Lee Israel, l’arnaqueuse aux mots d’esprit
Ah, ce n’est pas la belle vie que celle de la new-yorkaise Lee Israel ! Dans le froid de l’hiver de 1991, Lee se retrouve sur le trottoir, virée de son emploi sans intérêt pour avoir envoyé un employé se faire voir et avoir bu du whisky pendant le boulot. Dans son petit appartement de Manhattan envahi par les mouches mortes, elle retrouve son seul ami, Jersey un vieux chat… Un verre d’alcool de plus à la main, affalée dans son canapé, elle regarde The Little Foxes (1941) à la télévision et s’amuse à dire, en même temps que Bette Davis, les dialogues du film de William Wyler. Mais tout cela ne l’aide guère à trouver le moyen de joindre les deux bouts… Au bout du rouleau, solitaire et paumée, Lee se demande comment elle va pouvoir se sortir de la mouise…
De ce côté-ci de l’Atlantique, Lee Israel est une parfaite inconnue. Dans le monde littéraire de New York, elle fut une célébrité. Née en décembre 1939 dans une famille juive de Brooklyn, Lee commence, dans les années soixante, une carrière d’écrivaine indépendante. Dans les années 1970 et 1980, elle écrit des biographies, de l’actrice Tallulah Bankhead, de la journaliste et animatrice de jeux télévisés Dorothy Kilgallen et de la femme d’affaires Estée Lauder. La biographie de Kilgallen sera bien accueillie par la critique et apparaîtra sur la liste des meilleures ventes du New York Times…
Pourtant à l’orée des années 90, l’auteure ne trouve plus d’éditeur pour sa nouvelle biographie consacrée à la star du muet Fanny Brice. Quant à Marjorie, son agent, elle évite de la recevoir. Ce qui n’empêche pas Lee de se glisser dans une de ses réceptions où elle boira des verres, râlera contre des auteurs à succès qualifiés de crétins pédants avant de dérober du papier toilette et un pardessus chaud au vestiaire… Pour se faire un peu d’argent, Lee essaye de vendre de vieux livres à un soldeur. Lorsqu’elle clame qu’elle fut un auteur à succès, le commerçant lui désigne du doigt ses biographies soldées à 75% de leur valeur… Alors, Lee va se décider à se séparer d’une lettre que lui avait adressée la grande Katharine Hepburn. Même si le contenu de la lettre de la star de L’impossible Monsieur Bébé est assez insipide, Lee va en tirer 175 dollars dans une boutique spécialisée… Soudain, une petite lumière s’est allumée dans la tête de Lee Israel…
En s’appuyant sur Can You Ever Forgive Me ?, l’autobiographie de Lee Israel parue en 2008 chez Simon & Schuster à New York, la cinéaste Marielle Heller a construit une farce criminelle douce-amère autour d’une solide arnaque qui a permis à Lee Israel de développer une nouvelle forme littéraire à travers la contrefaçon. Si elle sèche tristement devant la feuille blanche glissée dans sa machine à écrire, Lee se découvre un joli talent lorsqu’il s’agit de faire parler des célébrités de la littérature anglo-saxonne. Soudain, grâce à son imagination et à sa verve, l’auteure va donner du relief et du caractère à des lettres qui ne valaient essentiellement que pour la signature prestigieuse en bas de page…
Petit à petit, Lee va affoler le petit monde, discret mais fortuné, des collectionneurs de mémorabilia de célébrités. Ainsi elle met sur le marché une missive où Noël Coward distille son venin sur Marlène Dietrich ou encore des lettres pleines de brio de Dorothy Parker, Lillian Hellman ou Louise Brooks…
Dans un récit d’atmosphère -l’action est, ici, inexistante- qui musarde entre les petites boutiques de libraires, la prestigieuse New York Public Library, des bars sombres et des restaurants modestes de Big Apple (le film a été vraiment tourné à New York à la différence de beaucoup d’autres où Toronto en tient lieu), Marielle Heller, réalisatrice, en 2015, d’un premier long-métrage (The Diary of a Teenage Girl) réussit l’attachant portrait de deux grands solitaires largués par la vie. Car Lee Israel, lorsque le FBI commencera à s’intéresser de trop près, à sa petite entreprise, sera contrainte de s’acoquiner avec Jack Hock, un escroc sans envergure, spécialisé dans les vols à l’étalage dans les pharmacies. Ces deux-là feront leur business criminel tout en picolant dur et en se découvrant peu à peu… Si Jack Hock permet au comédien britannique Richard E. Grant, vu notamment chez Altman (The Player, Gosford Park, Prêt-à-porter) mais aussi chez Jane Campion (Portrait de femme) ou Scorsese (Le temps de l’innocence) de composer un touchant et pathétique personnage de paria homosexuel qui observe : « Je fais des choses et d’autres. Surtout d’autres », Les faussaires de Manhattan repose évidemment sur la passionnante figure de Lee Israel. Mal embouchée, lesbienne, terriblement solitaire, alcoolique, cette femme de 51 ans qui n’est pas véritablement une bombe et qui préfère les chats aux gens, se lance dans une aventure plagiaire dont elle dira, en comparaissant dans un tribunal : « Je suis fière de mon boulot et j’avoue que ce fut la meilleure période de ma vie ».
Actrice américaine de 48 ans qui a accédé à la reconnaissance mondiale grâce à son rôle dans la comédie Mes meilleures amies (2011), Melissa McCarthy est surtout connue pour ses talents de comique qu’elle a largement exercé au cinéma mais aussi à la télévision, dans le fameux Saturday Night Live. Avec Les Faussaires…, elle révèle un vrai potentiel dramatique qui lui a d’ailleurs valu d’être nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice.
On s’attache sans peine à cette Lee Israel organisant avec soin son arnaque qui lui permettra, in fine, en la racontant, de revenir à l’écriture. Et même l’ébauche d’une romance avec Anna, la bibliothécaire solitaire, passe la rampe…
Même, après la mort de Lee Israel en 2014, certaines de ses contrefaçons se vendaient encore à des collectionneurs comme des documents authentiques !
LES FAUSSAIRES DE MANHATTAN Comédie dramatique (USA – 1h46) de Marielle Heller avec Melissa McCarthy, Richard E. Grant, Dolly Wells, Ben Falcone, Gregory Korostishevsky, Jane Curtin, Stephen Spinella, Christian Navarro, Anna Deavere Smith. Dans les salles le 31 juillet.