Les belles solutions du bon Samaritain
« On va trouver une solution ! » C’est le leitmotiv de Bruno, l’animateur en chef et surtout l’âme de La Voix des justes, une association parisienne qui s’occupe d’enfants et d’adolescents autistes. Et quand on dit autistes, il s’agit spécialement des cas les plus sévères et les complexes. De ceux que l’hôpital n’arrive à gérer autrement que par l’enfermement et l’administration de médicaments à haute dose, de ceux aussi dont les institutions ne savent clairement pas quoi faire…
En 2011, Eric Toledano et Olivier Nakache frappaient un grand coup dans le monde du cinéma avec Intouchables, l’histoire vraie de Philippe, riche tétraplégique, qui embauchait le premier venu, en l’occurrence Driss, comme auxiliaire de vie… A l’arrivée, 19,44 millions de spectateurs dans les salles obscures françaises, soit le second (après Bienvenue chez les Ch’tis) plus gros succès du box-office français de tous les temps… Et la réussite était bien plus vaste encore puisque le tandem François Cluzet/Omar Sy rassemblait près de 44 millions de spectateurs à travers l’Europe. Depuis Intouchables (qui était leur quatrième collaboration), on attend toujours que la « marque » Toledano-Nakache casse tout lorsqu’elle déboule sur les grands écrans. En 2014, Samba avait réuni 3,1 millions de spectateurs en France et, en 2017, Le sens de la fête, avait fait quasiment aussi bien…
En France où l’on a souvent un problème avec le succès, Toledano-Nakache se distingue particulièrement parce qu’ils font consensus. Leurs films rapportent de l’argent mais c’est pour la bonne cause !
Et c’est encore le cas avec ce Hors Normes, accueilli par un torrent d’émotions et d’acclamations au dernier Festival de Cannes où il était présenté en film de clôture de la sélection officielle… Voici, en effet l’aventure de deux infatigables animateurs d’associations qui se décarcassent pour pousser les murs et répondre sans condition aux situations d’urgence. Avec La Voix des justes et L’Escale, Bruno et Malik bataillent au quotidien pour faire face aussi bien aux supplications de familles désespérées face au drame de l’autisme ou aux sollicitations d’hôpitaux qui ne réussissent plus à s’en sortir avec les cas les plus sévères…
On entre d’emblée dans l’histoire avec la course folle d’une petite gamine rousse qui fonce tout droit dans les rues de Paris… Aux trousses d’Emilie, Bruno, Malik et leurs équipes. Qui parviendront à la stopper, à l’apaiser et à la ramener avec eux…
A l’instar des films de guerre, pour ne prendre que cet exemple, Hors normes choisit de braquer le projecteur sur une poignée de destinées. On suivra ainsi Bruno, avec dans son sillage Malik mais aussi Joseph, jeune adulte autiste. Autour d’eux, Eric Toledano et Olivier Nakache vont brosser quelques portraits comme ceux d’Hélène, la mère de Joseph, du docteur Ronssin, le médecin qui sollicite régulièrement l’intervention de Bruno ou encore de Dylan, le jeune référent issu de la banlieue qui va s’attacher à Valentin, un gamin en grande difficulté de communication… Tout cela tandis que l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales –la « police des polices de la Santé »- mène l’enquête sur La Voix des justes et L’Escale parce que ces associations oeuvrent sans avoir les agréments nécessaires…
Comme Vincent Cassel nous a souvent habitué à des rôles de grand vilain, on lui trouve, ici, une touchante finesse dans ce personnage de Bruno, toujours sur la brèche, parfois las, jamais abattu qui sent et sait qu’il doit être là parce que personne ne veut s’occuper des cas lourds. Alors son « On gère ! » est simplement porteur d’espoir. Et puis, dans ce film dont le ton est sérieux, c’est au personnage de Bruno, juif pratiquant, que revient la part de comédie à travers les savoureux gags récurrents des chidou’h, ces rendez-vous arrangés par la communauté juive, pour marier Bruno…
Un peu en retrait de Bruno, Malik, incarné avec une énergie retenue par l’excellent Reda Kateb, apporte des éléments de réflexion sur le travail, ô combien délicat, des équipes de référents… Si on a plaisir à voir Hélène Vincent dans un rôle de mère perdue face à la scolarité chaotique puis à l’adolescence agressive d’un autiste que personne ne voulait prendre en charge ou encore la lumineuse Catherine Mouchet, révélée un jour de 1986 par le Thérèse d’Alain Cavalier, dans le rôle du docteur Ronssin, c’est bien sûr la performance de Benjamin Lesieur qui impressionne.
Ce jeune adulte autiste incarne Joseph qui demande « Je peux taper ma mère ? » et ne peut s’empêcher de tirer le signal d’alarme dans les rames de métro. Interpellé par la police du rail, il est régulièrement récupéré par un Bruno sur l’épaule duquel Joseph va alors poser son front. « On n’est pas loin ! » constate Bruno qui sait pourtant, comme le montre la séquence où Joseph est pris à l’essai dans une petite entreprise, que rien n’est entièrement gagné.
Ce film qui, en passant, aborde aussi le fait religieux (Bruno porte la kippa et Malik est musulman) sans en faire une histoire, ne fait pas les pieds au mur sur le plan de l’écriture. Pour être fonctionnelle, la mise en scène est agréable et embarque, sans coup férir, le spectateur dans un vrai feel good movie. Alors quand Bruno lance aux dubitatifs enquêteurs de l’IGAS qui lui reprochent des pratiques de management inadaptées : « Prenez-les ! Prenez-les tous ! », on battrait volontiers des mains…
En conclusion, on prête volontiers l’oreille aux deux vrais responsables des associations (Le Silence des justes et Le Relais IDF) lorsqu’ils évoquent ce qu’ils attendent d’Hors normes… « Qu’il mette en lumière, dit Stéphane Benhamou, les cas complexes même si les choses commencent à bouger et que l’administration se réveille. Il y a aujourd’hui des perspectives de prises en charge plus adaptées. J’avais dit à Éric et Olivier : J’espère qu’il y aura un avant et un après Hors normes ». Pour sa part, Daoud Tatou observe: « Et peut-être toucher les politiques. Nous aimerions bien que le film réveille les consciences de tous les décideurs, même celle du président de la République. »
Enfin, on n’a pas l’impression de divulgâcher (sus aux anglicismes !) le film si on dit, ici, que Bruno, Malik et leurs associations ont obtenu, in fine, de l’IGAS, une autorisation provisoire à titre exceptionnel pour poursuivre leur beau et généreux combat.
HORS NORMES Comédie dramatique (France – 1h54) d’Eric Toledano et Olivier Nakache avec Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent, Bryan Mialoundama, Alban Ivanov, Benjamin Lesieur, Marco Locatelli, Catherine Mouchet, Frédéric Pierrot, Suliane Brahim, Lyna Khoudri. Dans les salles le 23 octobre.