Douloureuses blessures d’enfance
Petite séance de rattrapage avant que le Barnum cannois n’attire à lui tous les regards… Une petit mélodie d’accordéon, un Américain qui marche dans Paris. Le cliché est connu. Dans le cas de My Old Lady, l’impression s’estompe heureusement assez vite même si, au fil de son travail, Israël Horovitz n’hésite pas à célébrer les quais de Seine avec échappée sur Notre-Dame, le brocanteur à lunettes sur le nez ou l’agent immobilier bohême (Dominique Pinon, magnifique de sensibilité)…
Mathias Gold, New-yorkais de la bonne cinquantaine, divorcé à trois reprises, alcoolique repenti et parfois suicidaire, débarque dans le Marais à Paris pour vendre l’hôtel particulier avec jardin qu’il a héritée de son père. L’affaire devrait être vite bouclée et Mathias, qui préfère se faire appeler Jim, a déjà son acquéreur. Même s’il baragouine quelques mots de français, on sent bien que Jim/Mathias n’a qu’une hâte: rentrer chez lui…
Mais lorsqu’il pénètre dans l’imposante et belle bâtisse, notre Américain tombe sur Mathilde Girard. C’est la old Lady du titre. Anglaise bon teint mais française d’adoption, Madame G. est dans les lieux depuis toujours. Et surtout elle va y rester jusqu’à sa mort puisque la maison est en viager. Cette coutume immoblière bien française passe largement au-dessus de la tête d’un Américain pragmatique qui constate qu’il ne peut vendre son héritage et se retrouve en plus à devoir payer une rente. Dont il n’a pas le premier sou.
A partir de cette situation, on aurait pu construire une jolie comédie. Ce n’est pas le cas pour Israël Horovitz qui adapte, ici, la pièce qu’il avait montée à New York en octobre 2002 et qui avait été un important succès. D’ailleurs, elle avait tourné, notamment en Europe et avait été présentée à Paris sous le titre Très chère Mathilde avec Line Renaud dans le rôle-titre.
Dramaturge et metteur en scène de notoriété internationale, Israël Horovitz signe pourtant, avec My Old Lady, sa première oeuvre cinématographique. En donnant au passage un coup de chapeau à un Paris poétique, une ville qu’il aime et où il a vécu. Avec l’aspect viager, Horovitz joue la carte d’une pratique quasiment ubuesque avant de faire dériver son oeuvre vers un propos bien plus grave. Au fil de ses rencontres ou de ses dîners (arrosés de Gigondas ou de Chablis) avec Mathilde, Jim va comprendre que la vie de Madame G. et la sienne sont intimement liées. Jim découvre aussi que Chloé, la fille de Mathilde Girard (un personnage largement développée par rapport à la pièce de théâtre), a connu comme lui des affres d’enfance. Ces deux êtres qui s’étaient croisés enfants et qui s’étaient détestés, se retrouvent peu à peu dans la même situation. Dans la maison labyrinthique, Horovitz enchevêtre aussi les destinées douloureuses, les blessures d’enfance de Jim et Chloé. Avant d’achever son film sur une note plus lumineuse mais toujours amoureuse… Horovitz cite Beckett: « Si tu ne m’aimes pas, je ne serai jamais aimé ». Et cette phrase vaut autant pour Mathilde et ses amours enfuis que pour Jim et Chloé, losers fragiles parce qu’enfants mal-aimés…
Dans le beau décor de la Manufacture des Gobelins, dans le 13e arrondissement de Paris où Israël Horovitz a pu tourner son My Old Lady, le cinéaste s’appuie sur un beau trio de comédiens qui évitent toujours un possible pathos. Maggie Smith est une Mathilde âgée mais qui conserve toujours le goût de la manipulation et le sens du secret. Kristin Scott Thomas est une Chloé triste qui s’ouvre lentement à la vie. Quant à Kevin Kline dont on se souvient toujours qu’il fut, en 1988, l’extravagant Otto d’Un poisson nommé Wanda, c’est aussi une grande figure du théâtre américain. Son Jim paumé est magnifique lorsqu’on évoque le fait de mettre « l’enfant que j’étais sur les genoux de l’homme que je suis pour le rassurer… » et qu’il répond: « L’enfant que j’étais est sur les genoux de l’homme que je suis et mes mains sont nouées autour de sa gorge… »
Un beau film mélancolique où les personnages se demandent toujours comment une âme peut battre des mains.
MY OLD LADY Drame (USA – 1h42) d’Israël Horovitz avec Kevin Kline, Maggie Smith, Kristin Scott Thomas. Dans les salles le 6 mai.