VOYAGE A TRAVERS LES FILMS DE BRIAN DE PALMA
Il a fait partie, de plein-droit, de la génération dorée du Nouvel Hollywood. Au même titre que Francis Ford Coppola, George Lucas, le disparu Dennis Hopper, Martin Scorsese, Steven Spielberg ou Michael Cimino. Si la plupart de ses confrères ont gagné, même en tournant moins (Coppola ou Cimino), un statut culte d’icône, lui est, aujourd’hui, voué à l’oubli ou, pire, à la vindicte critique. Pour exemple, sa dernière réalisation, Domino – La guerre silencieuse, sorti directement en VOD aux Etats-Unis (et depuis peu en DVD chez Metropolitan en France). Le Hollywood Reporter observe que le cinéaste « s’est rarement rendu coupable de platitude, comme c’est le cas avec Domino, un thriller antiterroriste offrant juste un peu plus d’excitation qu’une procédure policière standard à la télévision ». Pour Screen Daily, Domino est « un ramassis de clichés réchauffés. Au lieu de son vieux style classieux et sa violence excentrique, Brian De Palma ne délivre que des frissons bas de gamme et d’immondes stéréotypes dans un sachet de junk-food détrempé ». Ce qui s’appelle, se faire massacrer !
Autant dire que la lecture du bel ouvrage de Blumenfeld et Vachaud (qui ne cite Domino que dans la filmographie finale) met du baume au cœur de tous ceux qui apprécient De Palma.
Sorti en 2001 et très vite épuisé, cet ouvrage (largement illustré de photos intimes et de tournage fournies par De Palma lui-même ou son frère Bart) a d’abord été réédité en 2017 au sein d’un coffret Carlotta incluant six films de De Palma. Le revoilà (sans dvd) dans une version révisée et mise à jour.
Si l’auteur de Blow Out est un personnage discret, avare d’interviews et à fortiori de confidences sur sa vie et son oeuvre, on trouve néanmoins quelques bons ouvrages sur lui. On songe à Brian de Palma Le rebelle manipulateur, aux éditions du Cerf (1995) où Dominique Legrand aborde, pour la première fois, un univers chargé d’angoisse et d’érotisme. Plus près de nous, chez Dark Star en 2003, Luc Lagier donnait un bel album largement illustré : Les mille yeux de Brian de Palma. Outre un entretien exclusif, cet ouvrage se présentait, sous la forme d’un voyage subjectif dans les grandes figures esthétiques et thématiques, comme le premier livre d’analyse sur l’œuvre de De Palma.
Assurément, le beau livre du tandem Blumefeld/Vachaud vient parfaitement éclairer, à son tour, le parcours du fils de Newark, très fréquemment présenté comme l’héritier du grand Alfred Hitchcock. De Palma s’explique : « Avant toute chose, Hitchcock est le maître de la grammaire cinématographique et si vous possédez un quelconque intérêt pour la forme –ce qui est mon cas- vers qui vous tourner sinon vers lui ? » Mais les différences sont nombreuses aussi entre Hitch et De Palma : « Et comment !, note le cinéaste, Il avait une sensibilité très victorienne et une culpabilité obsédante, héritée de son éducation catholique. Il n’y a rien de tel chez moi. J’ai appris le vocabulaire d’Hitchcock mais j’ai développé plein d’autres trucs tout seul. J’utilise beaucoup le ralenti, je vous défie de trouver un ralenti dans un film d’Hitchcock ! »
Pour l’anecdote, on apprend que De Palma porte, depuis toujours, une veste de safari. Parce qu’elle est confortable et qu’elle lui permet de dissimuler son embonpoint…
Celui qui, au milieu des années soixante, voulait devenir le Godard américain (« Nous étions plusieurs à nourrir ce rêve. On faisait référence au Godard de la période 1959-1965. Personne n’a envie d’être le Godard des années suivantes ! »), confesse que ce qui déterminera toujours ses choix cinématographiques, c’est le potentiel visuel d’une histoire. A travers trente long-métrages, De Palma a exercé son talent dans des genres aussi différents que le thriller (Sœurs de sang, Obsession, Pulsions, Blow Out, Body Double, Le dahlia noir), le film d’action (Scarface, Les incorruptibles, L’impasse ou Mission impossible), le fantastique (Carrie au bal du diable, Phantom of the Paradise), le film de guerre (Outrages, Redacted) ou la science-fiction (Mission to Mars)…
Styliste adepte des longues prises, des plans-séquences et du split-screen, De Palma, qui a tourné tous ses derniers films depuis Mission to Mars, loin des studios d’Hollywood, le réalisateur de Passion constate : « Je ne fais plus partie de la A-List depuis longtemps. Mon dernier succès commercial remonter à Mission impossible, il y a 21 ans… » Mais cela n’empêche pas De Palma d’écrire de multiples scénarios et de se passionner pour les nouvelles formes de narration : « Le digital permet vraiment de raconter les histoires autrement ». Cependant le juré qu’il fut naguère au Festival de Toronto remarque néanmoins que le travail d’éclairage tel qu’on le connaissait avant n’existe plus. Et comme il n’y a plus besoin d’éclairer, on peut tourner avec n’importe quelle lumière mais le problème, c’est que tous les films ont la même image… Un reproche qu’on ne pourra assurément pas faire aux films de notre homme!
BRIAN DE PALMA. Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud. Editions Carlotta. 314 pages, 35 euros. En librairie le 7 novembre prochain.