L’espionne qui la joue échec et mat
Elle est simplement insaisissable, la longiligne Anna Poliatova ! De Moscou à Paris en passant par Milan, cet agent du KGB exécute, sans états d’âme et avec un calme total, tous ceux que les services secrets russes ont décidé d’envoyer ad patres. Mais on ne flingue pas impunément dans le petit monde de l’espionnage international. Bientôt, Anna aura à se dépatouiller des assiduités de la CIA qui voit bien, en elle, une recrue de qualité. Entre KGB et CIA, le cœur d’Anna, au propre comme au figuré, balance… Désormais, Anna, qui aimerait tant avoir un seul jour de liberté à elle, va devoir jongler avec le double jeu et la trahison.
Avec Anna, Luc Besson signe son 18elong-métrage, assurant à la fois l’écriture du scénario et des dialogues ainsi que la mise en scène. Son projet ? « Le sujet, explique le cinéaste, c’est la manipulation, c’est la partie d’échecs que joue le personnage principal pour vaincre ses adversaires plus forts que lui. C’est une leçon de survie qui montre que chacun peut s’en sortir avec de l’intelligence. Cela m’intéressait bien plus que la période ou le décor… »
Pourtant la période est celle qui a fait le (remarquable) ordinaire de grandes œuvres comme Un crime dans la tête (1962), Le rideau déchiré (1966), L’espion qui venait du froid (1965), Ipcress, danger immédiat (1965), La lettre du Kremlin (1970) et on en oublie.
Car, c’est bien dans les fameuses années de la Guerre froide que Besson situe l’action d’Anna. L’ouverture du film, dans le Moscou de 1985, donne joliment le ton avec des descentes simultanées du KGB qui s’achèvera par une livraison de… têtes coupées sur les bureaux de la CIA. Même s’il dit que la période ne l’intéresse pas plus que cela, Besson prend néanmoins plaisir à la ressuciter à l’écran et à jouer avec les codes des films d’espionnage de la Guerre froide.
Bien sûr, on trouvera que le réalisateur du Dernier combat n’y va pas avec le dos de la cuillère. Car, pour flinguer, ça flingue ! Et dans tous les coins ! Le plus gros morceau de bravoure est assurément cette séquence de restaurant où Anna, mandatée par le KGB qui compte ainsi la tester, est chargée d’abattre un consommateur. Mais la cible est protégée par une armée de gardes du corps. Qu’importe, Anna les réduira tous au silence, fusse avec une simple fourchette… Du même coup, on a l’impression que le film échappe à la critique. Trop rentre-dedans, trop clairement badass, trop étourdissant jusque dans les recoins imprévisibles du scénario. Car, dans une écriture très fragmentée, Anna compile les « 5 ans plus tard », « 3 ans plus tôt », « 6 mois plus tôt », « 3 ans plus tard », « 3 mois plus tôt », Besson s’ingéniant à dérouter et à surprendre le spectateur à la manière d’une partie d’échecs –jeu dans lequel Anna excelle : « Il ne fallait pas connaître le coup suivant, et si on le devinait, ignorer celui d’après… »
On prend donc Anna pour ce qu’il est, une sorte de mix entre Nikita et Léon autour d’une espionne à l’esprit vif, au sang froid, avec un soupçon de colère, prise dans une infernale spirale de mensonges, de duplicité et de bataille psychologique.
Pour le reste, le film, tourné à l’arrache et sans autorisations dans les rues de Moscou, n’échappe ni aux stéréotypes (ah, les photographes de mode hystériques !) ni aux punchlines du genre « Pour agir intelligemment, l’intelligence ne suffit pas », « Les emmerdes, ça prévient pas » ou encore ce credo du KGB : « On n’embauche que les moches… » Qui ne manquera pas de plaire aux tenants de #MeToo !
Luc Besson, depuis qu’il fait du cinéma, s’est toujours fait une spécialité d’écrire de solides personnages de femmes d’action. Ce fut le cas avec Isabelle Adjani dans Subway (1985), Rosanna Arquette dans Le grand bleu (1988), Anne Parillaud dans Nikita (1990), Natalie Portman dans Léon (1994), Milla Jovovich dans Le 5eélément (1997) et Jeanne d’Arc (1999), Rie Rasmussen dans Angel-A (2005), Louise Bourgoin dans Adèle Blanc-Sec (2010), Michelle Yeoh dans The Lady (2011), Scarlett Johansson dans Lucy (2014) ou Cara Delevingne dans Valérian et la Cité des milles planètes (2017)…
Dans ce paysage, Sasha Luss, l’interprète d’Anna après avoir été, en motion capture, celle de la princesse Linhö-Minaa dans Valérian, trouve une jolie place. Mannequin russe de 27 ans, révélée en 2011 par Karl Lagerfeld et grande habituée des défilés et des couvertures, Sasha Luss est quasiment omniprésente à l’écran et s’offre le luxe de changer régulièrement de tête.
Pourtant, ce n’est pas une « belle » qui remporte le pompon dans le nouveau thriller de Luc Besson. La palme revient à Olga, obscure chef de service du KGB (le radiateur de son bureau est en panne, c’est un signe !) qui va prendre sous son aile la jeune Anna et la former au point d’en faire une véritable arme létale. Petite, boiteuse, fumeuse, fagotée façon Golda Meir, constamment mal embouchée et positivement redoutable, cette Olga rejoint, dans la galerie des pires agentes russes, le colonel Rosa Klebb (la géniale Lotte Lenya) de Bons baisers de Russie (1963) ou, plus récemment, la « matronne » tordue (Charlotte Rampling) qui dirige l’école des espions russes dans Red Sparrow (2018). Méconnaissable, perruquée de noir et portant de lourdes lunettes modèle Marguerite Duras, la grande Helen Mirren, oscarisée en 2007 pour The Queen, est parfaite et savoureuse !
Gageons donc qu’en ces temps estivaux, où les salles sont fraîches et accueillantes, le nouveau Besson saura capter l’attention de ceux –et ils sont nombreux- qui réclament que le cinéma se contente de les divertir. Les autres, évidemment, se précipiteront sans doute pour aller se régaler de Parasite, l’incontestable Palme d’or 2019.
ANNA Thriller (France – 1h59) de Luc Besson avec Sasha Luss, Luke Evans, Cillian Murphy, Helen Mirren, Lera Abova, Eric Godon, Alison Wheeler, Andrew Howard, Pauline Hoarau. Dans les salles le 10 juillet.