La terrible solitude d’une rock-star
« Je suis là pour aller mieux ». Ce n’est pas une star flamboyante qui s’est assise dans un cercle de paroles au cœur d’une institution de désintoxication. C’est un diable cornu, emplumé de rouge, qui s’effondre peu à peu sur sa chaise en confessant : « Je m’appelle Elton Hercules John et je suis alcoolique, cocaïnomane, sex-addict, boulimique, acheteur compulsif de médicaments et je gère mal ma colère… »
Il fallait bien qu’un jour, une star aussi fulgurante qu’Elton John passe par la case biopic cinématographique. D’autres y ont eu droit avant lui comme Ray Charles, Charlie Parker, Johnny Cash (l’excellent Walk the Line en 2005), Jim Morrison ou notre Gainsbourg national revisité en 2010 par Joann Sfar. C’est probablement le beau succès de Bohemian Rhapsody, glorifiant l’extravagant Freddy Mercury de Queen, qui a précipité l’achèvement d’un projet vieux de dix ans…
« Le principe, raconte Dexter Fletcher, c’était de signer une œuvre explosive, une course-poursuite imaginaire résolument loufoque et transgressive, qui oscillerait entre fête et tragédie ». On peut dire que l’objectif est atteint même si le récit est quand même plutôt conventionnel, mêlant, comme d’autres biopics avant lui, la difficulté de l’ascension, le vertige de la gloire naissante, les rudesses du business et les inévitables dégringolades.
Rocketman s’attache à la star quand elle n’est encore que Reginald Dwight, un petit gamin à la bouille ronde de Pinner, une banlieue du Grand Londres. Un garçon qui a une bonne mémoire et une bonne oreille, au point de pouvoir restituer au piano et à l’identique une mélodie entendue à la radio ou sur un disque. Un don qui lui vaudra d’entrer à la Royal Academy of Music, d’y pratiquer Mozart et Bach avant de découvrir les toniques vertus du rock’n roll.
En 1969, Reggie n’est encore qu’un jeune musicien qui met son talent de pianiste au service de l’America Soul Tour. « Comment un petit gros peut-il devenir un soulman ? » interroge Reggie. « Ecris des chansons ! » lui dit l’un. « Sois celui que tu veux être » ajoute un autre. Et un troisième lui roule un gros baiser sur la bouche… Reginald Dwight deviendra donc Elton John (en hommage au Beatle John Lennon) et empruntera la fameuse « route de briques jaunes » vers la célébrité.
Pour n’être pas assez spécialiste de la vie et de l’œuvre de Sir Elton, on ignore si le scénario, écrit par Lee Hall, déjà auteur de celui de Billy Elliot (1999), comporte des approximations. Mais ce qui importe évidemment, ici, c’est bien de jouer du délire, au demeurant très kitsch, qui a présidé à la carrière du chanteur depuis les années soixante jusqu’en 1990, tout cela sur fond de grosses addictions et de profondes souffrances sentimentales.
Avec un clin d’œil musical au fameux Candle in the Wind, le film souligne ainsi la rencontre déterminante entre Elton et Bernie Taupin, son légendaire parolier, qui déboucha sur une prolifique complicité artistique de plus de 50 ans. Rocketman évoque également une autre relation d’abord heureuse puis chaotique, celle avec John Reid, manager au long cours de la star, et premier véritable amant d’Elton… Mais c’est surtout les traumas d’un enfant mal aimé qui sont au cœur de cette épopée musicale. Même s’il a une gentille grand-mère qui lui conseille « Fais semblant d’être sûr de toi », le jeune Reggie souffre de voir papillonner une mère volage tandis que son père, souvent absent et toujours distant, ne le prendra jamais dans ses bras. Dexter Fletcher, acteur devenu réalisateur (sans être au générique, il a achevé le tournage et la postproduction de Bohemian Rhapsody) réussit l’une des plus émouvantes scènes du film lorsqu’il fait se rencontrer Elton devenu une star mondiale et son vieux père qui, au lieu de l’embrasser, lui fait dédicacer un disque pour… un collègue.
Producteur exécutif du film, Elton John, aujourd’hui âgé de 72 ans, a donné carte blanche à l’équipe de Rocketman : « J’ai eu une vie plutôt dingue. Il y avait des hauts, très hauts, et des bas, très bas. Et malheureusement, pas beaucoup d’équilibre entre ces deux extrêmes ». Entre les grandes réussites et les gros excès (le mythique et rouge Studio 54, métaphore de l’enfer de la drogue et du sexe), le cinéaste orchestre une comédie musicale, riche de quelques solides chorégraphies « à l’ancienne », qui rend justice à la folie créatrice et au génie musical d’une star pas banale : « En fait, soupire John, être bizarre, ça me va… ».
Cette relecture fantasmatique de la vie d’un chanteur désespérément dévoré par la solitude, manquant de confiance en lui mais qui a eu le courage d’être authentique est portée par Taron Egerton, présent dans quasiment tous les plans. Le comédien britannique de 29 ans, connu pour son rôle de Gary –Eggsy- Unwin dans les deux Kingsman (2015 et 2017), est un Elton John crédible qui fut l’une des premières vedettes internationales à faire son coming-out.
Egerton interprète lui-même des tubes fameux qui font que Rocketman emporte définitivement l’adhésion. Au rythme de I Want Love, Saturday Night’s Alright (for the Fighting), Border Song, Honky Cat, Tiny Dancer, Don’t Go Breaking My Heart en duo avec Kiki Dee, Don’t Let the Sun Go Down on Me, Rocketman (et une plongée-suicide au fond de la piscine) et ce I’m Still Standing qui va comme un gant à un personnage aussi excessif que touchant…
ROCKETMAN Comédie dramatique (USA – 2h01) de Dexter Fletcher avec Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden, Gemma Jones, Bryce Dallas Howard, Steven Mackintosh, Tom Bennett, Matthew Illesley. Dans les salles le 29 mai.