Cinéma d’été: De Fritz Lang l’Allemand à Coppola, version finale
L’été, saison d’enfer pour les salles obscures ? Ce fut assurément longtemps le cas. Et sans doute, ne savait-on pas trop pourquoi. Sinon que l’on constatait que les cinémas ne se remplissaient guère durant la belle saison. Trop chaud ? Allons donc, les salles sont agréablement climatisées… Il est vrai surtout que les distributeurs se montraient alors plutôt timorés lorsqu’il s’agissait de sortir de « gros » films, préférant attendre fin août, septembre et la rentrée pour envoyer sur les écrans les gros calibres… Depuis quelques années, les blockbusters d’action avaient aussi déserté l’été au profit des blockbusters familiaux comme, cette année, Le roi Lion (le 17 juillet), Toy Story 4 (sur les écrans depuis le 26 juin), Comme des bêtes 2 (le 31 juillet) ou Playmobil, le film (le 7 août).
Cependant, cet été, le blockbuster hypervitaminé, façon bourre-pifs à volonté, fait son retour avec un titre, un seul mais qui va tout casser sur son passage. On parle évidemment de Fast and Furious : Hobbs & Shaw (le 7 août) qui réunit le duo de gros bras le plus explosif du genre. On a nommé Dwayne Johnson et Jason Statham.
Mais enfin, ce n’est pas tellement ce cinéma-là qui nous fait vibrer. On l’avoue. De fait, c’est plutôt du côté d’un Fritz Lang que nous porte nos plaisirs cinéphiliques. Et là, l’occasion est belle, dès le 17 juillet, de retrouver deux pépites de la dernière période du maître viennois devenu américain en 1935. On pense bien sûr au Tigre du Bengale et au Tombeau hindou.
INDE.- Après vingt années d’absence, Lang est de retour en Allemagne en 1956. Ce qu’il a sans doute vécu comme un exil américain s’achève. Mais la « parenthèse » hollywoodienne a pourtant été riche. Entre 1936 et 1956, il réalise 22 films dont certains, comme Fury (1936), Espions sur la Tamise (1944), La femme au portrait (1944) ou Règlement de comptes (1953) sont de petits bijoux.
Mais revenu dans son pays natal, l’homme au monocle peut enfin réaliser ces deux films qu’il avait écrit, plus jeune, en compagnie de Thea Von Harbou, mais dont le producteur, Joe May, lui avait, en 1921, retiré la réalisation. Lang concrétise enfin son rêve, et boucle la boucle en réalisant le film d’aventures populaire sur une Inde fantasmée qui lui tient à cœur, éclatant de couleurs, à regarder avec des yeux d’enfants, comme un conte de fées.
Dans Le tigre du Bengale (1958), l’architecte Henri Mercier (Paul Hubschmid) se rend à Eschnapur, en Inde, où le souverain le charge de construire un nouvel hôpital. Au cours de son voyage, Mercier croise Seetha, une jeune et jolie danseuse qu’il sauve des griffes acérées d’un redoutable tigre. Bientôt, une tendre idylle se lie entre Mercier et la belle. Mais le maharadjah s’est lui-même épris de Seetha, et Mercier devient ainsi son principal rival…
Dans Le Tombeau hindou (1959), en fuite du palais de Chandra, la belle Seetha (Debra Paget) et Mercier (Harald Berger dans la version allemande) sont recueillis, épuisés, par une caravane. Poursuivis par Ramigani, le frère du maharadjah, ils doivent se réfugier dans la montagne, où ils sont finalement capturés. Ils sont ramenés à Eschnapur, où Seetha est soumise au jugement des dieux, la danse (au demeurant, complètement fantaisiste) du cobra…
Les deux films doivent peu à la logique commerciale, encore qu’ils aient très bien marché lors de leur sortie en 1959, et beaucoup à la prédestination. Le retour de Lang au pays est aussi extravagant que la renaissance du serial, genre tombé en désuétude à l’orée des années 1950, auquel le réalisateur allemand restera pourtant attaché tout au long de sa carrière, jusqu’à son dernier film en 1960 Le Diabolique docteur Mabuse. Cette fidélité rappelle la manière dont les grands dinosaures de l’ère hollywoodienne ont consciemment terminé leur carrière, en refaisant le même film à plusieurs années de distance – Alfred Hitchcock avec L’Homme qui en savait trop, Raoul Walsh avec Aventures en Birmanie et son remake La Charge de la huitième brigade – ou en retournant aux sources, comme John Ford qui revient dans l’Irlande de ses ancêtres dans L’Homme tranquille et Quand se lève la lune.
« Pourquoi je tourne ce film ? déclarait Lang durant le tournage du Tombeau hindou. Pour moi quelque chose de mystique est en jeu. Un cercle se ferme : ce que j’ai tant désiré il y a quarante ans se réalise enfin aujourd’hui, de façon surprenante. »
Comme dans les derniers films de sa carrière hollywoodienne, Moonfleet et L’Invraisemblable vérité, Lang conçoit, avec le dyptique allemand, une épopée réduite à sa plus simple expression, utilisant une forme codée (le film d’aventures pour Moonfleet, l’enquête policière pour L’Invraisemblable vérité, et le serial pour ses aventures hindoues) pour mieux souligner les préoccupations métaphysiques de personnages mû par la passion, le désir, et la peur de la mort. Au début du Tigre du Bengale, Chandra, le tout puissant maharadjah d’Eschnapur, déclare à l’architecte allemand chargé d’effectuer des travaux de son palais : « Le temps n’existe pas aux Indes ». A la fin du film, le même Chandra lâche : « Je commence à connaître l’impatience. »
Enfin, et ce n’est pas le moindre charme des deux films, on y admire Debra Paget ! L’Américaine à la spectaculaire beauté brune et aux yeux clairs est vite destinée aux emplois exotiques comme la plupart des brunes d’Hollywood. Elle jouera des indiennes (La flèche brisée, 1950), Lilia dans Les dix commandements (1956) ou Shalimar dans La princesse du Nil (1954). Elle apporte aux deux films de Lang un érotisme flamboyant qui la fait moins ressembler à une princesse indienne qu’à une danseuse de strip-tease survoltée par les apparats offerts par un maharadjah. Sa plastique affolante et son jeu médiocre, parfaitement adaptés au propos du film, où la danseuse se révèle à la fois princesse et putain, en font une nouvelle Jayne Mansfield au physique plus typé. La séquence du Tombeau hindou où elle danse, presque nue, pour Chandra, dans le temple de la Déesse devant un cobra, au grand scandale des prêtres, dépasse largement le cadre du rituel pour laisser libre cours à l’étalage des pulsions du maharadjah et de la charge sexuelle de Seetha.
MELODRAMES.- Longtemps accueilli avec un certain mépris par la critique parce que considéré comme un réalisateur de films de genre, Douglas Sirk a été reconnu, bien après la fin de sa carrière, notamment à cause de cinéastes comme Rainer Werner Fassbinder qui ont mis en lumière à la fois la puissance narrative de ses mélodrames et leur bio stylistique symbolisé par l’usage de couleurs baroques, chaudes, excessives…
Sirk est sur les écrans de l’été avec, en particulier Le mirage de la vie (le 7 août) qui fut, en 1959, son ultime long-métrage et qui, à travers l’aventure de deux femmes seules (Lana Turner et Juanita Moore), de leurs relations avec leurs filles, analyse le contexte socio-politique d’une époque, en l’occurrence les années 1950 américaines marquées par le racisme omniprésent mais aussi la timide mais réelle aspiration des femmes à plus de liberté, tant professionnelle que sexuelle.
On pourra aussi découvrir, le 14 août, Le temps d’aimer et le temps de mourir que Sirk réalise, en 1957, à l’apogée de sa carrière. En 1944, un soldat allemand (John Gavin) revient du front russe pour trois semaines de permission. Il trouve sa ville en ruines et sa maison enfouie sous les décombre. Alors qu’il recherche ses parents disparus, il rencontre la fille (Liselotte Pulver) du médecin de la famille qui a été envoyé en camp de concentration. Rapidement attirés l’un par l’autre, le couple va connaître un bonheur précaire dans un monde qui agonise…
A Time to Love and a Time to Die (en v.o.), drame bouleversant, marque la rencontre exceptionnelle entre Sirk le romantique et l’auteur de A l’Ouest rien de nouveau, Erich Maria Remarque le pacifiste. Pour le cinéaste, ce film répondait à un désir personnel. En effet, Douglas Sirk n’avait plus revu son fils, né d’un premier mariage avec l’actrice Lydia Brincken, depuis qu’il avait fui l’Allemagne en 1937 avec sa seconde femme d’origine juive. Militante nazie, la première femme de Sirk avait embrigadé le garçon qui a, vraisemblablement, été tué sur le front russe en 1944. Une œuvre hantée par ce que le réalisateur imagine être les dernières semaines de la vie de son fils…
THRILLER.- En 1988, à Middlesex, dans l’Iowa, Donnie Darko est un adolescent de seize ans pas comme les autres. Introverti et émotionnellement perturbé, il entretient une amitié avec un certain Frank, un lapin géant que lui seul peut voir et entendre. Une nuit où Donnie est réveillé par la voix de son ami imaginaire qui lui intime de le suivre, il réchappe miraculeusement à un accident qui aurait pu lui être fatal. Au même moment, Frank lui annonce que la fin du monde est proche. Dès lors, Donnie va obéir à la voix et provoquer une série d’événements qui sèmeront le trouble au sein de la communauté…
Premier long-métrage en 2002 de l’Américain Richard Kelly réalisé à seulement 26 ans, Donnie Darko (le 24 juillet) a tout du film prodige. Mélange de teen-movie mélancolique et de thriller fantastique, son créateur embarque les spectateurs dans un voyage chaotique au cœur de la psyché d’un adolescent.
Jake Gyllenhaal est presque un débutant lorsqu’il obtient le rôle principal de l’adolescent shizophrène qui lui vaudra une brassée de louanges. « De quoi parle Donnie Darko ? dit Gyllenhaal. Je n’en ai aucune idée – en tout cas, pas de façon consciente. Mais d’une certaine manière, j’ai toujours compris ce film. Le plus incroyable pour moi, sur le tournage, c’était que personne – pas même l’homme qui en est à l’origine – n’a jamais pu répondre simplement à cette question. Et paradoxalement, c’est cela même le sujet du film. Le fait qu’il n’existe aucune réponse à la moindre question. »
VIETNAM.- Cloîtré dans une chambre d’hôtel de Saïgon pendant la guerre du Vietnam, le jeune capitaine Willard (Martin Sheen), mal rasé et imbibé d’alcool, est sorti de sa prostration par une convocation de l’état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz (Marlon Brando), un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne.
Quarante ans après la sortie de la version originale (qui avait obtenu les Oscars de la meilleure photographie et du meilleur son et la Palme d’or cannoise), et 18 ans après la sortie de la version Redux (augmenté notamment d’une grosse séquence « française »), les fans de Coppola pourront découvrir Apocalypse Now Final Cut (le 21 août), un nouveau montage inédit du chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola.
Selon les mots du cinéaste, cette nouvelle version « apporte une qualité d’image et de son encore supérieure à ce qu’elle était ». Il s’agit, selon lui de « la meilleure version du film au monde».
Restauré pour la toute première fois à partir du négatif original, Apocalypse Now Final Cut est la version la plus aboutie de ce classique de Francis Ford Coppola. Voyage obsédant vers la folie, ce film a fasciné des générations de cinéphiles et atteint aujourd’hui un niveau de réalisme considérablement supérieur à la version d’origine.