Le patron de presse et ses accusatrices
Roger Ailes est clairement l’incarnation du sale type. Non pas parce qu’il fut le patron, pendant plusieurs décennies, de la chaîne de télévision ultraconservatrice Fox News, l’empire médiatique le plus puissant et aussi le plus controversé de tous les temps. Mais bien parce que l’homme, né en 1040 et disparu en mai 2017, fut une ordure. Passer par le « 2eétage », autrement dit les bureaux (sécurisés) d’Ailes dans la tour Fox News signifiait pour les femmes travaillant dans cette chaîne d’informations en continu se retrouver face à un boss coléreux, odieux, qui n’avait que le mot loyauté à la bouche et réclamait à ses (belles) employées… de le prouver en retour. Il faut dire que la chaîne télé décrite dans Scandale a tout d’une pétaudière clinquante et d’une fourmilière anxiogène où, comme le dit un personnage, « on se taille une place en taillant des pipes… »
Avec Scandale, titre d’une singulière platitude, le réalisateur Jay Roach, auteur de la trilogie Austin Powers (1997-2002) et aussi de l’excellent Dalton Trumbo en 2015, plonge dans les jours de folie qui, à l’été 2016, ont précipité la chute du tout-puissant Roger Ailes.
C’est à travers trois portraits de femmes, de générations différentes, que le cinéaste organise cette grinçante satire d’un univers hystérique où la pression est constante sur le personnel et plus spécialement sur celui qui est exposé à l’antenne…
En pleine campagne présidentielle américaine et alors que Donald Trump se laisse aller à de petites phrases d’un effarant sexisme, Gretchen Carlson, ancienne co-animatrice de l’influente émission matinale Fox & Friends, est évincée de l’antenne par Roger Ailes. Alors que la règle n°1 de l’entreprise américaine est « On n’attaque pas son patron », elle décide, à la surprise générale, de ne pas baisser les bras et d’intenter à Ailes un procès pour licenciement abusif. Bientôt, c’est au tour de Megyn Kelly de sonner l’alarme. Alors même que cette étoile montante de Fox News, animatrice de la réputée émission du soir The Kelly File, a été naguère promue par Ailes, elle va choisir de monter au créneau et de suivre Gretchen Carlson, accusant son patron de harcèlement sexuel. Enfin, ce sera au tour de la quasi-débutante Kayla Pospisil d’avoir à passer sous les fourches caudines du puissant directeur de Fox News.
Alors que le procès d’Harvey Weinstein vient de débuter aux Etats-Unis, Scandale tombe à pic sur les écrans français pour évoquer un épisode précédant les révélations du New York Times sur les accusations contre Weinstein et qui fera du mouvement #MeToo un phénomène planétaire… Par delà la question du harcèlement sexuel conçu par Ailes comme une méthode de gestion de sa chaîne, le film s’interroge sur la loi du silence dans l’entreprise. Les présentatrices télé sont-elles condamnées à montrer leurs jambes pour passer à l’antenne ? Repousser les lourdes sollicitations du patron est-ce un risque pour sa carrière ? Au risque de tout perdre, ces femmes peuvent-elles être solidaires face à leur harceleur ? Megyn Kelly se défend : « Je ne veux pas être l’étendard du combat contre le harcèlement sexuel ! » Mais elle se souviendra de la manière dont Ailes tenta, à plusieurs reprises, de l’embrasser avant de lui lancer, devant son refus de se laisser faire : « Votre contrat s’arrête quand ? » Quant à Jess Carr, la consoeur amie de Kayla Pospisil auprès de laquelle la jeune journaliste tente de se confier, elle glisse : « Il vaut mieux que tu ne m’en parles pas. Il sait que nous sommes amies… » et de constater : « Je n’ai pas le droit à l’erreur à Fox News parce que je suis lesbienne… »
Sans avoir pu visiter les véritables bâtiments de Fox News, les décorateurs ont cependant réussi à recréer, avec un soin tout documentaire, l’effervescence des bureaux d’une chaîne de télé devenant une arène de pure compétition. Au passage les scénaristes résument, en trois mots, la « philosophie » de l’info à Fox News : « Ce qui fait peur à mamie et ce qui fait chier papy ». C’est le personnage de Megyn Kelly qui, en s’adressant directement au spectateur, fait la visite des lieux avec même un coup d’œil dans les coulisses où les présentatrices se conforment au « standard » blond, moulé et soutien-gorge push-up de bimbo…
Pour camper ses trois personnages principaux, Roach peut compter sur de solides pointures du grand écran américain. Charlize Théron est la battante Megyn Kelly qui osa s’élever, en plateau, contre les déclarations de Trump sur les femmes (« Jolies et à genoux » ou encore « Trop futée pour être sexy. Pas assez sexy pour être futée »), ce qui lui valut une remarque d’une rare élégance sur ses… règles douloureuses. Nicole Kidman est Gretchen Carlson, ancienne Miss Amérique et présentatrice très populaire choisissant de briser la loi du silence pour lutter contre la chosification de la femme. Quant à Margot Robbie (qui fut Sharon Tate dans Once Upon a Time in Hollywood de Tarantino), elle est Kayla, personnage fictif inspiré par les expériences rapportées par différentes femmes, qui rêve de faire son chemin, non pas à la télévision, mais à Fox News. Margot Robbie vole d’ailleurs la vedette à ses deux collègues dans une scène d’anthologie. Convoquée dans le bureau de Roger Ailes, Kayla est rapidement priée de relever sa robe. « Vous faites un métier visuel », grince le libidineux fétichiste de la jambe en exigeant : « Plus haut ! Plus haut ! » tandis que Kayla, défaite et tétanisée, s’exécute…
Mais comme Hitchcock l’a enseigné il y a bien longtemps, pour qu’un film soit bon, il faut que le méchant soit réussi. John Lithgow, récent Winston Churchill dans les deux premières saisons de The Crown, est remarquable de brio en patron à bretelles, complètement parano, espionnant les conversations et les messages de son personnel. Son téléphone branché directement avec la régie finale lui permet de hurler ses ordres… Cet individu aux prises avec ses pulsions sera finalement débarqué, sans états d’âme, par Rupert Murdoch (Malcolm McDowell), le propriétaire de la chaîne… The Show Must Go On… Trump est toujours un fervent spectateur de Fox News qui a réussi à transformer les actualités télévisées en tribunes partisanes au service des convictions ultra-conservatrices…
SCANDALE Comédie dramatique (USA – 1h49) de Jay Roach avec Charlize Théron, Nicole Kidman,Margot Robbie, John Lithgow, Allison Janney, Kate McKinnon, Connie Britton, Malcolm McDowell, Liv Hewson. Dans les salles le 22 janvier.