Zenong, Ai’ai, les soeurs March, Betty, Roy, Arthur et César
Allez, il ne faudrait pas prendre du temps pour les fêtes… Parce qu’on en oublie d’écrire… Alors, un triple papier en forme de séance de rattrapage.
CHINE.- Ah, Dieu que la Chine est glauque ! C’est en tout cas le sentiment que l’on ressent fortement en sortant de voir Le lac aux oies sauvages, le très remarquable thriller de Diao Yinan présenté en mai dernier en compétition à Cannes. Mais on avait déjà remarqué le cinéaste chinois en 2014 lorsque son troisième long-métrage, Black Coal, avait remporté l’Ours d’or à la Berlinale… Avant d’écrire Black Coal, Yinan, grand lecteur de romans noirs occidentaux des années 40 et 50, avait déjà imaginé le scénario du Lac… mais ne le trouvait pas assez abouti. La réalité et les médias sont venus valider une hypothèse littéraire. Ainsi une « assemblée nationale de voleurs » s’est vraiment tenue en 2012 à Wuhan, le premier port fluvial de Chine, avec des délégués venus de tout le pays pour se partager les territoires. Aujourd’hui, la séquence, aussi violente que savoureuse et satirique, figure bien dans cet épatant film de genre qui mêle une pure histoire de gangsters avec une réflexion sur le monde et la société…
Le lac aux oies sauvages (Chine – 1h50. Dans les salles le 25 décembre) s’ouvre sur une rencontre, un soir de pluie, d’un homme et d’une femme dans une petite gare de banlieue. Zenong Zhou (Hu Ge) est un chef de gang en quête de rédemption, Ai’ai Liu une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté. Ensemble, ils se retrouvent au cœur d’une chasse à l’homme et décident de jouer une dernière fois avec le destin. L’homme en fuite pourrait être un chevalier errant d’aujourd’hui et Ai’ai, vêtue en baigneuse pour draguer ses clients sur le bord du lac, une courtisane de l’ancien temps… « Mes héros, dit le cinéaste, ont des faiblesses et des peurs. Chez eux, le « chevaleresque » et la « vertu » ne sont pas affaire de serment solennel, ni d’entraînement. Ce sont des choses qui surviennent dans la banalité du quotidien : le personnage est brusquement acculé à ce destin par une force qui le dépasse. La vertu chevaleresque n’est pas qu’affaire de « chevalier ». Elle se manifeste chez des personnages qu’on dirait « peu recommandables », sous la forme d’une exigence intérieure… »
Mettant brillamment en scène le « couvert de la nuit » et son mystère, la mort qui rôde et des créatures insolites qui surgissent des ténèbres, Diao Yinan, 50 ans, cultive le vacillant et le vague, joue sur les taches de lumière, les couleurs denses, les rues désertes d’un univers urbain impressionnant pour organiser un monde surréel (à la bande son extrêmement sophistiquée) où l’homme rode comme un animal à la frontière mouvante entre rêve et réalité. Enfin, dans ce thriller au titre bucolique où il est aussi question du goût du pouvoir, de l’avidité et de la trahison, le cinéaste use, avec brio, d’un certain romantisme et d’une vraie poésie, notamment dans ces séquences où l’eau est très présente et où s’impose la belle figure de la « baigneuse » à laquelle la ravissante Gwei Lun Mei prête ses traits fins et son sourire inquiet… A ne pas rater!
FEMMES.- En exergue de son film, la cinéaste Greta Gerwig a placé un propos de Louisa May Alcott : « J’ai eu bien des problèmes. Alors, j’écris des histoires gaies… » De fait, la cinquième adaptation au cinéma du célèbre roman de Louisa May Alcott, publié en 1868, n’est pas seulement gaie. Elle est à la fois résolument romantique et tout à fait moderne dans la mesure où il est beaucoup question, ici, du désir d’émancipation des femmes.
À l’origine, le roman a été publié en deux parties. La première racontait l’enfance heureuse des sœurs March et la deuxième les vicissitudes de l’âge adulte. Greta Gerwig rompt cette linéarité et met en place des allers-retours entre les deux périodes avec pour fil rouge l’histoire de Jo, empreinte de détermination et de courage.
Grâce à cette construction plus souple, Les filles du docteur March (USA – 2h15. Dans les salles le 1er janvier) plonge le spectateur dans les souvenirs, les anecdotes, les incidents et les décisions des sœurs March : Jo, la romancière indépendante aux doigts tachés d’encre, Meg, la comédienne en herbe qui prend soin des siens et croit en ses principes, Beth, la musicienne fragile et sensible et Amy, l’apprentie peintre qui brille par son intelligence.
Au fil de ces péripéties, elles deviennent des femmes adultes dans toute leur complexité et leur richesse, aussi différentes qu’unies par un lien familial à toute épreuve.
Devant une caméra qui joue avec aisance la carte du beau film en costumes (nous sommes au cœur de la guerre de Sécession), on voit émerger l’image de quatre femmes qui regardent avec tendresse le chemin qu’elles ont parcouru pour devenir ce qu’elles sont. C’est un univers dans lequel le quotidien de ces femmes – leurs découvertes, leurs sacrifices, leur colère, leurs problèmes financiers, artistiques et personnels – revêt une véritable importance. Comment prendre sa vie en main quand les événements – une fissure dans la glace, l’arrivée inopportune d’une lettre – nous échappent et que les rêves des unes et des autres sont si différents ?
Mais si la troisième réalisation (après notamment l’intéressant Lady Bird en 2017) de Greta Gerwig, remarquée comme comédienne dans Frances Ha en 2012, retient l’attention, c’est bien sûr par son approche féministe d’un classique de la littérature américaine. Car l’audacieuse et colérique Jo, véritable alter ego de Louisa May Alcott dans sa passion de l’écriture, constate, avec fougue, que les femmes « ont un cerveau et une âme. Pas seulement un cœur. J’en ai assez d’entendre que les femmes sont faites pour être aimées…»
Enfin Les filles du docteur March ont donné l’occasion à bien des comédiennes de faire preuve de leurs talents. C’est le cas de Katharine Hepburn et Joan Bennett (en 1933 chez Cukor), June Alyson, Liz Taylor, Janet Leigh (en 49 chez LeRoy), Winona Ryder, Kirsten Dunst, Susan Sarandon (en 94 chez Gillian Armstrong). Les interprètes de 2019 ne font exception à la règle. Emma Watson, Florence Pugh, Eliza Scanlen, Meryl Streep, Timothée Chalamet, Louis Garrel entourent bien une Saoirse Ronan, tonique, impulsive et généreuse…
ARNAQUE.- Roy Courtnay est un escroc professionnel et on le comprend très rapidement. Ce type déjà âgé est une sorte de prédateur. Non pas sexuel (encore que la chose le titille quand même…) mais assurément financier. Et comme l’heure est à internet, c’est sur les réseaux sociaux que Courtnay débusque sa prochaine cible, en l’occurrence la charmante Betty McLeish. Betty a tout pour intéresser Roy. Récemment devenue veuve et plutôt fortunée, elle cherche l’âme sœur sur un site de rencontres. Dès la première rencontre entre Roy et Betty, l’arnaqueur commence par faire son numéro bien rodé de manipulateur et la veuve, visiblement séduite, lui semble facile à duper. Tout juste y a-t-il Stephen, un petit fils encombrant, qui estime que Roy va très/trop vite en besogne avec sa grand-mère…
Avec L’art du mensonge (USA – 1h50. Dans les salles le 1er janvier), le cinéaste américain Bill Condon orchestre un thriller dont la mécanique astucieuse est d’abord plutôt attrayante. On se laisse happer d’entrée par ce scénario et on se demande comme l’arnaqueur va procéder avant de se rendre compte qu’il s’agit plutôt d’un jeu du chat et de la souris. Où la souris n’a peut-être pas dit son dernier mot… Le problème, c’est que plus le film avance et que les rebondissements s’empilent, plus la mécanique devient extravagante. Alors que Roy, au-delà de l’arnaque planifiée de Betty, trempe encore dans des magouilles financières avec des investisseurs russes, on se demande où tout cela va nous mener, de supercheries de plus en plus insidieuses à des complots et des trahisons d’une autre époque…
Reste alors l’argument de taille de l’interprétation. Tant Helen Mirren que Ian McKellen sont ce qu’il est convenu d’appeler des monstres sacrés. La première a été couronnée de l’Oscar de la meilleure actrice en 2006 pour The Queen et le second fut Gandalf dans la saga du Seigneur des anneaux et Magnéto dans celle des X-Men. Les deux comédiens britanniques semblent ici se régaler de leurs personnages et on les regarde œuvrer avec plaisir… même si on a décroché depuis longtemps d’une aventure quand même singulièrement tirée par les cheveux.
AMITIE.- On est bien d’accord, un tandem Luchini/Bruel, ça a une certaine allure à l’affiche. C’est même certainement assez vendeur. Et on imagine volontiers que les fans du premier comme les groupies du second ont pris le chemin de la salle obscure. On a fait pareil. Après avoir quand même tardé un temps. Avec l’impression bizarre que ça ne serait pas aussi emballant que cela. Et on n’avait pas tort.
Arthur Dreyfus, chercheur de son état, est un type aussi effacé que son ami d’enfance César Montesiho est exubérant. Le premier est du genre à n’être jamais à découvert alors que le second flambe comme un fou. Ces deux-là se sont rencontrés dans un internat de province et se sont jurés d’être amis à la vie à la mort. Parce que César n’a jamais les papiers qu’il faut, il emprunte la carte Vitale d’Arthur pour des examens à l’hôpital. Et c’est évidemment Arthur qui est convoqué par les médecins pour s’entendre dire qu’il lui reste quelques mois seulement à vivre. Arthur comprend que César est condamné. Devant sa mine déconfite, César imagine, lui, qu’Arthur ne va pas bien du tout. Les deux amis décident alors de tout plaquer pour rattraper le temps perdu et vivre à fond.
Avec Le meilleur reste à venir (France – 1h53. Dans les salles le 4 décembre), les réalisateurs Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière ont conçu un drame triste mais où le tragique est générateur, à l’instar des films de Capra ou Wilder, de comédie. Autour du temps qui reste et de ce qu’on en fait, de la perte, de la nostalgie des rêves passés, les auteurs, en 2012, du Prénom (3,3 millions d’entrées en France) ont mis en œuvre un divertissement sur une amitié au long cours et sur l’espoir d’Arthur et César de se sauver l’un l’autre. Ce ne sont pas tant les bons sentiments largement présents ici qui dérangent mais l’impression que les comédiens ne sont pas vraiment justes. Fabrice Luchini joue comme lorsqu’il n’est pas précisément dirigé et Patrick Bruel en fait toujours un peu trop.