Rachel Currin au coeur des mensonges
« Mon père est mort. De nouveau ». Le message, sibyllin, tombe sans autre sur le portable de Thomas. Pour ce dernier, l’information est claire et surtout très urgente. Ce code est un appel au secours de Rachel Currin, un agent du Mossad en poste à Téhéran, qui demande ainsi à être exfiltrer très vite d’Iran…
Avec The Operative, le cinéma réveille les riches heures de l’espionnage sur grand écran. Cependant, en adaptant The English Teacher, le best-seller de l’ancien agent israélien Yiftach Reicher Atir, le réalisateur Yuval Adler s’emploie à casser l’image mythique de l’espion. Le personnage de Rachel Currin est loin d’être une Mata Hari. Sa manière d’œuvrer ne ressemble en rien aux actions d’éclat du bien-aimé James Bond, de Jason Bourne, Ethan Hunt ou OSS 117.
À la fin des années 2000, alors que le monde craint que l’Iran ne se dote de l’arme atomique, Rachel Currin disparaît des écrans radar du Mossad, les services secrets israéliens pour lesquels elle était en mission de longue durée à à Téhéran. Une disparition sans laisser de traces qui met évidemment les services secrets israéliens (« Le Mossad n’aime pas les surprises », glisse Thomas à Rachel) dans tous leurs états. Alors même qu’il était plutôt sur la touche, Thomas, le référent de Rachel, est convoqué d’urgence au siège européen du Mossad et instamment privé de retrouver celle dont il avait supervisé les débuts dans l’espionnage.
Dans The Operative, dont l’action se déroule de Téhéran à Jérusalem en passant par Leipzig et Cologne, le cinéaste israélien organise, à coup de flash-backs, le portrait d’une désormais ex-agente du Mossad… Dans son second long-métrage (après Bethléem en 2013), Adler s’attache donc au travail d’une espionne dont l’ordinaire va consister à endosser une identité (Rachel se prénomme-t-elle seulement Rachel ?) et à l’assumer pleinement pendant une longue période. Il s’agit alors de simuler un quotidien, de s’appliquer à ne pas attirer l’attention, en marchant beaucoup, en allant dans les commerces et les cafés, en s’efforçant de connaître les coutumes locales, tout cela en renonçant à une vie normale mais aussi en se mettant en danger pour mener sa mission à bien…
Mais The Operative est intéressant aussi au-delà de l’immersion de Rachel en territoire ennemi. Car ce thriller qui sait ménager quelques moments d’action (la séquence dans l’ascenseur est brève mais violente, celle des bombes acheminées dans une voiture contient une scène sexuelle dérangeante) cerne aussi une femme installée à Téhéran qui avoue : « Je suis seule mais je ne me sens pas seule ». De fait, ce qui caractérise Rachel, c’est sa capacité (obligatoire pour une espionne undercover) à s’inscrire dans un mensonge permanent. Si Rachel entretient avec Thomas une relation compliquée de confiance, de dépendance, de ressentiment et de manipulation réciproque, elle est, par contre, dans une relation inattendue avec l’homme d’affaires Farhad Razavi, sa source iranienne. Curieusement, Rachel est plus ouverte avec Farhad, tant émotionnellement que sexuellement, justement parce qu’elle lui cache tout et qu’elle lui ment constamment… Avec Thomas et Farhad, Rachel avance dans un récit triangulaire classique qui n’enlève cependant rien à la tension qui règne dans l’action. « The Operative, observe le metteur en scène, est à mes yeux un drame intime qui sonde les rapports de force entre le professionnel et la vie privée. (…) Ma priorité, dans ce thriller stylisé, est avant tout le visage des personnages et l’exploration de leur monde intérieur. »
Si The Operative donne du Mossad (occupé à vendre à l’Iran du matériel « infecté ») une image grinçante et clairement peu sympathique, le film pose sur l’Iran un regard plus nuancé. « Ce n’est pas ce qu’on imagine en Occident », dit un personnage. Quant à Farhad (le Canadien Cas Anvar vu en Dodi Al-Fayed, en 2013, dans Diana), séduit par cette étrangère mystérieuse, il lui ouvre quelques portes sur l’Iran. En l’entraînant dans des fêtes dansantes où l’alcool, la drogue et le sexe sont l’apanage de tous, Farhad explique : « Les gens, ici, ont tous des secrets » et de préciser que c’est une seconde nature iranienne de s’ingénier à tout garder secret…
Sous la couverture d’une prof d’anglais et de français, Rachel Currin va, in fine, devenir un électron libre incontrôlable pour son employeur. Et c’est Rachel elle-même qui va se mettre dangereusement hors-jeu lorsqu’elle affirme à Thomas (Martin Freeman) que c’est la première fois qu’elle a pris une décision qui lui appartienne…
Quasiment omniprésente à l’écran, Diane Kruger campe une Rachel au visage souvent hâve, marqué et aux aguets qui pourrait être une lointaine cousine de Georges Smiley, Harry Palmer ou Ulysses Diello, l’espion excellemment mis en scène par Mankiewicz dans L’Affaire Ciceron (1952). Ni juive, ni israélienne et donc suspecte d’entrée pour le Mossad malgré son dévouement à la cause, Rachel se révèle une espionne de qualité. C’est Farhad Razavi qui la résume sans doute le mieux lorsqu’il lui dit : « Impossible de savoir ce qu’il y a derrière ton masque ! » On avait apprécié la comédienne aussi bien chez Tarantino (Inglorious Basterds) que chez Benoît Jacquot (L’adieu à la reine), chez Jaco Van Dormaël (Mr. Nobody) que chez Fatih Akin dont In the Fade lui valut, en 2017, le prix d’interprétation au Festival de Cannes. Avec The Operative, elle ajoute une nouvelle bonne page à sa filmographie…
THE OPERATIVE Thriller (Israël/Allemagne – 1h56) de Yuval Adler avec Diane Kruger, Martin Freeman, Cas Anvar, Johanan Herson, Liron Levo, Doron Tsabari, Rotem Keinan, Ohad Knoller, Aryeh Cherner, Vladimir Friedman. Dans les salles le 24 juillet.