L’éternelle jeunesse de ceux qui s’aiment
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d’argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d’égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu’on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j’en aurai l’étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j’apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d’algues
Sur le sable ondulé
L’herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L’odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l’Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J’en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu’on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s’amène
Avec sa gueule moche
Et qui m’ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d’avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu’est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d’avoir gouté
La saveur de la mort…
Dans le hall du cinéma, la jeune femme à laquelle je confiais avoir vu le nouvel Lelouch, lâcha instantanément : « Oh non, pas Lelouch ! » Oh, le coup de vieux, tout d’un coup. Constat accablant : donc Lelouch, c’est du cinéma de vieux ! De fait, il n’y avait pas beaucoup de jeunes dans la salle… Et puis, en même temps, il faut bien admettre qu’81 ans, Lelouch n’est pas un perdreau de l’année. Ses deux héros affichent 87 ans (excusez-moi, Madame, mais vous les portez bien) pour Anouk Aimée et 88 pour Jean-Louis Trintignant qui passe la majeure partie du film, assis dans un fauteuil ou dans une… 2 CV. Alors, admettons, c’est du cinéma de vieux. Mais c’est surtout, et avant tout, du Lelouch. Autrement dit, on est certain d’y trouver des images qui tournent, de la musique (oui, on a droit au célébrissime Chabadabada) signée Francis Lai mais aussi Calogero, des citations, des punchlines, des références, des séquences sorties de la (large) filmographie lelouchienne. Mais là, on est tenté de dire : forcément. Puisque Les plus belles années d’une vie est une sorte de suite, d’épilogue, au très culte Un homme et une femme.
Sans vouloir être méchant, constatons quand même que le réalisateur des estimables Roman de gare et Itinéraire d’un enfant gâté ou des calamiteux La belle histoire et Les Parisiens, a le sens du recyclage. L’immense succès que fut Un homme et une femme, Palme d’or cannoise de 1966, connut une première suite en 1986 avec Un homme et une femme : vingt ans déjà. Et voilà donc, présenté en sélection officielle hors compétition à Cannes, Les plus belles années d’une vie. En somme, un film historique parce que depuis que le 7e art existe, c’est le premier et le seul film à réunir les mêmes interprètes – deux icônes – d’une même histoire mondialement célébrée, à plus de cinquante ans d’intervalle.
Dans sa jolie boutique de Beaumont-en-Auge, Anne Gauthier, désormais veuve, voit débarquer un quinquagénaire, Antoine Duroc. Ce n’est autre que le petit garçon qui, en 1966, jouait sur la plage de Deauville avec sa propre fille Françoise tandis que leurs parents entamaient une brève, inattendue mais fulgurante histoire d’amour… Antoine est venu voir Anne parce que son père, désormais pensionnaire d’une (belle) maison de retraite normande, se perd doucement sur les chemins de sa mémoire, ce qui est quand même triste pour un ancien pilote de rallye. Alors, Antoine a pris son courage à deux mains pour aller retrouver celle que son père n’a pas su garder mais qu’il évoque sans cesse : « Vous êtes son meilleur souvenir ». Parce que, secrètement, Anne n’a jamais cessé d’aimer Jean-Louis, elle accepte d’aller lui rendre visite pour, peut-être, reprendre leur histoire là où ils l’avaient laissée…
Tourné en seulement treize jours, Les plus belles années… se concentre sur ces retrouvailles où Lelouch va filmer le présent et le passé lointain avec les mêmes personnes, avec leur âge réel dans chaque époque… Le cinéaste va surtout prendre plaisir à saisir la beauté, le charme, l’élégance d’Anouk Aimée, l’humour de Trintignant, son recul sur la vie, son humanité malicieuse… Autour d’eux, Lelouch offre aussi de jolis petits rôles à Souad Amidou et Antoine Sire qui sont vraiment les deux très jeunes enfants du premier film, à Monica Bellucci dans une courte séquence teintée d’émotion où elle incarne Elena, une fille que Jean-Louis Duroc avait eu en Italie et enfin à la lumineuse Marianne Denicourt, la responsable de la maison de retraite qui avoue que Jean-Louis est son chouchou.
Il faut dire que, face à une Anouk Aimée qui campe, dans un jeu délicat, une Anne amoureuse et fidèle à un seul amour, qui s’interroge longtemps sur ce qui reste, dans la mémoire de Jean-Louis, de leur belle romance, Trintignant a tout d’un galopin resté dans l’humour, dans la drôlerie et qui, en bon coureur automobile, n’a jamais eu peur de rien. Alors, en présence de cette vraie dame, le gamin va se « réveiller », rêver d’évasion et redevenir un homme qui a aimé les femmes, aimé la vie, qui n’a pas été fidèle, qui a eu tous les défauts du monde. Mais qui était beau, tendre, amoureux.
Alors Lelouch, on l’a dit, multiplie les punchlines (« La mort, c’est l’impôt de la vie », « Avant, je courais, je marchais, je me promenais, maintenant je me traîne », « On est fidèle tant qu’on n’a pas trouvé mieux », « Tu es tombée amoureuse de moi et je n’ai rien fait pour te relever » et on en passe), retrouve la Mustang blanche n°184, fait la course, pied au plancher, avec une deuche, met à mal quelques pandores, repasse par la chambre 26 (deux fois 13) de l’hôtel Normandy à Deauville, revient sur les planches, réutilise des séquences d’un Homme et une femme (ah, les essuie-glaces sur le pare-brise dans la nuit !) et mixe même ces images avec celles d’un court-métrage réalisé en 1976. Dans C’était un rendez-vous, filmé en un seul plan-séquence, Lelouch, au volant d’une puissante voiture, traverse tout Paris, un 15 août au tout petit matin, à très vive allure… Les plus belles années… s’achevant, évidemment à Deauville, entre planches et plage…
En racontant cette histoire, Lelouch ose voir la vie en rose ! Ici, la mort est mise hors-jeu. Il n’y a que de l’espoir. Et 52 ans après, Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant sont beaux et bouleversants.
Je me souviens, avec une infinie tristesse, d’avoir vu Philippe Noiret, en 2007, quelques mois avant sa disparition, dans une courte scène de Trois amis. Il jouait un directeur de garage et je ne l’avais pas reconnu.
Ici, Trintignant est magnifique. Son sourire charmeur nous réconforte et il est parfait d’émotion et de justesse lorsqu’il dit le beau poème (voir ci-dessus) de Boris Vian Je ne voudrais pas crever.
Simone Signoret avait peut-être tort quand elle affirmait que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.
LES PLUS BELLES ANNES D’UNE VIE Comédie dramatique (France – 1h30) de Claude Lelouch avec Anouk Aimée, Jean-Louis Trintignant, Souad Amidou, Antoine Sire, Marianne Denicourt, Monica Bellucci, Tess Lauvergne, Vincent Vinel, Laurent Dassault. Dans les salles le 22 mai.