Espions prolétaires et politique en eaux troubles
A bord d’un coucou jaune et bleu, René Gonzalez s’élance d’une piste d’aviation de La Havane pour aller larguer deux parachutistes amateurs… De retour à la base, le pilote s’introduit discrètement dans la tour de contrôle, arrache les câbles radio et emporte les micros. Cette fois, à bord de son avion, Gonzalez s’en va vers la mer, direction Miami et les Etats-Unis… Le matin même, en décembre 1990, il avait embrassé sa femme Olga, fait un câlin à sa fille Irma et leur avait dit : « A ce soir… »
En 1959, Fidel Castro prend le pouvoir à Cuba en renversant le dictateur Batista, soutenu par les USA. Cuba devient une « République socialiste ». Les États-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec un pays entrant dans l’orbite soviétique et imposent un embargo commercial qui est, en grande partie, toujours en vigueur aujourd’hui.
Dès le début des années 1960, des organisations d’exilés cubains, principalement installés en Floride, mènent des attaques ou commettent des attentats sur le sol cubain. En 2001, le gouvernement cubain recense un total de près de 3500 morts résultant de ces agressions ou actes de piraterie, incluant le fameux débarquement de la Baie des Cochons en 1961.
Pour combattre ces groupes, Cuba envoie régulièrement des espions en Floride pour infiltrer ces organisations.
Au début des années 1990, une trentaine d’agents forment ainsi le Réseau Guêpe chargé d’informer La Havane sur les activités des exilés cubains, certaines licites (comme le sauvetage en mer de Cubains fuyant leur pays à bord d’embarcations de fortune), d’autres belliqueuses, voire liées au crime organisé…
C’est en lisant Les derniers soldats de la Guerre froide, le livre (touffu) du journaliste et homme politique brésilien Fernando Morais qu’Olivier Assayas s’est intéressé au Cuban Five, un groupe de cinq espions cubains infiltrés en Floride, et à la guerre souterraine entre les exilés cubains anticastristes et le régime du Lider maximo.
Las, en traitant au grand écran un fragment de l’histoire contemporaine que le cinéma n’avait jamais vraiment abordé, Assayas s’empare d’un matériau complexe et Cuban Network a un certain mal à retenir l’attention, sinon à captiver le spectateur. Ainsi on suit avec peine les péripéties de personnages qui « fuient » Cuba en feignant de rejeter le régime de Fidel alors même qu’ils vont se battre en Floride contre les anticastristes. On a aussi du mal à cerner, ici, le fonctionnement du FBI et le double jeu que la police fédérale mène pour observer le milieu des exilés cubains en perpétuelle ébullition. Le film n’est pas très clair non plus sur les trafics de drogue qui servent à financer les activités des militants anticastristes…
« C’est une histoire triste, explique le cinéaste. Ces types ont eu une vie très dure, ils n’étaient pas des espions à la James Bond : c’étaient des espions prolétaires, sans moyens, qui ont été arrêtés et sont devenus otages des relations américano-cubaines… »
En suivant successivement des personnages comme René Gonzalez puis Juan Pablo Roque (ancien pilote formé en URSS qui quittera Cuba à la nage pour rejoindre la base militaire américaine de Guantanamo) ou encore Gerardo Hernandez alias Manuel Viramontez, chef du Réseau Guêpe, Olivier Assayas livre des facettes d’un récit d’aventure et d’espionnage marqué de quelques temps forts comme l’attaque de Mig cubains contre trois Cessna, pilotés par des exilés anticastristes, entrés dans l’espace aérien cubain et tentant d’aller disperser des tracts sur La Havane ou encore le parcours du poseur de bombes Cruz Leon allant placer ses charges dans différents hôtels de la capitale cubaine pour mettre à mal le tourisme et l’économie du pays…
S’achevant sur l’arrestation, bien mise en scène pour les médias américains, puis par le procès des Cuban Five et les condamnations sévères contre ceux (notamment René Gonzalez) qui refusèrent de coopérer avec les autorités américaines, ce film d’espionnage propose un récit dont les femmes seraient le cœur. Il le fait avec Ana Margarita, l’épouse de Roque, mais surtout avec Olga Gonzalez, cœur émotionnel de Cuban Network. Invitée de force dans une histoire qui n’est pas la sienne mais celle de son mari René, Olga va passer de victime à mère-courage décidant de se battre pour son mari et acceptant son destin afin de sauver sa famille…
Auteur d’une vingtaine de films de fiction et de documentaires dont Désordre (1986), L’enfant de l’hiver (1989), Irma Vep (1996), Les destinées sentimentales (2000), Demonlover (2002), Clean (2004), Sils Maria (2014) ou Personal Shopper (2016), Olivier Assayas avait touché au domaine des guerres souterraines de notre époque lorsqu’il avait réalisé Carlos en 2010. A l’époque, il avait confié le personnage d’Illich Ramiez Sanchez à un comédien vénézuélien que l’on découvrait pour l’occasion… C’est ce même Edgar Ramirez qui incarne, ici, René Gonzalez… Cuban Network a des qualités, notamment la direction d’acteurs de l’ancien critique des Cahiers du cinéma auquel on ne reprochera pas, perfidement, d’avoir fait d’un espion castriste, un héros de son film. Car Penélope Cruz, égérie almodovarienne, est remarquable de présence sensible en Olga Gonzalez tout comme la ravissante comédienne cubaine Ana de Armas dont le personnage d’Ana Margarita disparaît, hélas, un peu vite…
CUBAN NETWORK Drame (France/Brésil – 2h05) d’Olivier Assayas avec Penélope Cruz, Edgar Ramirez, Gael Garcia Bernal, Wagner Moura, Ana de Armas, Leonardo Sbaraglia, Nolan Guerra Fernandez, Osdeymi Pastrana Miranda, Tony Plana. Dans les salles le 29 janvier.