Le geôlier, Zunaira et la liberté
« Est-ce que tu penses qu’on entendra de nouveau de la musique à Kaboul ?» Dans la voix de Nazish, vieil homme borgne qui trimballe tout ce qu’il possède sur une petite carriole, ces mots résonnent tragiquement. Nous sommes pendant l’été 1998, la capitale afghane est en ruines et les talibans y règnent sans partage… C’est dans ce monde clos, où le coup de cravache vient sanctionner, dans la rue, un mot de trop, une paire de chaussures blanches entrevues sous un tchadri ou simplement des manches de chemises relevées au-dessus du coude, que quatre personnages vont croiser leurs destinées…
Atiq (avec la voix de Simon Abkarian) est gardien dans une prison de Kaboul et il vit avec Mussarat (voix : Hiam Abbass), une femme atteinte d’un cancer en phase terminale. Mohsen (voix : Swann Arlaud) et Zunaira (voix : Zita Hanrot) ont été enseignants à l’université de Kaboul. Mais celle-ci est désormais fermée et livrée aux quatre vents, tout comme d’ailleurs le théâtre-cinéma où les jeunes Afghans d’avant le régime taliban, aimaient à se retrouver pour rêver.
Si Mohsen hante parfois les salles vides et délabrées de l’université où il croise l’un de ses anciens maîtres qui le pousse à enseigner dans des circuits parallèles et secrets, Zunaira ne sort presque pas et dessine sur les murs de leur modeste appartement… Un jour, Mohsen assiste, écoeuré et révulsé, à la lapidation publique d’une femme. Mu par on ne sait quelle pulsion, il ramasse une pierre et la lance… De retour chez lui, Mohsen se confie à Zunaira… Les deux décident de sortir et de marcher dans les rues… Mais Zunaira, humiliée par des talibans, est contrainte de se tenir en plein soleil, sous son tchadri, contre un mur tandis que Mohsen doit aller écouter un prêche à la mosquée. Enfin, de retour chez eux, les deux se disputent. « Ce sont tous les hommes que je hais définitivement » crie Zunaira en colère. Et s’adressant à Mohsen, elle lance : « Tu veux faire quelque chose ? Va demander aux talibans de changer la charia qui m’oblige à porter ce linceul… » Las, Mohsen chute accidentellement et se tue… Immédiatement accusée de meurtre, Zunaira est incarcérée… Derrière les barreaux, elle retire son tchadri, dévoile sa longue chevelure noire et se met à dessiner sur les murs sous le regard d’Atiq, garde-chiourme soudain bouleversé par sa jeunesse et sa beauté…
En adaptant Les hirondelles de Kaboul publié en 2002 chez Julliard par Yasmina Khadra, Zabou Breitman et la créatrice graphique Eléa Gobbé-Mévellec, dans sa première réalisation de long-métrage, réussissent une véritable pépite de cinéma.
En s’appuyant sur une animation de belle qualité qui privilégie les couleurs et les ambiances pastels, Les hirondelles de Kaboul emporte, sans coup férir, le spectateur dans un quotidien d’où les rêves de liberté sont bannis, où le seul fait de se tenir la main dans la rue, voire de s’embrasser est un crime aux yeux de fanatiques islamistes pour lesquels la femme est synonyme d’insupportable tentation qui détourne les hommes de Dieu… Le film fait la part belle à la vie quotidienne, aux marchés, aux chats errants, aux ruines, aux enfants qui jouent au foot, aux anciens combattants mutilés qui refont interminablement la guerre contre les Russes, à la misère partout tandis que, dans la poussière, des pick-ups passent à vive allure, chargés de talibans armés jusqu’aux dents et tirant sur les hirondelles… Mais au-delà de cette réalité afghane au temps où les talibans avaient le pouvoir, se pose aussi la question de la fuite ou de rester pour mener le combat de l’intérieur…
Pour avoir fait en tant qu’actrice, des voix de films d’animation, Zabou Breitman estimait que ces voix étaient souvent plaquées de manière un peu trop « propre ». Alors elle a fait le choix de commencer son travail par les acteurs, les animateurs devant les écouter, les regarder, s’en inspirer. Du coup, les voix définitives ont été enregistrées dans un grand studio, les acteurs étant en costumes, avec des accessoires. « Des acteurs, dit la cinéaste, dont je connais le talent. Ils joueront en connaissant leur texte comme au cinéma, pas en le lisant. Ils se battront, ils mangeront des pistaches, boiront, ils s’enlaceront pour les scènes d’amour. Ils seront dans le temps juste de l’émotion, dans le rythme intime de la pensée… » Du coup, les mouvements dans Les hirondelles de Kaboul ne sont pas ceux, souvent expressionnistes, de l’animation habituelle. Tandis que les acteurs étaient filmés pendant l’enregistrement des voix, les animateurs s’appliquaient à reproduire leurs gestes et leur rythme. « J’ai demandé, dit encore Zabou Breitman, aux acteurs de tousser s’ils voulaient, d’hésiter s’ils voulaient. De ne pas craindre les balbutiements, et même les petites improvisations. Et c’est ça précisément que les animateurs ont dû animer : les doutes, les à-peu-près, la fragilité, les raclements de gorge, les hésitations, et même, le plus difficile, le presque immobile. Ils ont animé les défauts. Je voulais travailler « à l’envers » c’est à dire à l’endroit pour moi : l’émotion en premier. »
De fait, Les hirondelles de Kaboul est une belle réussite. Qui affirme que, face à l’oppression, ici d’un régime islamiste totalitaire, il faut vivre. Et c’est bien une femme qui fera frémir l’âme d’Atiq, celui qui affirmait : « Ne sommes-nous pas tous morts depuis longtemps ? »
LES HIRONDELLES DE KABOUL Drame d’animation (France – 1h21) de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec avec les voix de Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud, Hiam Abbass, Jean-Claude Deret, Michel Jonasz, Pascal Elbé. Dans les salles le 4 septembre.