La guerre d’un juge

Le 21 octobre 1981, vers 13h, boulevard Michelet à Marseille, le juge d’instruction Pierre Michel est abattu de trois balles par des inconnus circulant à moto. C’est la seconde fois depuis l’Occupation qu’un magistrat tombe, en France, sous les coups de la pègre. Le premier, en 1975, avait été le juge François Renaud abattu à Lyon par des inconnus très probablement liés au gang des Lyonnais… La mort du juge Michel suscitera une vive émotion et Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, rendra hommage à un « juge intrépide » qui aura donné sa vie dans la lutte contre le banditisme et le trafic international de drogue…

C’est cette séquence du discours de Defferre qui clot La French. Les propos du ministre prennent un tour « piquant » à la vision d’un film qui pointe précisément le maire de Marseille dans ses liens avec la pègre phocéenne. Mais le film de Cédric Jimenez n’a pas pour ambition de dénoncer les magouilles politico-mafieuses de Marseille. Le cinéaste a bâti, avec La French, un polar « à l’ancienne » qui se nourrit de deux fortes personnalités, d’un côté le juge Pierre Michel, de l’autre le parrain Gaëtan Zampa. Face à face, deux hommes qui vont, peu peu, être obsédés l’un par l’autre… Comme l’indique un carton au début du film, cette histoire est librement inspirée de faits réels. Et Jimenez a fait oeuvre de cinéaste en imaginant, par exemple, la rencontre, très westernienne, de Michel et de Zampa. Une confrontation (qui n’eut pas lieu dans la réalité) mais qui permet, à un moment où le magistrat peine à mettre son travail en route, de montrer un juge courageux et parfaitement déterminé. « Je ne respecte pas les types comme vous », lance Michel. « T’as du cran » répond Zampa…

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Un juge (Jean Dujardin) seul avec sa quête. DR

Entre l' »étranger » à Marseille (Pierre Michel est originaire du Tarn et était précédemment en poste à Metz) et l’intouchable parrain, Cédric Jimenez orchestre donc un polar où l’enquête du juge Michel vire à la quête. Les puristes de la procédure judiciaire trouveront sans doute à redire à quelques approximations. Mais ce qui importe, c’est de voir un magistrat s’isoler petit à petit dans une pratique quasiment obsessionnelle: débarrasser Marseille de la French Connection, le tout ne pouvant que passer par la chute de Gaëtan Zampa.

Si la mise en place du film est un peu brouillonne, on entre vite cependant dans ce thriller entièrement construit du point de vue du juge d’instruction. Avec lui, on découvre tour à tour les médiocrités de la hiérarchie judiciaire (le procureur qui considère Michel comme un excellent juge mais l’invite à « ne pas tout gâcher ») ou la corruption de la police marseillaise et la « brigade des condés corses » qui fait le jeu de la pègre. Pierre Michel, lui, passe outre. Face à une pieuvre dont il n’arrive pas à atteindre la tête, il va commencer par couper les petits bras, déranger les truands dans leur confort, générer des règlements de comptes. On suit aussi un juge totalement atypique qui va sur le terrain et seconde sa « propre » équipe de policiers en participant aux descentes contre les labos clandestins…

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Jean Dujardin. DR

En chantant aussi au passage l’originalité et les charmes de Marseille, Cédric Jimenez fait échapper Michel et Zampa au risque de l’archétype. Le juge et le parrain sont des pères de famille. Ils ont des femmes aimantes et des enfants charmants. Dans une scène dramatique, le juge Michel se retrouve, de nuit, effondré dans une cabine téléphonique. Il appelle sa femme, partie avec ses deux filles chez une amie, pleure et la supplie de revenir à ses côtés… Humain, trop humain.

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Gilles Lellouche. DR

Avec son look soigneusement vintage (les DS, les cravates en laine, les papiers peints à fleurs, les chansons de Gainsbourg, Mike Brant ou Sheila, le clin d’oeil à Belmondo), La French permet à Jean Dujardin et à Gilles Lellouche de dessiner de solides personnages. Lellouche fait de Zampa, qui se voit comme un entrepreneur, un « méchant » d’abord très sûr de lui puis peu à peu rattrapé par le doute et la peur. En la jouant plutôt ténébreux, Dujardin profite, avec le juge Michel, d’un « matériau » de choix. « Enragé », « justicier« , « cow boy », croisé parti en mission, le juge d’instruction possède aussi sa part d’ombre. On évoque ainsi son ancienne addiction au jeu et sa femme suggère que son investissement total dans la lutte contre les trafiquants d’héroïne est une autre manière de « gagner la partie »

En 1971, William Friedkin donnait, avec French Connection, et l’enquête menée par Popeye Doyle (Gene Hackman) et Cloudy Russo (Roy Scheider), le versant new-yorkais de l’affaire. Voici, avec La French, le volet français avec le portrait d’un croisé de la justice au destin tragique. En tentant de l’acheter avec un gros paquet de billets, un truand prédisait à Pierre Michel: « Monsieur le juge, vous allez vous tuer à la tâche… »

LA FRENCH Thriller (France – 2h15) de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Benoît Magimel, Guillaume Gouix, Bruno Todeschini, Moussa Maaskri, Cyril Lecomte, Bernard Blancan, Gérard Meylan, Eric Fraticelli, Féodor Atkine. Dans les salles le 3 décembre.

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