Bienvenue chez les dingues !
S’il avait lu Gide, Emile Chamodot aurait pu reprendre à son compte, le fameux « Familles, je vous hais ». Parce que le gamin est quand même affligé d’une singulière smala. L’une des manifestations de cette singularité, c’est une teinture blonde imposée régulièrement au môme. Parce que, juge Annie, sa mère, « il est plus beau comme ça… » Cependant, comme pour contredire Gide qui ajoutait à son « Familles, je vous hais… Foyers clos – Portes refermées – Possessions jalouses du bonheur », on observe que, chez ces gens-là, il y a quand même de la bienveillance à revendre même s’elle n’est pas très canalisée et que, d’autre part, la porte de la caravane familiale est plutôt ouverte sur l’extérieur…
Mais, gare, Venise n’est pas en Italie n’est pas, loin s’en faut, une thèse de philosophie sur les avantages et les méfaits de l’éducation. Non, Ivan Calbérac, en portant au grand écran, un roman qui avait des allures de journal intime d’un adolescent perturbé, propose une comédie en forme de voyage initiatique qui prendrait les allures d’un road-movie loufoque.
Collégien plutôt timide et sensible, Emile crève de honte quand sa mère lui teint les cheveux. Et puis il a tout aussi honte de vivre dans une caravane. Un jour, Pauline, une camarade de classe, l’invite à venir assister à un concert classique où elle va jouer de la harpe avec un orchestre. Mais le spectacle aura lieu pendant les grandes vacances à… Venise. Complètement amoureux de la jolie Pauline, Emile rêve de se rendre dans la Cité des Doges. Mais il sait aussi que les moyens de ses parents ne le lui permettront pas.
Et pourtant ! Annie, sa mère, a beau être sérieusement névrosée et Bernard, son père, être complètement fantasque et imprévisible, ce sont des parents, certes barrés mais qui veulent le bien de leurs enfants. Même s’ils le manifestent évidemment d’une façon inattendue. Donc, la décision est prise. Emile ira entendre Pauline à Venise. Mieux encore, c’est toute la famille qui se transportera sur les lieux ! On imagine qu’Emile n’en demandait pas tant.
Dans cette comédie dont le titre fait référence à une chanson de Serge Reggiani, Ivan Calbérac s’amuse des multiples incidents et épreuves qui vont jalonner la route de la famille Chamodot pour proposer, dit-il, « un film au parfum de vacances qui donne envie de s’évader, de rouler vers le sud ». Las, la voiture familiale n’est pas de première jeunesse, Bernard a une conception bien spéciale du voyage, du covoiturage ou encore des « bons coins » pour poser sa caravane tout en professant qu’« Impossible n’est pas Chamodot ».
Au-delà des péripéties de la route –il faudra même « emprunter » une moto pour se rapprocher du but- c’est bien sûr le choc social et la honte qui en découle qui intéresse le cinéaste. Ce n’est sans doute pas un hasard si Emile s’éprend de Pauline, une jeune fille issue d’un milieu social supérieur au sien. En entrant dans la superbe la villa et en découvrant l’univers dans lequel vit Pauline (entre une mère, elle aussi bien névrosée et un père artiste, au demeurant assez puant), Emile, persuadé qu’avec d’autres parents, ce serait mieux, se confronte (et sans doute, aspire) à d’autres origines, à d’autres codes, qui l’attirent et le fascinent.
Ivan Calbérac qui avait déjà traité de l’hérédité familiale dans ses deux films précédents -Une semaine sur deux (et la moitié des vacances scolaires) en 2009 et L’étudiante et Monsieur Henri (2015), évoque l’impact de l’éducation sur la vie d’un adolescent à fleur de peau. Et la teinture apparaît ainsi comme une métaphore de tous les formatages imposés par la folie ordinaire d’une famille… Heureusement, Emile réussira, in fine, à formuler ce « non ! » qui représente le début de sa survie.
Tourné dans Venise, reposant sur des dialogues enlevés (« Ma vie, c’est comme les maths, il manque souvent la retenue ») et des comédiens qui s’en donnent à cœur-joie, Venise n’est pas en Italie est une agréable comédie pleine de jolis (bons ?) sentiments et avec un petit côté Roméo et Juliette.
Attention, en sortant du film, vous risquez de rester longtemps avec, dans l’oreille, le « AAAAAHWANA » que Bernard braille dans sa voiture !
VENISE N’EST PAS EN ITALIE Comédie (France – 1h35) d’Ivan Calbérac avec Benoît Poelvoorde, Valérie Bonneton, Hélie Thonnat, Eugène Marcuse, Coline d’Incà, Luna Lou, Nicolas Briançon, Veronika Novak, David Salles, Frédéric Deleersnyder, Gigi Ledron. Dans les salles le 29 mai.
RENCONTRE Valérie Bonneton : « Des coins où on ne rigole pas forcément »
En avril dernier, Ivan Calbérac pouvait avoir le sourire… Lors de la projection de son film en avant-première pendant les Rencontres du cinéma de Gérardmer, le public avait très largement applaudi son Venise… Venu en compagnie de Valérie Bonneton, le cinéaste explique qu’il a d’abord écrit un roman, publié chez Flammarion en 2015, qui a ensuite pris une forme théâtrale après que Thomas Solivérès, l’acteur d’Edmond, eut lu des extraits du livre et incarné tous les personnages lors de la soirée de lancement du roman. Après le succès du « seul en scène » présenté notamment à Avignon, voici donc le film… Valérie Bonneton, qui avoue ne pas aimer se voir à l’écran, glisse : « Le besoin de s’opposer aux parents, c’est un signe de bonne santé ! » Si Ivan Calbérac est heureux du casting d’Hélie Thonnat pour jouer Emile (« Il exprime plein de choses, simplement par le visage »), Valérie Bonneton se souvient du travail avec un Benoît Poelvoorde très instinctif : « Si tu as besoin de faire la folle avant la prise, me disait-il, vas-y ! ». Ivan Calbérac constate : « Moi, ça ne me dérange pas quand ça délire avant les prises ». D’autant que le réalisateur reconnaît qu’il a choisit les deux comédiens pour jouer les parents Chamodot à cause de leur grain de folie. « Avec Benoît, il faut y aller, souligne la comédienne. Il n’a pas peur ! Alors, il faut donner de son côté. Nous on se reconnaît, lui Belge et moi du Nord, nous sommes nés dans des coins où on ne rigole pas forcément. Cependant Benoît a plus de désespoir en lui que Dany Boon ». Titulaire d’un DEA de maths, Ivan Calbérac remarque que l’évocation des maths dans le film, c’est du vécu : « Le DEA m’a donné une certaine rigueur même s’il ne m’a pas servi professionnellement. D’ailleurs, maintenant que je fais du cinéma, mes parents me disent : ‘’C’est grâce à nous’’… »