Rose-Lynn, trois accords et la vérité
« T’es la future Dolly Parton ! » Tandis que Rose-Lynn s’apprête à quitter la prison de Glasgow où elle a purgé une peine d’un an de détention, ses désormais anciennes co-détenues l’encouragent ainsi… Mais ce n’est pas tellement l’avis du surveillant qui lui ouvre la porte sur la liberté : « Elle ne va pas me manquer ta saleté de country au réveil ! »
Avec Wild Rose, le réalisateur Tom Harper livre un de ces films qui font la part belle à une trajectoire humaine où les choses n’étaient pas gagnées d’avance… Car son héroïne n’est pas, si on peut dire, un cadeau. Bien sûr Rose-Lynn Harlan a la passion de la musique country chevillée au corps mais, pour le reste, c’est quand même assez chaotique. Au fil du récit, on comprend pourquoi Rose-Lynn a été condamnée à de la prison mais aussi et surtout comment elle s’arrange –ou pas- de l’éducation de ses deux enfants, nés alors qu’elle n’avait pas 18 ans, et qui ont été pris en charge, pendant sa détention, par sa mère (Dame Julie Walters, immense comédienne britannique)…
« Dans certains films, observe le cinéaste, le protagoniste est quelqu’un de bien qui affronte la société et surmonte les obstacles qui se dressent sur son chemin. Tout est bien balisé. La trajectoire de Rose-Lynn est plus complexe dans la mesure où on n’est jamais vraiment sûr de vouloir qu’elle réussisse dans sa carrière de chanteuse, surtout si c’est au détriment de ses rapports avec ses enfants… »
Drôle et agressive, pleine d’assurance et en même temps très vulnérable, Rose-Lynn Harlan est une fille de Glasgow, passablement incontrôlable, avec un sacré culot, un brin de grossièreté mais sans aucune méchanceté. Et puis, la jeune femme, qui cache un bracelet électronique à la cheville, sous ses bottes western blanches, a un rêve chevillé au corps : devenir une chanteuse de country et un objectif à atteindre : partir à Nashville, Tennessee, la Mecque de cette musique populaire et américaine…
Mais, pour parvenir à tutoyer le ciel de la country, Rose-Lynn devra apaiser ses doutes, surmonter ses faiblesses, régler sa relation avec Marion, sa mère, organiser celle avec ses enfants et enfin envisager le développement de sa carrière. Autant dire que le programme est chargé. Et même lorsque, dans son boulot de femme de ménage dans une luxueuse demeure, Rose-Lynn voit s’entrouvrir, après d’une patronne (Sophie Okonedo) en pleine découverte de la country, la possibilité de partir à Nashville, ce ne sera pas encore chose faite. Parce que Rose-Lynn n’en a pas fini avec ses mensonges et ses démons passés…
A la manière de bien des films anglais, de The Full Monty (1997) à Billy Elliot (2000), Wild Rose est un film ambitieux sur un personnage modeste qui cherche à transcender sa condition… Ambitieux, le film l’est aussi parce qu’il se veut autant le portrait de Rose-Lynn Harlan qu’un vibrant hommage à la musique country. La scénariste du film Nicole Taylor constate : « L’émotion que procure la country permet aux gens de se désinhiber, surtout dans une ville comme Glasgow. Je suis moi-même originaire de Glasgow et j’ai toujours été obsédée par la country. Je crois que c’est une musique qui plaît beaucoup aux gens qui n’ont pas l’habitude de faire part de leurs sentiments. Mais quand ils entendent de la country – une musique brute et pure qui n’a pas peur d’être sentimentale –, ils vivent une expérience cathartique. Pour moi, elle a cette fonction depuis que j’ai 12 ans ; c’est un exutoire. La country a du succès dans les régions où les gens sont pudiques et n’aiment pas dévoiler leurs sentiments – et Glasgow en fait indéniablement partie. J’ai l’impression de pouvoir laisser libre cours à toutes mes émotions au cours des deux minutes trente que dure une chanson de country. C’est un langage pour ceux qui n’arrivent pas à exprimer leurs émotions… »
Avec une bande originale, composée d’une grosse vingtaine de titres, qui mélange des chansons country classiques et contemporaines toutes adaptées aux besoins du scénario, Wild Rose est, forcément, un film tour à tour entraînant et baigné de nostalgie.
In fine, si Tom Harper fait passer sa Rose-Lynn par la case Nashville (la réceptionniste du motel où la jeune femme descend, lui lance, comme, dit-elle, à tous ses clients : « Que vos larmes se chantent et deviennent des tubes »), c’est pour lui permettre de prendre définitivement confiance en elle. Car, ce n’est pas sur les scènes de Nashville et dans les pas de Patsy Cline, Bonnie Raitt ou Emmylou Harris, que la rousse habitante de Priesthill atteindra son Shangri-La mais bien sur les planches du Grand Ole Opry de Glasgow. Là, face aux siens, réconciliée, elle pourra chanter : « Qu’on est bien chez soi… » Sur son bras, Rose-Lynn avait fait tatouer la définition de la country : « Trois accords et la vérité ». Et c’est bien dans la cité écossaise qu’elle tenait enfin sa vérité.
Si Wild Rose est enfin un film attachant au-delà d’un propos évidemment généreux, c’est aussi à cause de son interprète. Irlandaise de Killarney, Jessie Buckley, 29 ans, chanteuse et actrice de théâtre et de télévision, a une belle et tonique présence… Dans sa courte filmographie, Wild Rose (son quatrième film de cinéma) lui a déjà valu de figurer parmi les « jeunes espoirs du cinéma anglais » aux derniers BAFTA, les équivalents britanniques des César.
WILD ROSE Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h 40) de Tom Harper avec Jessie Buckley, Julie Walters, Sophie Okonedo, Daisy Littlefield, Adam Mitchell, James Harkness, Bob Harris, Jamie Sives, Ryan Kerr, Nicole Kerr, Doreen McGillivray, Louise McCarthy. Dans les salles le 17 juillet.