Rudes scènes de la vie conjugale et familiale
« La pire chose qui puisse arriver aux gens, c’est l’amertume… » C’est John Fante qui le dit. Et Yvan Attal qui l’applique à son nouveau film. De nuit et sous une pluie battante, Henri Mohen, débarquant de sa vieille Porsche, arrive dans sa belle maison de Biarritz. Là, il aperçoit sa femme, paniquée, tenant un fusil de chasse et braquant les buissons du jardin… Tapie dans l’ombre, on remarque une grosse bête. Un ours, un sanglier ? Plus banalement, un très gros chien gris sombre!
Avec Mon chien Stupide, l’acteur et réalisateur adapte librement le best-seller éponyme de l’Américain John Fante (paru aux USA en 1986 et en France chez Bourgois (coll. 10/18 n°2071, 1990) qui raconte comment un énorme clebs va semer un innommable chaos dans la vie d’un écrivain et de sa famille. Représentant du mouvement « réalisme sale » et précurseur de la Beat generation, Fante (1909-1983) passe à la moulinette d’un humour cruel, tragique et bouleversant, les poncifs, les clichés et les faux-semblants de l’American Way of Life…
On imagine bien qu’Yvan Attal a senti tout le potentiel dramatique qu’il pouvait tirer de ce solide matériau littéraire pour l’adapter, assez librement (le personnage de Cécile, la femme d’Henri, est plus développée que dans le livre) et en tirer une comédie féroce sur le couple et la famille. Sans oublier qu’Henri Mohen est aussi un écrivain et qu’il connaît, de plus, des affres créatrices. Voilà 25 ans, Mohen a écrit un best-seller qui lui a notamment permis d’acquérir sa belle maison avec vue sur la mer et la Rhune… Mais, depuis, Henri galère. Ce soir-là, il revient d’ailleurs de Paris où on lui a proposé d’écrire un scénario pourri, déjà vu cent fois au cinéma. Mais ce soir-là aussi va changer le cours de l’existence d’Henri Mohen. Au grand dam de son épouse puis de ses enfants, Henri décide en effet de garder avec lui le gros chien qu’il gratifie du nom de Stupide… Une bête qui se révélera, comme le dit son maître, « pd, 100% obsédé et insatiable ». De quoi se faire des « amis » sur la plage basque où gambade le monstre!
Avec son nouveau film, Yvan Attal met le spectateur dans une situation curieuse, sinon ambiguë. En effet, on se retrouve, ici, en témoin évidemment privilégié, aux premières loges d’une considérable débâcle familiale. Le cinéaste cite d’ailleurs un auteur qui observe : « Quand un écrivain vient à naître dans une famille, toute la famille est foutue ». Pire, dans le cas présent, c’est l’écrivain lui-même qui est, en prime, au bout du rouleau… Même si le thème premier du film n’est pas une réflexion sur la création littéraire, on y observe néanmoins qu’Henri constate : « Pour écrire, il faut aimer et pour aimer, il faut comprendre. Et moi, je ne comprends rien du tout ». Or, Henri Mohen n’aime plus personne et surtout plus lui-même. Alors quand Cécile, qui s’installe volontiers dans un terrible « silence cordial », lui balance qu’il est « paresseux, arrogant, égocentrique et un gros connard à tous les niveaux », Henri regarde ailleurs. Et il peut toujours rêver de Rome, de son lointain séjour à la Villa Médicis et d’une nouvelle vie du côté de la Piazza Navona, rien n’y fera.
Après Ma femme est une actrice (2001) et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (2003), Yvan Attal ajoute, avec ce septième long-métrage, une nouvelle page à un triptyque dans lequel, sur une période de 20 ans, Charlotte Gainsbourg, son épouse depuis 1990 et la mère de ses trois enfants, incarne à nouveau sa femme… Dans Mon chien Stupide, une fois encore, en travaillant sur une passionnante mais risquée mise en abyme de son couple avec ses fausses pistes et ses révélations rhabillées par la fiction, Yvan Attal réussit son coup.
En nous accrochant avec ses réflexions sur la paternité (« Les enfants grandissent et toi, tu rapetisses »), sur le couple et la famille.
Il faut dire qu’avec les quatre enfants du couple, on tient, comme disait Audiard, une synthèse ! Raphael (Ben Attal, le fils d’Yvan et Charlotte) qui tête du pétard à longueur de temps, est entiché d’une stripteaseuse plutôt bécasse; Pauline est à la colle avec un ancien engagé en Syrie plutôt bas du front; Gaspard ne pense qu’à sa planche de surf et fait écrire ses dissertations de littérature par sa mère. Quant à Noé, le petit dernier nourri au tofu, il est affectueux et brillant mais cache un jeu dangereux… Du haut de sa bonne cinquantaine, leur père se sent dans la peau d’une vache à lait et n’a de cesse de leur voir les talons…
Dans le rôle de Cécile qui boit trop (« Je ne bois pas, je me saoule ») et fonctionne quotidiennement aux antidépresseurs, Charlotte Gainsbourg, avec son chic nonchalant, se révèle une complice de premier ordre dans ce jeu de massacre. La séquence où Cécile et Henri partagent, un soir, un joint, est une scène pivot dans le jubilatoire dispositif de mentir-vrai appuyé sur la biographie du couple Attal. Entre l’évocation des amours anciennes et le souvenir des galettes des rois, des cadeaux de fête des pères et des auditions de fin d’année à l’école, Henri et Cécile reprennent, sur le ton de la nostalgie et des regrets, la litanie douloureuse des défaites et des échecs. Et ce moment d’abandon total est beau à pleurer.
Reste le chien –mi hippopotame lymphatique, mi shar-pei belliqueux- qu’on accuserait volontiers de tous les maux. Et qui, évidemment, n’y est pour rien. Sinon qu’il cristallise et révèle tous les malaises du couple et de la fratrie. De ce chien de hasard, banni comme lui, Henri dit : « Je perds, il gagne ». S’il est assez odieux, ce type, confronté au temps qui passe et qui a raté tous les coches, finit quand même par être touchant. Ce n’est pas le moindre mérite de Mon chien Stupide.
MON CHIEN STUPIDE Comédie dramatique (France – 1h45) de et avec Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg, Eric Ruf, Pascale Arbillot, Sébastien Thiéry, Ben Attal, Adèle Wismes, Pablo Venzal, Panayotis Pascot, Oscar Copp, Lola Marois. Dans les salles le 30 octobre.