L’apocalypse zombie selon Jim Jarmush
Comment trouver un (bon) film pour ouvrir Cannes? C’est la question que doit se poser annuellement Thierry Frémaux. Et sans doute le délégué général s’arrache-t-il les cheveux la nuit en y pensant. Car ouvrir le festival n’est pas une mince affaire. L’idée, c’est de frapper un grand coup pour surprendre les professionnels, les médias, le public évidemment qui, le plus souvent, est appelé rapidement à se rendre dans les salles obscures pour découvrir le film en question, tout cela avec une oeuvre qui allie des exigences artistiques, cinéphiliques et commerciales. Excusez du peu!
Parce qu’à Cannes, il fait bien le dire, on a tout vu. Parfois de grands ratages (ah, le petit Fanfan la tulipe avec Vincent Perez, le gentil Un homme amoureux, l’insignifiant Vatel ou encore le calamiteux Grace de Monaco), une autre fois, en 2009, un film d’animation (Là-haut), parfois des films appelés à devenir culte pour de bonnes (Le grand bleu de Besson) ou de piètres raisons (Da Vinci Code) ou encore des œuvres d’Allen (Café Society, Minuit à Paris ou Hollywood Ending) parce que le cher Woody ne voulait jamais être dans la course à la Palme et qu’un film d’ouverture hors compétition l’arrangeait bien. Et puis il y a eu un thriller qui a secoué le landerneau cinématographique… même si c’est pour une absence de culotte. En 1992, Sharon Stone est quand même devenue instantanément une star, un soir d’ouverture, c’est le cas de le dire, en décroisant les jambes dans Basic Instinct…
Enfin et ce n’est pas le moindre des soucis dans une fête aussi mondialement exposée que Cannes, il s’agit aussi d’avoir du beau monde sur le tapis rouge, histoire de nourrir la meute Kodak et ses clients affamés de stars, de mannequins et de toilettes pour faire rêver Kev et Liloo sur les réseaux sociaux…
Alors, pourquoi pas, après tout, un film de zombies pour ouvrir cette édition 2019 ? D’autant que, côté casting, Jim Jarmush semble carrément avoir pensé à la Croisette en le constituant…
Dans la sereine petite ville de Centerville, 738 âmes, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et chats et chiens commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Cependant les flics du coin ne s’alarment pas encore et se contentent de tancer Bob l’ermite, un homme des bois doublé d’un voleur de poulets. Cela dit, Ronnie, l’adjoint du chef Robertson, répète quand même un peu trop souvent : « Tout cela va mal finir… »
De fait, les morts-vivants soulèvent la terre des tombes du cimetière local et vont sauvagement casse-croûter dans le diner local. Autant le dire simplement, Fern, la patronne du café, et Lily, la femme de ménage, se retrouvent les tripes à l’air. Il est vrai que le premier mot que l’on entend prononcer dans The Dead Don’t Die, c’est « Beurk !»
Jim Jarmush est un grand habitué de la Croisette où il a montré la quasi-totalité de son œuvre. Et on vit ainsi des œuvres puissantes, piquantes, poétiques, contemplatives, ambitieuses aussi comme Stranger than Paradise (1984), Down by Law (1986), Mystery Train (1989), Dead Man (1995), Ghost Dog (1999), Coffee and Cigarettes (2003), Broken Flowers (2005) ou Paterson (2016)… Alors, étrangement, en voyant The Dead…, on se dit que le cinéaste aux cheveux blancs ne s’est pas vraiment foulé… Comme si ce pur film de genre n’était qu’une amusante escapade dans un univers, évidemment très codifié, dans lequel Jarmush s’amuse à injecter quelques réflexions sur le devenir de la planète ainsi que quelques private jokes sur le/son cinéma… Ainsi, il est question de la Terre sortie de son axe mais aussi des dérèglements climatiques dont le gouvernement américain nie la nocivité…
Côté cinéma, The Dead… est presque un jeu de piste pour cinéphiles passionnés puisqu’on y trouve des références à Nosferatu, Star Wars, Rencontres du 3etype, Frodon, George Romero, le motel de Psycho et on en oublie sans doute. Quant aux blagounettes sur son travail, Jarmush nous gratifie de dialogues du genre : Le chef Robertson : « Comment tu sais que ça va mal se passer ? » Ronnie : « C’était écrit dans le script ! » Le chef : « Tu as eu tout le script ? Moi, je n’ai eu que nos scènes… Quel salaud, ce Jim ! Moi qui ai tant fait pour lui… » Sans omettre les clins d’œil récurrents à la chanson country de Sturgill Simpson qui donne son titre au film.
Pour le reste, le duo, bientôt secondé par une fliquette fragile, va mollement faire la chasse à des morts-vivants verdâtres, démontés (ah, le bras par-dessus la tête !) et voraces, récitant des litanies où se mêlent café, xanax, sucettes, wifi, jouets… Comme tout amateur de films de zombies le sait, il convient de « tuer la tête », autrement un zombie ne s’avoue vaincu que lorsqu’on le décapite. A ce jeu, la police va recevoir l’aide précieuse de Zelda (Tilda Swinton), la nouvelle propriétaire (écossaise) des pompes funèbres locales. En parfaite émule de Beatrix Kiddo, l’héroïne du Kill Bill tarantinien (incarnée par Uma Thurman), la diaphane et intrigante Zelda, vêtue de son kimono immaculé, travaille brillamment du sabre… Et les têtes volent… Sans doute, pas assez malheureusement, pour empêcher les goules de mener à bien leur sinistre moisson. Dans la bonne tradition, trois jeunes gens venus de la ville, y passeront aussi…
Comme tout cela se déroule à un rythme (volontairement ?) paisible, on a le temps de suivre le tandem Bill Murray/Adam Driver en flics lents et un peu bas du front et de voir passer, plus ou moins brièvement, Chloë Sevigny, Iggy Pop, l’iguane passé zombie ou Steve Buscemi, solide supporter de Trump, portant une casquette rouge marquée Make America White Again et propriétaire d’un chien nommé Rumsfeld.
Bref, on a connu Jarmush plus ambitieux. Même si on mesure bien que cette « apocalypse zombie » (sic) n’est qu’un exercice de style sur des figures imposées, il nous laisse sur notre faim tant pour ceux qui survivront aux morts-vivants que pour la conclusion : « Quel monde de merde !».
THE DEAD DON’T DIE Fantastique (USA – 1h44) de Jim Jarmush avec Bill Murray, Adam Driver, Chloë Sevigny, Steve Buscemi, Danny Glover, Caleb Landry Jones, Rosie Perez, Iggy Pop, Sara Driver, RZA, Carole Kane, Austlin Butler, Luka Sabbat, Selena Gomez, Tom Waits. Dans les salles le 14 mai.