Lettre d’amour à un Hollywood disparu
Aucun doute n’est possible : le cinématographe est né en France. Cocorico ? Sans doute n’est-ce pas nécessaire… On a beau aimé Louis Jouvet et Jean Gabin, Sacha Guitry et Julien Duvivier, François Truffaut et Jean Renoir, Gérard Philipe et Michel Serrault, force est de reconnaître que notre œil de spectateur palpite avec bonheur lorsqu’il est question d’Hollywood. Voici alors que déboulent Bogart, Cooper, Grant, Astaire, Welles, Ford, Wyler, Mann, Wilder, Scorsese, Marilyn, Ava, Gene, Rita et les autres…
Quentin Tarantino a autrefois été de notre côté, celui des spectateurs. La légende tarantinienne affirme qu’enfant, il dévorait des films dans les salles obscures, notamment ceux de la blaxploitation et de kung fu. A 15 ans, on le dit projectionniste dans un cinéma porno et, à seize, vendeur dans une célèbre boutique de location de vidéos d’Hermosa Beach, en Californie. Idéal pour se forger une (énorme) culture filmique traversée par Melville, Godard, Rohmer, John Woo, Imamura, Fuller, Aldrich, Kurosawa…
Avec Once Upon a Time in Hollywood, Tarantino signe son dixième long-métrage et probablement son œuvre la plus référencée mais aussi la plus mélancolique, en tout cas la plus douce-amère, voire la plus émouvante.
Nous sommes le samedi 8 février 1969 et Rick Dalton, star, dans les années 50, de la série télévisée Le Chasseur de primes, n’a plus franchement le moral. Il faut toute l’amicale bonhomie de sa doublure cascades Cliff Booth (et pas mal d’alcool) pour lui remonter le moral quand il affirme, les larmes aux yeux, qu’il est désormais un has-been. Pire, son agent Marvin Schwarz lui suggère fortement de s’envoler pour Rome où Sergio Corbucci, le second plus remarquable réalisateur de western spaghetti, l’attend pour lui confier des rôles…
A l’apogée du mouvement hippie et au moment de l’avènement du « Nouvel Hollywood », les inséparables Dalton et Booth (devenu également chauffeur parce que Rick s’est vu retirer son permis pour alcoolisme) assistent en effet à la métamorphose artistique d’un Hollywood qu’ils ne reconnaissent plus du tout et dans lequel ils ont un mal de chien à relancer leurs carrières… Mieux encore, Dalton constate assez amèrement qu’il est voisin avec Roman Polanski (devenu grâce à Rosemary’s Baby, l’un des cinéastes les plus bankables d’Hollywood) et Sharon Tate mais que ces derniers lui sont quasiment inaccessibles. Tout ce à quoi il aspire –les grands metteurs en scène et les grands acteurs et le glamour qu’ils inspirent- est à la fois très proche et très loin de lui… Cliff Booth, lui, semble déjà avoir tiré un trait sur ses rêves et il se contente de rentrer le soir pour regarder la télé, boire et nourrir sa grosse chienne Brandy…
1969 fut aussi une année noire pour Hollywood puisque le 9 août 1969, qui s’avèrera être le jour le plus chaud de cette année, la comédienne Sharon Tate, 26 ans, épouse de Roman Polanski (alors en tournage à Londres) et enceinte de huit mois, est sauvagement assassinée chez elle, avec plusieurs de ses amis, par trois membres de la « famille » Manson, une secte satanique.
En s’emparant d’une matière évidemment abondante et de personnages passionnants qui appartiennent tout à la fois à la fiction et à la vraie histoire d’Hollywood, Tarantino, avec un magnifique sens de la mise en scène, embarque sans coup férir le spectateur dans une aventure de 2h41 où l’on ne voit pas le temps passer. Le cinéaste et scénariste de 56 ans passe, dans un récit foisonnant, d’un tournage de série télé westernienne à une soirée à la Play Boy Mansion et du toit de la villa de Dalton où Cliff répare l’antenne de télé et voit passer Charles Manson au Spahn Movie Ranch que les adeptes de Manson se sont accaparés… Et pendant ce temps, à l’invitation de son directeur, Sharon Tate se glisse discrètement dans le Bruin Theatre de Los Angeles, une salle de cinéma qui projette The Wrecking Crew (Matt Helm règle son compte, 1968) dans laquelle elle incarne la ravissante Freya Carlson qui trébuche, tombe à la renverse et révèle sa jolie culotte blanche à un Dean Martin émoustillé. Clairement, Sharon apprécie les rires et les cris du public ! Pour le reste, on ne « spoilera » pas la chute d’Once Upon… mais on peut noter que Tarantino nous refait le coup de la mort d’Hitler dans Inglorious Basterds relevé à la sauce sanglante de Réservoir Dogs ou Django Unchained…
Ajoutons à cela une b.o. qui déménage (avec Deep Purple, Bob Seger, Paul Revere and the Raiders, Buffy Sainte-Marie, Simon et Garfunkel, Los Bravos, Dee Clark, Neil Diamond, Les Stones, Joe Cocker et on en oublie) et un casting monumental. Margot Robbie, vue naguère dans Moi, Tonya et Marie Stuart, reine d’Ecosse, est une Sharon Tate tout à fait pimpante et, pour ne citer que lui, Damian Lewis est étonnant en Steve McQueen. Quant aux têtes d’affiche, elles jouent, avec une jolie complicité, le jeu à l’unisson sans tenter de se voler la vedette. Leonardo DiCaprio (qui essuie une larme quand une gamine nourrie à l’Actor’s Studio, lui glisse qu’il a été brillant) campe un comédien qui s’interroge sur ses rêves inassouvis alors que l’âge vient… Avec parfois un faux air de Robert Redford, Brad Pitt incarne, lui, avec quasiment de la tendresse, un stunt-man qui n’est plus le bienvenu sur les tournages mais qui cultive une indéfectible loyauté envers son « boss ».
Une fois de plus, Tarantino, tout en s’appuyant sur un propos qui réveille des résonances intimes, réussit un film de fou de cinoche en adressant une lettre d’amour à un Hollywood disparu. Once Upon a Time in Hollywood est typiquement le genre de film dont on se parle immédiatement dans le hall du cinéma ou dans un bistrot. En savourant le clin d’œil à La grande évasion (dans laquelle Tarantino a incrusté Leo/Rick) ou encore en se refaisant à l’infini la scène de baston entre Cliff Booth et… Bruce Lee.
ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD Comédie dramatique (USA – 2h41) de Quentin Tarantino avec Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino, Emile Hirsch, Margaret Qualley, Timothy Olyphant, Julia Butler, Dakota Fanning, Bruce Dern, Mike Moh, Luke Perry, Damian Lewis. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 14 août.