l’eau à une femme enceinte ou de disperser quelques étudiants trop imbibés. Mais ce faisant, Richard Jewell va découvrir une bombe artisanale cachée dans un sac à dos sous un banc du Centennial Park…
Si la bombe fait des victimes, l’attitude de Richard Jewell le transforme quasiment instantanément en héros médiatique. Les flashs crépitent, les caméras tournent, les micros se tendent, un éditeur, déjà, propose un contrat pour un livre sur l’aventure de ce solitaire mal dans sa peau soudain projeté dans la lumière… Cependant Jewell va découvrir que la roche Tarpéienne est proche du Capitole. Et si ce solitaire avait lui-même placé la bombe, histoire de sortir d’une ombre trop pesante ? C’est la thèse que le FBI va défendre avec un inquiétant acharnement. Tandis que les médias se déchaînent, Jewell est happé par une machine infernale qui va s’appliquer à consciencieusement le broyer…
« On entend souvent parler, précise Clint Eastwood, de gens puissants qui se font accuser de choses et d’autres, mais ils ont de l’argent, ils font appel à un bon avocat et échappent aux poursuites. L’histoire de Richard Jewell m’a intéressé parce que c’était quelqu’un de normal, un monsieur tout-le-monde. Il n’a jamais été poursuivi, mais il a été largement persécuté. Les gens se sont empressés de l’accuser ; il n’a pas pu échapper à ces accusations et pendant longtemps il est resté trop naïf et idéaliste pour se rendre compte qu’il devait sauver sa peau. C’est pour cela que je voulais faire ce film, pour réhabiliter l’honneur de Richard. C’est un homme comme les autres, qui aspirait à devenir policier avant tout pour contribuer au progrès de l’humanité. Le jour où il a commis un acte héroïque, il l’a payé au prix fort et a été jeté en pâture aux lions… »
Pour s’arracher au cauchemar –Jewell est uniquement soutenu par sa mère (Kathy Bates)-, le vigile pourra compter sur un défenseur, sans doute aussi marginal que lui… Avocat sans beaucoup de clients mais au caractère bien trempé, Watson Bryant va s’appliquer plus à coacher Jewell qu’à véritablement le défendre. Car, si le FBI est constamment sur le dos du suspect n°1, les preuves manquent quand même singulièrement. Et le cinéaste glisse, dans la bouche de Nadya, la secrétaire de Bryant venue d’Europe de l’Est, cette réplique savoureuse : « Dans mon pays, quand le gouvernement accuse quelqu’un, on sait qu’il est innocent… »
De fait, si les méthodes du FBI pour piéger Jewell sont assez douteuses et relèvent de la manipulation, Eastwood n’y va pas avec le dos de la cuillère dans sa description du comportement des médias. Incarnation de l’acharnement médiatique sauvage, la reporter Kathy Scruggs (Olivia Wilde) relève quasiment de la caricature. La façon dont elle empoigne la… braguette de l’agent Shaw du FBI pour obtenir des infos vaut son pesant de cacahuètes. Et son entrée triomphale dans la rédaction de l’Atlanta Journal aussi…
Tout cela est un peu too much mais le réalisateur d’Impitoyable ou Sur la route de Madison sait raconter une histoire et le prouve dans ce Richard Jewell qui n’a pas cependant été un succès dans les salles américaines. Son évocation du Centennial Park en fête est palpitante alors que l’explosion menace. Surtout, il tient avec Jewell et Bryant deux solides personnages emportés dans un sacré chaos. L’excellent Sam Rockwell (l’agent fruste de Three Billboards ou le capitaine Klenzendorf de Jojo Rabbit) campe un avocat volontiers ricaneur mais qui croit à l’innocence de son client. Quant à Paul Walter Hauser, découvert en 2017 dans Moi, Tonya, il est épatant en fils à sa maman qui se bourre de hamburgers et de donuts, qui possède un arsenal chez lui (« Nous sommes en Géorgie », dit-il simplement à Bryant éberlué) mais qui croit, dur comme fer, à l’autorité alors même qu’elle le persécute…
LE CAS RICHARD JEWELL Drame (USA – 2h 11) de Clint Eastwood avec Paul Walter Hauser, Sam Rochwell, Jon Hamm, Kathy Bates, Olivia Wilde, Nina Arianda, Ian Gomez, Brandon Walker, Charles Green. Dans les salles le 19 février.