Le frigo, le fils, la diplômée et le danseur étoile
FUTUR.- Squattant la maison de sa grand-mère, Jérem essaye de composer son nouvel album de rap. Mais le succès est loin d’être au rendez-vous. Pas de doute, Jérem appartient au vaste clan des losers. Jusqu’au jour où So Balotelli, statisticienne pour la société Digital Cool, lui propose de prendre à l’essai Yves, un réfrigérateur intelligent. Pas vraiment convaincu, Jérem accepte parce que c’est l’occasion de recevoir gratuitement les victuailles conservées dans le fameux frigo. Mais bientôt, Jérem, qui en pince pour la belle So, va découvrir qu’Yves est capable, non seulement de lui simplifier la vie mais aussi de lui écrire un tube de rap…
C’est en assistant à une conférence sur les robots que Benoît Forgeard a eu l’idée d’Yves (France – 1h47. Dans les salles le 26 juin). Si les auditeurs écoutaient très sérieusement l’intervenant, le cinéaste, lui, riait en se disant que les appareils intelligents connectés allaient considérablement renouveler le genre du vaudeville. En tout cas, Forgeard mène son histoire à bon port en imprimant à cette aventure intime et futuriste un rythme nerveux et enlevé et reposant notamment sur une bonne bande-son où se croisent les mélodies recherchées de Bertrand Burgalat et du gros rap qui tache. D’un côté, les délires rap de Jérem, coaché par Dimitri (Philippe Katerine), un agent artistique encore plus paumé que lui, de l’autre, une réflexion sur l’intelligence artificielle qui, mine de rien, pose quelques solides questions où se mêlent à la fois la méfiance et la fascination.
Comme le cinéaste (qui écrit et réalise aussi la chronique d’animation Dérive des continents, chaque vendredi soir, en conclusion de l’émission 28 minutes sur Arte) a de l’imagination à revendre, on va retrouver Jérem (William Lebghil) à la barre des tribunaux, Yves vainqueur de l’Eurovision et So (Doria Tillier) enfin convaincue du potentiel de son client rapeur. A la fin, Yves, parvenu à un haut degré d’intelligence, voit sa progression entravée par des états d’âme. On pousse donc un ouf de soulagement. Mais les choses se passeront-elles ainsi dans la vraie vie ?
RACINES.- Jeune trentenaire d’origine asiatique, François n’a pas remis les pieds dans sa famille depuis dix ans après une violente dispute avec son père. Depuis, il s’applique à éviter les questions sur ses origines, jusqu’à mentir en faisant croire qu’il a été adopté. Mais lorsqu’il apprend qu’il va être père, François sait qu’il va devoir renouer avec son passé et ses origines. Poussé par sa compagne Sophie et accompagné par Bruno, son meilleur ami, il se décide à reprendre contact avec les siens et retourne dans son 13ème arrondissement natal pour leur annoncer la bonne nouvelle. S’il est accueilli à bras ouverts par sa famille, Meng, son père, refuse de lui parler…
C’est Frédéric Chau, qui tient le rôle principal de Made in China (France – 1h28. Dans les salles le 26 juin), qui, sur une idée originale, a co-écrit le scénario de cette première histoire qui s’inscrit complètement dans la communauté chinoise de Paris. D’entrée de jeu, parce que Frédéric Chau a incarné Chao dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu et sa suite, on s’attendait à une comédie un peu pépère et cultivant la punchline façon brèves de comptoir. D’ailleurs, lorsque François affirme : « Je suis français, pas chinois », son ami Bruno rétorque : « Te vexe pas mais ça ne se voit pas tout de suite ! »
Pourtant, Made in China va amener le spectateur à des questionnements autour de l’identité et de l’origine tandis que François va devoir se réconcilier avec son arrondissement natal pour constater l’importance des racines. Bien sûr, Julien Abraham, le réalisateur, confie à Medi Sadoun (qui, lui, jouait Rachid dans Qu’est-ce qu’on a fait…) le rôle du copain « bien de chez nous » qui formule avec application tous les stéréotypes et n’hésite pas à mettre les pieds dans les plats mais cette histoire (qui offre de nombreux personnages à des acteurs asiatiques) parvient aussi à être émouvante lorsqu’elle aborde la relation, pleine de pudeur, du fils et du père…
INTELLOS.- Dire que Sophia est mal dans sa peau est un doux euphémisme. En même temps, on peut se dire qu’elle a de quoi. Car on peut être une brillante diplômée universitaire après avoir soutenu une thèse intitulée « Intrication des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramcsi » et être sans emploi. Alors, en attendant de trouver un sens à sa vie et… un boulot, Sophia habite chez son frère Karim. Ces deux-là s’adorent et se hurlent dessus continuellement. Leur relation fusionnelle va être mise à rude épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Éloïse, la gynécologue de Sophia… Car la blonde Sophia est une perfection sur (longues) jambes en plus d’être agréable. Alors Sophia craque : « C’est pas normal d’être aussi gentille tout le temps ! »
C’est le portrait ravageur d’une sacrée trentenaire que signe Mona Chokri dans La femme de mon frère (Québec – 1h57. Dans les salles le 26 juin). Faut-il voir dans cette comédie le portrait de toute une génération qui a (encore) l’air de beaucoup se chercher ? L’actrice québecoise (vue chez Xavier Dolan dans Les amours imaginaires et Lawrence Anyways) n’a sans doute pas cette ambition.
En passant à la réalisation d’un premier long-métrage, Monia Chokri livre tout à la fois l’observation d’une époque où la fiction finit par croiser la réalité mais aussi une réflexion sur l’apprentissage de l’amour. Car, il est bien là, le problème de Sophia. Elle voit son frère développer des comportements avec son amoureuse qu’il avait auparavant avec elle. Alors, forcément, elle craque. Le meilleur dans La femme de mon frère, ce sont les multiples notations, souvent très cocasses, sur la famille et ses éclats (le comédien israélien Sasson Gabaï est un père explosif et émouvant), sur le couple, sur l’université avec une joyeuse séquence d’ouverture. Tout cela s’articule autour d’une Sophia, intello foutraque et très « attachiante » qui n’arrête pas de se prendre les pieds dans tous les tapis qui passent et à laquelle Anne-Elisabeth Bossé confère un fameux abattage. On aime aussi entendre tous ces Québécois manier une langue savoureuse qui fait la part belle au « chum », au « lift », au « niaiseux » ou au « char ». Mais, in fine, le flot de mots finit (presque) par nous saoûler…
OCCIDENT.- Jeune prodige de la danse russe, Rudolf Noureev est à Paris en juin 1961 avec la troupe du Théâtre Mariinsky pour se produire sur la scène de l’Opéra. Travailleur acharné, Noureev apprécie aussi la fête et est fasciné par les folles nuits parisiennes et par la vie artistique et culturelle de la capitale. Il va se lier d’amitié avec Clara Saint, jeune femme introduite dans les milieux huppés mais aussi avec le danseur Pierre Lacotte. Les autorités soviétiques, elles, sont ulcerées des frasques du danseur et de ses fréquentations occidentales. Les hommes du KGB, chargés de le surveiller, serrent Noureev de plus en plus près. Alors que le ballet s’apprête à partir pour Londres, Rudolf Noureev fait le choix irrévocable de passer à l’Ouest. Le 16 juin, à l’aéroport du Bourget, il fausse compagnie aux agents du KGB et réclame l’asile politique auprès des services secrets français…
Il y a plus de vingt ans, Ralph Fiennes avait lu, avec intérêt, la biographie consacrée par Julie Kavanagh à Rudolf Noureev (1938-1993) mais il aura fallu au comédien et cinéaste britannique attendre 2018 pour porter à l’écran ce Noureev (Grande-Bretagne – 2h07. Dans les salles le 19 juin) qui a tout du classique biopic. Certes Fiennes s’intéresse plus spécialement à ces jours de 1961 où la superstar de la danse classique file à l’Ouest au nez et à la barbe du KGB. Pour les Soviétiques (qui le jugeront, par contumace, pour trahison) le coup est rude en pleine Guerre froide alors même que Noureev disait volontiers : « La politique ne m’intéresse pas ». Cependant son film est construit en trois temps car, outre 1961 dans la capitale française, l’acteur de La liste de Schindler (1993) et du Patient anglais (1996) évoque aussi les années de formation de Noureev (1955-1961) à Léningrad et son enfance à la fin des années quarante. Pour le reste, c’est un Noureev attendu qu’incarne le danseur ukrainien Oleg Ivenko (entouré d’Adèle Exarchopoulos, Raphaël Personnaz et de Fiennes dans le rôle de Pushkin, le mentor de Noureev) pour ses débuts au grand écran. La star russe est en effet présentée comme un artiste d’exception mais aussi comme un personnage insupportable et despotique. Le film suggère enfin que Noureev, ayant découvert son homosexualité, voulait passer à l’Occident, symbole de liberté…