« C’est toujours un plaisir de parler avec vous! »
Dynamique, toujours en mouvement, serrant des mains comme il se doit, Paul Théraneau, maire socialiste de Lyon depuis plusieurs décennies, donne encore largement le change mais, en réalité et de son propre aveu, il n’arrive plus à penser. Lui qui, raconte-t-il, avait naguère 50 idées par jour, n’a plus de carburant. Il se voit toujours comme un bolide de course mais qui serait hélas en panne sèche. Alors, avant que la situation ne devienne criante, l’entourage proche du maire, se met en quête d’une personne capable de booster l’élu. Ce sera Alice Heimann, jeune et brillante universitaire bardée de diplômes de littérature et de philosophie, rentrée récemment d’Oxford où elle enseignait. En attendant de passer à autre chose, Alice Heimann accepte un job plutôt original : travailler aux idées.
On avait découvert Nicolas Pariser en 2015 avec Le grand jeu, un thriller à connotation politique plutôt brumeux même s’il récolta le prix Delluc du premier film. Avec Alice et le maire, présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en mai dernier, le cinéaste de 45 ans propose, cette fois, une aventure enlevée et souvent savoureuse qui s’amuse à plonger dans les coulisses d’une importante municipalité pour révéler tour à tour les enjeux majeurs de la réflexion politique mais aussi les faiblesses et les petits arrangements qui accompagnent l’exercice du terrain…
Un matin, Alice débarque donc sous les ors de la mairie de Lyon… On lui attribue un petit bureau et on l’entraîne à une séance plénière du conseil municipal où Alice constate vite que Paul Théraneau baille pendant les débats. « Vous allez nous le sauver ! » lui glisse Mélinda tandis qu’Isabelle passe en coup de vent et lui lance « On en rediscute très vite… » De quoi, se demande Alice qui, sur son cahier, écrit « Un peu de modestie » et aligne les noms de Rousseau, Orwell et Illich… Lors de leur première (rapide) rencontre, le maire confie à Alice : « Ca fait vingt ans que je ne pense plus » mais le courant est passé. Plutôt qu’un coach, le maire apprécie d’avoir pour interlocutrice une philosophe… Mais bientôt, celle qui devait travailler aux idées, sera emportée, presque malgré elle, dans le quotidien d’une équipe municipale aux affaires : « Le maire veut vous voir cinq minutes, dans trois minutes »…
Politique, ton univers impitoyable ! Voilà un sujet qui manque quand même singulièrement de nouveauté ! Car la politique au cinéma nous vaut régulièrement des œuvres au rang desquelles on trouve, par exemple, La conquête (2011) de Xavier Durringer sur l’accession de Sarkozy au pouvoir, l’étonnant Pater (2011) d’Alain Cavalier, le pétillant Quai d’Orsay (2013) de Bertrand Tavernier où Thierry Lhermitte incarne un virevoltant Villepin ou encore l’excellent Exercice de l’Etat (2011) dans lequel Pierre Schoeller, en compagnie d’Olivier Gourmet et Michel Blanc, ausculte les coulisses d’un ministère en pleine tourmente.
Avec Alice et le maire, on a la (bonne) impression d’être à la fois, bien sûr, dans un film politique mais également et peut-être plus encore dans un conte moral signé Eric Rohmer. Un sentiment lié évidemment au titre du film, à la présence de Luchini, acteur éminemment rohmérien et même à une Anaïs Demoustier qui n’aurait pas déparé dans Pauline à la plage. Ce qui séduit dans cette comédie qui fait aussi penser à Frank Capra et à l’utopie de démocratie qui traverse son cinéma, c’est le ton allègre de la relation entre Alice et « son » maire. Voilà deux personnages qui n’auraient pu jamais se rencontrer et qui se découvrent presqu’intimement, en tout cas plus que ne le voudrait une relation entre un coach et son client. Car, au grand dam de l’entourage proche du maire, Alice va se rapprocher de plus en plus de Paul Théraneau qui n’hésite pas à lui téléphoner au bout de la nuit ou à la faire venir bien tard dans son bureau pour la/se questionner. La scène est savoureuse où le maire, vêtu d’un maillot de l’Olympique lyonnais, accueille Alice pour lui vanter le plaisir de porter des Birckenstock avant de s’allonger sur un tapis pour faire des étirements…
Si Pariser réussit brillamment à nous intéresser à son duo, il sait, avec malice distiller la punchline (« La liberté est plus un risque qu’une rente ») ou se faire satiriste quand soudain, à cause de la publication dans la presse d’une « petite phrase » du maire sur l’écologie qui n’est pas tout, l’équipe de communication du maire est en furie pour trouver l’autre petite phrase qui arrêtera l’incendie ou encore lorsque il s’agira de réfléchir à Lyon 2500. Sous l’œil ironique et donc perturbateur d’Alice, d’autres communicants, certainement grassement payés, délirent sur une Union des mégalopoles pour le progrès. Et puis Pariser sait se faire l’observateur avisé des mots et des concepts quand il est question de ce que peut le politique aujourd’hui, de progrès social, des pistes de citoyenneté, de prospective, du vivre ensemble ou de l’invention d’un « grand récit démocratique de notre temps ».
Alors qu’au congrès socialiste, Théraneau s’apprête à entrer dans la course à la présidentielle et demande à Alice d’écrire avec lui le « discours de sa vie », l’aventure d’Alice et du maire s’achève déjà. Ils se reverront bien plus tard. Entre temps, Alice aura eu un bébé et sera partie travailler à l’étranger…
Alice et le maire doit beaucoup enfin à sa tête d’affiche. Anaïs Demoustier, philosophe lucide et fragile, est rayonnante de grâce. Véritable témoin toujours en mouvement dans le sillage du maire, elle considère cependant avec recul le jeu des apparences. Mais lorsqu’elle glisse à un maire qui demeure alors coi, « C’est toujours un plaisir de parler avec vous », on ressent l’authentique tendresse qu’elle éprouve pour cet homme qui lui a avoué craindre les femmes. Soudain, Théraneau qui, comme tous les politiques, est toujours en représentation, fend l’armure, revèle un peu de son intimité et devient bouleversant. Fabrice Luchini (qui, dit-il, n’a jamais cherché à incarner Gérard Collomb, un maire plutôt inquiet, semble-t-il du tournage du film à Lyon) est, ici, en mode « totale sobriété ». La silhouette un peu alourdie, Luchini, dans son costume de notable de province, est d’une belle justesse. Tout juste, le retrouve-t-on en amoureux des belles lettres lorsque, prenant le livre qu’Alice vient d’offrir au maire, il dit les premières lignes des Rêveries d’un promeneur solitaire de Rousseau : « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. Le plus sociable & le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les rafinemens de leur haine quel tourment pouvoit être le plus cruel à mon ame sensible, & ils ont brisé violemment tous les liens qui m’attachoient à eux. J’aurois aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. Ils n’ont pu qu’en cessant de l’être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu’ils l’ont voulu. Mais moi, détaché d’eux & de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. Malheureusement cette recherche doit être précédée d’un coup-d’œil sur ma position. C’est une idée par laquelle il faut nécessairement que je passe, pour arriver d’eux à moi. »
Et le livre sera encore présent avec le Bartleby (1853) d’Herman Melville offert in fine par Alice au maire. Autour du fameux « I would prefer not to», le cinéaste suggère-t-il une autre façon de combattre l’appareil d’Etat?
ALICE ET LE MAIRE Comédie dramatique (France – 1h45) de Nicolas Pariser avec Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi, Léonie Simaga, Antoine Reinartz, Maud Wyler, Alexandre Steiger, Pascal Rénéric, Thomas Chabrol. Dans les salles le 2 octobre.