Le vétéran, le chômeur, le paysan, les épouses et le fan du Boss
ACTION.- Dans une montagne digne des films fantastiques des années 30 avec éclairs zébrant sans interruption un ciel noir/bleu, il passe lentement sur son cheval, vêtu d’une cape de pluie et coiffé d’un grand Stetson… À l’heure d’une énorme tempête, il aide bénévolement la police locale à retrouver des randonneurs disparus. Laconique, un policier commente: « Il ne s’est jamais remis du Vietnam mais c’est un bon pisteur… »
De retour dans son ranch (où il dort dans un vaste tunnel), John Rambo, puisqu’évidemment c’est de lui qu’il s’agit, s’inquiète de l’avenir de Gabrielle, jeune étudiante qu’il considère depuis toujours comme sa fille. Mais Gabrielle s’est mise en tête de retrouver un père qui l’avait abandonnée ainsi que sa mère très malade. Rambo est persuadé que le choix de la jeune fille est une erreur… Mais Gabrielle part cependant pour le Mexique… Elle tombe entre les mains d’un cartel de la drogue et de la prostitution et les choses se passeront très mal…
Avec Rambo Last Blood (USA – 1h41. Dans les salles le 25 septembre), Sylvester Stallone, 73 ans, ajoute une cinquième page à une saga à succès apparue sur les écrans en 1982. Disons-le tout net, ce nouveau Rambo ne changera rien à l’histoire du 7e art. Son réalisateur, Adrian Grunberg, est un honnête artisan (qui a surtout été assistant et réalisateur de seconde équipe) qui mène à bon port une aventure complètement balisée. Rambo déboulant au Mexique pour tenter d’arracher Gabby aux griffes de grands affreux, c’est l’assurance de solides violences. Mais ce n’est rien à côté de la sauvage séquence finale qui dure une bonne vingtaine de minutes. Animé par un absolu désir de vengeance, John Rambo a attiré une armée de nervis du cartel dans son ranch. Une demeure perdue au milieu de nulle part qu’il a transformé en gigantesque piège truffé de chausse-trapes en tous genres dignes, pour certaines, de celles employées par les Vietcongs que Rambo affrontait en son temps…
Alors, bien sûr, c’est la figure désormais mythique de Rambo qui est intéressante ici. La gueule plus couturée et malmenée que jamais, la voix caverneuse, les paupières tombantes, la lippe de biais, Stallone incarne pour toujours le stress post-traumatique du vétéran et le traîne comme une croix. Rambo et Sly se confondent dans un personnage qui a charrié toute la culpabilité de l’Amérique. Désormais Rambo voudrait pouvoir profiter d’un foyer chèrement gagné mais, une fois encore, la mort est passée par là. Les larmes aux yeux, le vieux soldat sait que, seuls, des fantômes le cernent. Et qu’il lui faudra (sur)vivre dans leur souvenir.
SOCIETE.- Comme tous les jours, Frank Blanchet s’est levé à 5h45 du matin et a pris une douche froide avant de partir rejoindre son bureau dans une grosse entreprise de fret maritime. Mais ce jour-là, sa vie va basculer, tant du point de vue professionnel que personnel. Sur l’un des cargos qui transportent de nombreux et immenses containers, on a découvert un clandestin. Est-il atteint de la fièvre Ebola ? Faut-il que le bateau se détourne de sa route pour retourner au Libéria et faire descendre discrètement l’encombrant passager ? Faut-il s’en débarrasser autrement ? A toutes ces questions, les réponses manquent à Blanchet. Mais ce que ce cadre supérieur sait pertinemment, c’est qu’il ne peut pas mettre la circulation de ses cargaisons en péril… Alors, seul et dans l’urgence d’une situation de crise, Frank Blanchet va prendre une décision qui lui coûte immédiatement son poste. « As-tu mesuré les risques pour toi et la compagnie ? » lui demande-t-on. En attendant, on lui demande de démissionner immédiatement. Poussant le nouveau fauteuil de bureau qu’il vient d’acquérir, sur lequel il a posé un carton avec quelques affaires, Blanchet est reconduit à la porte de la compagnie par la sécurité. Profondément ébranlé, se sentant trahi par un système auquel il a tout donné, voilà Frank contraint de remettre toute sa vie en question.
Avec Ceux qui travaillent (Suisse/Belgique – 1h42. Dans les salles le 25 septembre), Antoine Russbach signe un premier long-métrage très intéressant sur l’univers du travail. Dans ce sous-genre qu’est le « film de travail », on a vu récemment des œuvres de fiction comme La loi du marché (2015) de Stéphane Brizé ou Une valse dans les allées (2018) de Thomas Stuber. Partant d’un drame personnel pour atteindre une réflexion globale sur le travail, Russbach livre un film âpre et silencieux qui pose quasiment un regard d’entomologiste sur un personnage qui a consacré toute son existence à son job, quitte à négliger sa famille, et qui se retrouve perdu face au vide du chômage : « Une vie sans travail, je ne sais pas ce que c’est ». Venu présenter son film en avant-première aux Rencontres de Gérardmer en avril dernier, le cinéaste d’origine suisse et sud-africaine disait : « Je souhaite que l’on sorte de la salle, non pas avec des réponses mais avec des questions. Les choses auxquelles Frank a cru se retournent contre lui. Il est un individu dans les rouages de la mondialisation, une machine qui nous bouffe et nous nourrit ».
Olivier Gourmet, très mutique, est parfait en homme aux abois qui essaye cependant de sauver les apparences en faisant semblant d’aller travailler tous les jours afin de donner le change aux siens, alors même qu’il a fait de sa famille des petits bourgeois consommateurs et gâtés qu’il n’aime pas…
TERRE.- Dans un vaste champ aux sillons profonds, un homme marche vers nous. Les épaules sont tombantes, la tête basse, le regard vide… Pierre Jarjeau a toujours vécu sur cette terre qui fut, auparavant, celle de son grand-père et de son père. Mais aujourd’hui cet agriculteur est las, au bout du rouleau… En 1979, sur sa moto, Pierre fonce à travers la campagne pour rejoindre les Grands bois. Il rentre des Etats-Unis où il a travaillé dans une ferme du Wyoming. Il est revenu pour retrouver Claire, sa fiancée et reprendre l’exploitation familiale… En 1996, l’exploitation s’est agrandie, la famille aussi. Pierre Jarjeau se considère, certes toujours comme un paysan mais il se voit aussi comme un entrepreneur. De fait, c’est une course en avant que l’agriculteur vit au quotidien, entre les dettes qui s’accumulent, les avances de trésorerie obtenues à grand peine auprès de la banque, les investissements nécessaires pour assurer la survie… Tandis que son fils s’active sur le domaine, que Claire s’occupe de la comptabilité de la ferme tout en travaillant dans un cabinet (« pour remplir le frigo »), Pierre perd doucement pied. L’épuisement guette. Malgré l’amour et le soutien des siens, Jarjeau sombre petit à petit.
Au générique de fin de Au nom de la Terre (France – 1h43. Dans les salles le 25 septembre), un carton fait froid dans le dos : « Tous les jours, un agriculteur se suicide en France ». Edouard Bergeon qui a fait ses armes dans le journalisme et le documentaire, signe, ici, sa première fiction. Mais cette saga familiale est bien la sienne. Comme le personnage du film, Christian son père (dont le générique de fin montre également le vrai visage) a mis fin à ses jours… Si Au nom de la terre se suit avec intérêt, c’est moins pour la qualité de la mise en scène (même si les comédiens, Guillaume Canet, Veerle Baetens vue dans Alabama Monroe (2012), Rufus, Anthony Bajon, Samir Guesmi, sont bons) qu’évidemment pour son sous-texte politique. Car cette saga brasse des questions sur la mondialisation, les variables d’ajustement mais aussi l’élevage « clé en mains » ou la transmission…
Alors que l’agriculture est aujourd’hui largement mise en cause, le cinéaste observe: « Il faut croire en une agriculture plus vertueuse en plaçant cette fois l’homme et l’écologie au centre des problématiques. Il faut aller vers la permaculture, l’agroforesterie, le bio. Et il faut changer nos pratiques. Au sortir de la guerre, les ménages consacraient 50% de leur budget à la nourriture. Ils n’en consacrent plus que 11%. Le consommateur est-il près à mettre un peu plus d’argent pour manger mieux ? Et vivre mieux ? Ce serait une bonne chose : bien se nourrir représente aussi des économies de santé publique. »
LIBERTINAGE.- Séducteur invétéré, Edouard de Pontagnac poursuit, depuis une semaine, la belle Victoire de ses assiduités. Un jour, il la suit jusqu’à son domicile pour constater que le mari de Victoire n’est autre que son ami René Vatelin. Lorsque Victoire se plaint auprès de son mari de Pontagnac, Vatelin le prend plutôt bien. Car il a confiance en sa femme… Mais la mésaventure du couple Vatelin a lancé, dans leur société, un sujet, en forme de jeu, autour de la fidélité des uns et des autres. Tout se gâte lorsque Vatelin est rattrapé par une ancienne romance new-yorkaise. La tonitruante Suzy Wayne déboule à Paris, veut renouer avec Vatelin… Pontagnac entend profiter de cette « faiblesse » de René pour conclure avec une Victoire, prête à l’adultère, dès lors qu’elle aura eu la certitude de son infortune. Mais le jeu va se corser encore avec le jeune Ernest Rédiop, autre soupirant de Victoire et l’apparition de Clothilde, l’épouse de Pontagnac…
Acteur (déjà) au long cours, Jalil Lespert est aussi un cinéaste touche-à-tout, capable d’enchaîner film choral (24 mesures en 2007), drame familial (Des vents contraires en 2011) ou portrait biographique (Yves Saint Laurent, 2014) et donc la comédie avec cette (libre) adaptation d’une pièce écrite par Georges Feydeau en 1896. Lorsqu’on songe à l’auteur de la Puce à l’oreille, on ne peut s’empêcher d’évoquer un libertinage un peu désuet même si, sans doute, les amours et leurs dérives sont de tous les temps et de toutes les époques. D’ailleurs, Feydeau continue de se jouer, aujourd’hui, sur les scènes des théâtres.
Avec Le dindon (France – 1h 25. Dans les salles le 25 septembre), le cinéaste a choisi de situer son action au mitan des années 60 (on aperçoit une couverture de Paris Match consacré au Viva Maria ! de Louis Malle) : « Je trouvais que le début des années 60, en tout cas avant mai 68, est encore marqué par des codes sociaux et moraux similaires (à ceux de l’époque de Feydeau ndlr). On y demande la main de sa future femme à son futur beau-père, la bourgeoisie fonctionne sur des règles étriquées, basées sur un certain savoir-vivre. Mais en coulisses, tout est en train d’éclater même si ce n’est pas encore formulé ! »
Le drame, avec cette comédie, c’est qu’on ne rit quasiment jamais. Dans l’hôtel Ultimus, les portes claquent, les quiproquos sont au rendez-vous, les couples, vrais ou faux, se font et se défont. Une charmante prostituée (également lesbienne) passe par là tout comme un couple belge particulièrement lourd avec une épouse sourde et affligée de douleurs gastriques ! Et on a même de la peine pour des comédiens qu’on apprécie par ailleurs. Le seul plus, c’est certainement qu’ici, ce sont les femmes qui mènent le jeu.
Car comme le dit, fort à propos, l’affiche du film : Tout le monde peut se tromper.
MUSIQUE.- Dans l’Angleterre de 1987, alors que Margaret Thatcher est aux rênes du pays, Javed, adolescent d’origine pakistanaise, grandit à Luton, une petite ville de province qui n’échappe pas à un difficile climat social. Pour échapper au racisme quotidien mais aussi au destin que son père, très conservateur, imagine pour lui, il se réfugie dans l’écriture. Mais lorsque Roops, un copain de lycée, lui fait découvrir l’univers de Bruce Springsteen, sa vie est chamboulée. Lorsque l’Américain chante Dancing in the Dark: « Je me lève dans la soirée – Et je n’ai rien à dire – Je rentre chez moi le matin – Je vais me coucher en me sentant pareil – Je ne suis rien d’autre que fatigué – Mon gars, je suis juste fatigué et ennuyé de moi-même – Hé ma chérie, je pourrais avoir besoin d’un petit coup de main… » Javed a le sentiment que ces paroles décrivent exactement ce qu’il ressent… Un soir d’octobre 1987, tandis qu’une tempête balaye la Grande-Bretagne, Javed (Viveik Kalra) sait qu’il a touché le fond. Il ne peut plus que remonter…
Parce que le Boss a fêté ces jours-ci, ses 70 printemps, faisons un petit retour sur Music of my Life (Grande-Bretagne – 1h57. Dans les salles le 11 septembre), petite comédie sentimentale et musicale qui ne bouleverse pas le cinéma britannique. Connue pour Joue-la comme Beckham (2002), l’un des films les plus lucratifs du box-office anglais, la cinéaste Gurinder Chadha réalise, ici, un mix entre le film d’initiation, la comédie musicale et le feel good movie. Toute cette aventure, même si l’avenir du malheureux Javed paraît bien sombre, dégouline de gentillesse. Hormis les skinheads, on se doute bien que les « méchants », au premier rang desquels on trouve le père de Javed, sauront se montrer sous leur meilleur jour. Quant à Javed, il ira, dans le New Jersey, marcher dans les pas de Springsteen, pour en revenir prêt à affronter tous les défis de sa vie… Un petit film, gentil tout plein.