Camille lutte contre l’embrigadement sectaire
A l’ultime image des Eblouis, lorsqu’apparaît la dédicace « A mes frères et sœurs », on ressent une réelle empathie pour Sarah Suco. Tant on comprend que ce drame, même s’il repose sur les moyens de la fiction, a été une aventure terriblement douloureuse…
Passionnée de cirque et plutôt douée pour l’exercice, Camille, 12 ans, est l’aînée des Lourmel, une famille nombreuse qui vit à Angoulême. Frédéric, le père, est professeur dans un lycée et Christine, la mère, a été comptable mais est aujourd’hui sans emploi. Catholiques à la pratique jusque là plutôt modeste, les parents vont, presque par hasard, se rapprocher d’une communauté charismatique basée sur le partage et la solidarité avant de s’y investir pleinement. Avec ses deux jeunes frères et sa petite sœur, Camille va devoir accepter un mode de vie qui remet vite en question ses envies de jeune adolescente et ses propres tourments…
Les Eblouis s’ouvre autour de la piste d’une Ecole de cirque où Camille se produit dans un numéro de voltige sous le regard admiratif de ses parents. Mais lorsque la jeune fille demande à rester un peu pour fêter avec ses amis du cirque, sa mère refuse, prétextant la fatigue de la petite sœur. Et elle s’emporte contre son mari d’un cassant : « Tu ne m’entends pas ! » quand celui-ci permet à sa fille de rester…
Et puis, un jour, au sortir de la messe, le couple Lourmel est invité à un repas partagé. Ce sera le premier pas vers la communauté de la Colombe où ils vont peu à peu connaître un embrigadement sectaire.
Née en 1981 à Montpellier, Sarah Suco signe, avec Les Eblouis, son premier long-métrage après une carrière au théâtre et au cinéma où on l’avait vu dans Discount (2015) et Les invisibles (2018) de Louis-Julien Petit, La belle saison (2015) de Catherine Corsini, Aurore (2017) de Blandine Lenoir, Guy (2018) d’Alex Lutz ou Place publique (2018) d’Agnès Jaoui.
Un premier « long » qui est clairement autobiographique : « J’ai moi-même vécu, dit la cinéaste, avec ma famille dans une communauté charismatique pendant dix ans. L’idée d’en faire un film germait dans ma tête depuis très longtemps, et arrivée à la trentaine, la nécessité l’a emporté et je me suis sentie prête à me lancer. »
Les Eblouis va donc raconter le parcours de Camille, une adolescente dont on devine qu’elle est bien le double de Sarah Suco. Mais, en écrivant son scénario avec Nicolas Silhol, la réalisatrice a pris soin de gommer la haine ou la colère de son propos. Point de sensationnalisme non plus et cette manière de procéder donne justement une force impressionnante à une histoire nuancée. Car si certaines pratiques de la communauté prêtent à rire (ou à pleurer), tout n’apparaît pas négatif dans cette collectivité qui met en avant de nobles intentions comme la douceur et l’apaisement, la fraternité et l’amour. Et on reconnaît volontiers que l’implication de Frédéric qui s’occupe d’une vieille dame solitaire avant de se rendre à son travail a quelque chose d’exemplaire…
Mais si Les Eblouis n’est pas un film à charge, c’est assurément une œuvre de combat. Fière de ses parents au point de longtemps défendre leur choix de vie, voire même de se sentir elle-même heureuse au sein de la communauté, Camille va cependant s’élever contre la prise de possession des siens par un groupe dont l’intégrisme paraît de plus en plus angoissant. Si on rit de bon cœur en entendant les membres du groupe… bêler à l’unisson pour appeler le prêtre Luc-Marie alias « le berger », on est saisi par l’étrangeté de pratiques d’exorcisme où il s’agit d’extirper le diable du corps des « possédés ». Et on frémit encore quand Christine Lourmel demande à Boris, le copain de Camille, de passer un vêtement sur son tee-shirt noir parce que le noir est la couleur du démon ! Mais, ce faisant, Sarah Suco indique aussi que ces situations folles (le cirque est considéré comme dégradant pour le corps) ou ridicules, que ces rituels inquiétants n’empêchent pas les personnages d’entrer dans la communauté…
Evoquant ces communautés de la mouvance du renouveau charismatique importées des Etats-Unis depuis les années 70, la cinéaste observe : « Elles appellent à un renouveau spirituel basé sur le Saint-Esprit. Les gens y vivent l’expérience personnelle de Dieu, l’expérience des « dons » reçus du Seigneur et de la prière, parmi lesquels celui de la guérison. (…) Les journées de chaque membre, également des enfants, sont rythmées par les prières et les rituels de groupe : demande de pardon, chants, farandoles, séances de bénédictions dans l’Esprit saint. Les tenues, les coiffures et les règles de vies sont régentées et très spécifiques et il est petit à petit impossible pour des enfants de continuer à avoir une vie sociale normale. »
Porté par une image tour à tour chaude et froide, voire même pisseuse dans l’appartement proche de la communauté où s’est installée la famille Lourmel, Les Eblouis réussit son coup. Le spectateur va s’inquiéter et se passionner pour la lente et difficile lutte de Camille pour affirmer sa liberté et sauver sa fratrie.
Camille Cottin et Eric Caravaca campent, avec conviction, ce couple emporté par un vertige intégriste. Et Sarah Suco réussit à faire de la famille Lourmel un groupe tour à tour accueillant, joyeux mais aussi gênant et glaçant. Loin des beaux personnages positifs qu’il a souvent incarnés chez Robert Guédiguian, Jean-Pierre Darroussin est, ici, un prêtre mielleux et béat virant à l’épouvantable quand il s’agit de séparer, par les pires mensonges, les membres de la communauté de leur entourage familial…
Mais bien sûr c’est la nouvelle venue Céleste Brunnquell qui est épatante au cœur du film. Parfois rebelle, parfois petite fille aimante pour ses parents, elle est Camille, une adolescente (le film la suit de 12 à 15 ans) prise dans un conflit de loyauté vis-à-vis des siens tout en vivant les émois et les pulsions de son âge… Au bout des étapes de son combat, Camille se sera construite et aura cessé d’être éblouie pour réfléchir par elle-même.
Plus globalement, le film invite à réfléchir sur des questions comme celle du libre arbitre, de l’autonomie de la pensée et, in fine, de l’indispensable liberté de croire… ou pas. Ce n’est pas le moindre mérite des Eblouis de mettre l’accent là-dessus.
LES EBLOUIS Drame (France – 1h39) de Sarah Suco avec Camille Cottin, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca, Céleste Brunnquell, Laurence Roy, Daniel Martin, Spencer Bogaert, Benjamin Gauthier, Suzanne de Baecque, Arnaud Rayaume, Jules Dhios Francisco. Dans les salles le 20 novembre.