Le petit Jojo, la gentille Elsa et le Führer en délire
Avoir un ami imaginaire qui a la petite moustache d’Adolf et la mèche d’Hitler n’est pas une mince affaire ! C’est pourtant bien ce qui arrive à Jojo Betzler, gamin d’une dizaine d’années qui vit, avec sa mère dans la petite ville allemande fictive de Falkenheim à quelques semaines de la fin de la Seconde Guerre mondiale…
Régulièrement, débarque chez lui un Führer que lui seul peut voir et qui lui distille de « bons » conseils et lui remonte le moral : « Jojo, aujourd’hui, tu rejoins les rangs des Jeunesses hitlériennes…. Tu es au sommet de la forme mentale et physique. Tu as le corps d’une panthère et l’esprit… d’une panthère intelligente. Tu es un brillant exemple de perfection. »
Charmant blondinet dont la dévotion à Hitler est absolue, Jojo est la tête de turc de ses copains du Jungvolk. C’est donc un peu à reculons que Jojo, même s’il croit à la réussite du Reich de 1000 ans, rejoint les Jeunesses hitlériennes où le capitaine Klenzendorf, vétéran borgne, prépare les gamins à être des hommes et des femmes capables de partir en guerre, la fleur au fusil… C’est là que Jojo récupère d’ailleurs son sobriquet de Rabbit parce qu’il n’a pas osé tordre le cou d’un petit lapin pour montrer sa capacité à tuer…
À travers les yeux d’un enfant, Jojo Rabbit pose un regard drôle et incisif mais aussi émouvant, sur une société devenue ivre d’intolérance. D’emblée, le cinéaste (qui adapte, ici, le livre Le ciel en cage de Christine Leurens paru en 2004) évoque, avec des images d’archives, les impressionnantes manifestations de masse où des foules hystériques hurlent, le bras tendu, leur amour pour Hitler. Mais on dresse l’oreille et on reconnaît, courant sur ces images, I Want to Hold your Hand (en version allemande) des Beatles. Assimiler l’hystérie nazie à la… Beatlemania, il fallait oser !
Taika Waititi a délibérement décidé de passer le Mal et l’épouvante qu’il génère à la moulinette de l’humour le plus débridé… Comme le disait Mel Brooks « Si on peut réduire Hitler a quelque chose de risible, alors nous avons gagné ». En équilibre sur le fil de la comédie, Waititi conjugue avec brio la fureur de la satire avec l’espoir éternellement vivace que l’on peut vaincre le fanatisme et la haine…
Faisant donc le pari de ridiculiser une idéologie nauséabonde qui, malheureusement, n’a toujours pas rendu l’âme, l’enfant chéri du cinéma néo-zélandais s‘inscrit dans une brillante et fulgurante tradition. Avec Jojo Rabbit, il marche dans les traces du Chaplin du Dictateur, du Lubitsch de To Be Or Not To Be, du Mel Brooks des Producteurs ou du Tarantino de Inglourious Basterds…
S’inspirant de son propre héritage juif et des préjugés qui l’entouraient quand il était lui-même enfant, Taika Waititi (dont la mère est juive et le père maori) s’élève vigoureusement contre la haine avec une histoire presque trop épouvantable pour être abordée avec sobriété et solennité… Cependant, le ton résolument burlesque qui préside d’entrée à Jojo Rabbit va petit à petit laisser la place à un conte plus sombre mais toujours captivant. Car Jojo découvre, effrayé, que sa mère Rosie a caché, dans une soupente de leur maison, la jeune Elsa… Et Elsa est juive ! De quoi mettre Hitler en transe ! Mais Elsa prévient : « Nous serons tous morts si tu dis un seul mot sur moi. Un seul mot… et je rendrai service au monde entier en te coupant ta tête de nazi. Pigé ? » Ce sera inutile car, en présence de cette jeune fille qui fait immanquablement penser à Anne Frank, Jojo a des papillons dans le ventre. Le voilà amoureux mais troublé : « Juste deux choses. Premièrement : c’est illégal pour les nazis et les Juifs de traîner ensemble comme on le fait, et encore plus de s’embrasser, donc c’est déjà hors de question. Et deuxièmement : ce serait juste un baiser de pitié, ça ne compte pas. »
Si Waititi s’applique à dénoncer, avec une naïveté qu’on croit très consciente, les idées toxiques de l’antisémitisme et de la persécution d’autrui, il n’oublie pas de faire du (bon) cinéma. Il réussit aussi bien ses séquences burlesques (le camp des Jeunesses hitlériennes avec ses instructeurs débiles) que celles, plus graves, où Jojo et Elsa se retrouvent. Le burlesque peut reprendre le dessus lorsque les gamins rédigent un essai sur le Juif (ah, la cascade de clichés antisémites, ainsi leur manière de dormir, pendus au plafond, comme des chauve-souris) avant que l’émotion surgisse à nouveau avec la fin de Rosie…
Dans Jojo Rabblit, il y a un beau travail réalisé sur les décors, les costumes, la couleur, la musique ou les running- gags (la répétition des Heil Hitler digne de Lubitsch)… La direction d’acteurs de Waititi (qui a choisi d’endosser à l’écran l’uniforme brun du Führer pour en faire un bouffon ridicule) est à niveau. Autour de Jojo (Roman Griffin Davis qui débute à l’écran) et d’Elsa (la Néo-zélandaise Thomasin McKenzie), on remarque la toujours épatante Rebel Wilson (Fraulein Rahm) et évidemment Sam Rockwell en officier déjanté mais sans mauvais fond… Quant à Scarlett Johansson, un peu trop confinée à des films de superhéros ces derniers temps, elle est Rosie, mère aimante et engagée à laquelle il revient aussi de distiller un moderne discours féministe lorsqu’elle lance à Elsa : « Tu iras au Maroc, tu prendras des amants et tu les feras souffrir, tu regarderas un tigre dans les yeux et tu apprendras à faire confiance sans crainte. C’est cela, être une femme, ou du moins ça pourrait l’être. »
L’autre jour, à la caisse d’un cinéma, une spectatrice a demandé un ticket pour… Roger Rabbit. C’est évidemment de Jojo dont il s’agit ici. Un petit bonhomme qui laisse courageusement sa couardise derrière lui pour défendre une jeune fille juive… Ensemble, ils pourront sortir dans la rue et suivre le conseil de Rosie : « Promets-moi quelque chose, d’accord ? Quand tout ça sera fini et que le monde sera redevenu normal, essaie de redevenir un enfant. »
Jojo et Elsa méritent qu’on fasse un tour avec eux pour partager, sans cynisme, une solide et amusante réflexion sur la bêtise du fanatisme…
JOJO RABBITT Comédie dramatique (USA – 1h48) de Taika Waititi avec Roman Griffin Davis, Thomasin McKenzie, Scarlette Johansson, Taika Waititi, Sam Rockwell, Rebel Wilson, Alfie Allen, Stephen Merchant, Archie Yates. Dans les salles le 29 janvier.