L’amour à l’épreuve de la maladie
Impatiente, belle et frondeuse, Maria, 30 ans, est experte en néerlandais. Olivier a le même âge mais lui est lent, timide mais parle pas moins de quatorze langues. Ils se rencontrent à Taïwan où Maria est venue pour écrire un roman et aussi un peu pour prendre ses distances avec la France et ses nombreux amants. Tous les deux vont s’aimer d’une manière foudroyante et découvrir la force incroyable d’un amour.
A Taïwan, Olivier est guide touristique et Maria va le rejoindre dans ce travail. Polyglottes, ils choisissent de s’exprimer dans tel ou tel idiome selon qu’ils ressentent tel ou tel sentiment. Et L’autre continent va s’emparer de cette belle métaphore pour questionner : En amour, dans quelle langue se parle-t-on ? Comment se comprend-on ?
Avec cette ouverture chinoise, Romain Cogitore plante le décor, vibrant et tonique, dans lequel un amour hors norme va se déployer. Mais l’aventure amoureuse va prendre assez vite un tour tragique lorsqu’on découvre qu’Olivier est atteint d’’une grave maladie hématologique qui va le ramener, en France, dans les services spécialisés d’un CHU strasbourgeois… Tandis qu’Olivier s’affaiblit de plus en plus, qu’il plonge dans le coma, Maria, habitée par la puissance de son amour, par leurs rêves communs, par la mémoire des moments heureux vécus ensemble, est décidée à ne rien lâcher et à relever le gant pour reconstruire leur aventure amoureuse…
C’est du récit confié par une jeune femme au cinéaste qu’est né le film. « Je pensais d’abord, explique Romain Cogitore, qu’elle évoquait la mémoire d’un disparu, tant il y avait de tristesse, d’émotion – et aussi d’amour – dans son récit. Et puis, de rebondissement en rebondissement – souvent incroyables – j’ai peu à peu compris que le garçon dont elle parlait n’était pas mort ; mais que c’était un homme dont elle essayait de se détacher… » Et, de fait, il est aussi question ici des limites de l’amour. L’amour est-il au-dessus de tout ? A quel endroit, placer l’éventuelle limite ?
Film-kaléidoscope qui relève autant de la comédie dramatique, du conte de fées virant rapidement à la tragédie que de l’essai poétique, L’autre continent entremêle, avec une certaine virtuosité, toute une série de thématiques pour générer une alchimie magique autour d ‘une aventure centrale qui est celle d’un couple, de l’espoir d’un couple face au drame de la maladie… Ainsi, le metteur en scène, pour son second long-métrage, évoque notamment la création littéraire mais aussi la mémoire comme lorsqu’Olivier explique la manière, fascinante, qu’il a de ranger chacune des quatorze langues qu’il pratique dans un lieu précis, de placer ses souvenirs dans des lieux mentaux… Mais le cinéaste se recentre toujours sur l’amour à l’épreuve de la maladie. Si dans la plupart des films qui mêlent amour et maladie, soit la personne meurt, soit elle est sauvée, ici, l’approche est différente. Olivier ne meurt pas mais il n’est plus non plus l’homme dont Maria est tombée amoureuse… Ce qui arrive à Olivier et Maria, dans un laps de temps de deux ou trois ans, ramène à un questionnement universel qui se présente forcément à un moment d’une relation : faut-il renoncer à cet amour ? Est-il plus sain de continuer ou de se séparer ?
Si Cogitore semble s’amuser à bousculer les règles du mélo, il s’ingénie, du point de vue esthétique, à fragmenter les séquences, à jouer sur la fluidité et l’échelle des plans, à composer des images tour à tour réalistes, concrètes et métaphysiques (taoïstes ?), à saisir des fulgurances plastiques, des lumières, des matières, des textures sonores, à multiplier les notations et les strates du récit et à capter aussi bien des portraits que le charme fugitif d’intérieurs. Pour les séquences oniriques, par exemple, qui arrivent en contrepoint des cellules malignes que l’on voit se développer, Romain Cogitore a choisi un objectif Tilt and Shift. « Il donne l’impression, précise le cinéaste, que le monde est une maquette, un modèle réduit. Cet objectif change la perspective sur le paysage, il lui ôte ce qui est propre à la perspective de l’œil humain et crée ce flou étrange. Il provoque une sorte de glissement, où l’on se trouve entre le modèle réduit et le réel, où le lieu filmé devient en partie abstrait – mental presque. Ce procédé perturbe le cerveau, parce que notre cerveau ne connaît qu’une seule perspective, et on lui en propose soudain une autre : on pense voir une maquette… sauf que des êtres humains y sont en train de marcher. »
Tout cela, en distendant le temps, l’espace et l’image, pour produire à la fois du sens, de la beauté et de l’émotion. Pour cela, le cinéaste peut compter sur deux beaux comédiens qui défendent bien des personnages empathiques. L’étonnant Paul Hamy (Olivier) est un enfant de 8 ans dans un corps de géant. Quant à Déborah François, à mi-chemin entre la Girl Next Door et la beauté blonde classique, elle apporte une magnifique énergie à cette Maria qui dit : « Olivier, je ne sais pas ce qu’il te reste de nous… Moi, je me souviens de tout ». Belle déclaration lorsque la fin de l’innocence se confronte à la dure réalité de la vie…
L’AUTRE CONTINENT Comédie dramatique (France – 1h30) de Romain Cogitore avec Déborah François, Paul Hamy, Daniel Martin, Christiane Millet, Vincent Perez, Aviis Zhong, Nanou Garcia. Dans les salles le 6 juin.
RENCONTRE Romain Cogitore : « La continuation de nos jeux d’enfants »
Après les Vosges du Nord qui avaient servi de décor à Nos résistances, son premier long-métrage en 2011, Romain Cogitore était de retour dans les Vosges, à l’occasion des Rencontres du cinéma de Gérardmer, pour l’avant-première de son second « long », L’autre continent qui, lui, se déroule notamment du côté de Taïwan. Cependant, au bord du lac géromois, le cinéaste est en pays de connaissance, lui qui est né, en février 1985, à Lapoutroie. « Nous étions six frères, en montagne. Nos parents étaient très conciliants. Nous avions nos cabanes. Dans la forêt, nous nous inventions des histoires. Avec des lutins, un imaginaire très ancré dans la nature, quelque chose de tellurique, peut-être. D’une certaine manière, le cinéma, c’est la continuation de nos jeux d’enfants. » Et Romain Cogitore d’ajouter avec un sourire : « J’aurai bien aimé faire un métier utile. Bon, c’est utile, le cinéma mais ça vient après tout le reste… »
Venu en compagnie de son actrice principale, Déborah François, Romain Cogitore évoque un récit « dont l’histoire est réelle à 90% et les personnages de fiction à 80%. » Une aventure des sentiments où la maladie vient couper l’élan d’une histoire d’amour… Déborah François qui incarne le personnage de Maria (« Je l’ai rencontrée après le film. Elle a travaillé avec Romain sur l’écriture du film ») garde un souvenir… moite du tournage à Taïwan et observe : « C’est une histoire d’amour mais qui interroge les limites de l’amour ». La comédienne belge, découverte dans L’enfant des frères Dardenne en 2005, avoue qu’elle demande depuis dix ans à Jaco Van Dormael, le réalisateur belge de Mister Nobody de jouer dans un de ses films et ajoute : « Quand un scénario est bouleversant, je ne réfléchis pas. Quand je lis des scénarios, je sens si le réalisateur a vu ou pas les films que j’ai tournés. Mais c’est génial de passer d’un univers à un autre ! » Alors que L’autre continent arrive sur les écrans français (après être sorti à Taïwan fin 2018), Romain Cogitore travaille –son frère Clément, cinéaste lui aussi, y a participé- à l’écriture de son nouveau film, Zone à défendre qui se situera dans le milieu écolo-militant…