LILLIAN ROSS ET DEUX MONSTRES SACRES
Durant sept décennies, Lillian Ross (1926-2017) fut l’une des journalistes phares du New Yorker. Cette pionnière du « journalisme littéraire » rejoignit l’équipe du célèbre journal en 1945. Tout au long de sa carrière, elle a beaucoup écrit sur des cinéastes parmi lesquels Clint Eastwood, Federico Fellini, Akira Kurosawa, Oliver Stone, Tommy Lee Jones, Wes Anderson et Francis Coppola.
John Huston fut le personnage de son livre Picture, qui relatait le tournage du film The Red Badge of Courage (La Charge victorieuse), en 1951. Devenu un classique du genre, ce livre est généralement reconnu comme le premier long reportage journalistique, écrit sous une forme romanesque, autour de relations liant, entre autres, le réalisateur John Huston, le producteur Gottfried Reinhardt, Dore Schary, directeur de production de la MGM, et le responsable du studio, Louis B. Mayer.
HUSTON.- La journaliste écrivit son premier article sur Hollywood en 1948. L’année suivante, son article Questions, narrant sa rencontre à New York avec John Huston, fut publié dans la rubrique Talk of the town (Tout le monde en parle) du magazine. Ses écrits sur Huston continuèrent en 1952 avec le livre Picture.
Au cours des quatre décennies qui suivirent, Mme Ross écrivit régulièrement sur ce personnage haut en couleurs qu’est John Huston (1906-1987). En septembre 1965, elle est en immersion à Cinecittà, les studios romains, sur le plateau de La Bible. Le cinéaste a envisagé de projeter son film sans le moindre nom au générique, pas même le sien, que ce soit au début ou à la fin. « Nombre de ses collaborateurs techniques, écrit Ross, approuvent déjà fortement cette idée. L’un d’eux gratifia même Huston d’une puissante étreinte à l’italienne en entendant cela, s’enthousiasmant, le doigt pointé vers le ciel : Laissons donc les gens penser que c’est Lui qui a fait le film. »
En 1984, Ross suit, à Brooklyn, le tournage de L’Honneur des Prizzi, avant-dernier film du cinéaste. Elle est aussi, au gré d’incessants allers- retours à travers Manhattan, sur celui de La Lettre du Kremlin (1970). Elle couvre l’avant-première de Fat City (1972) ou l’étape de pré-production d’À nous la victoire (1981), un film sur le football qui n’est pas le meilleur de la carrière de Huston. La journaliste narre ainsi la rencontre entre Huston, le producteur Freddie Fields, Sylvester Stallone et Pelé, la star brésilienne, qui incarne, dans cette aventure se déroulant dans un stalag de la Seconde Guerre mondiale, le caporal et prisonnier de guerre Luis Fernandez… « Tu vas devoir m’apprendre à étirer correctement le bras, dit Stallone à Pelé, agrippant son bras droit par-dessus sa tête. Sur Rocky II, je me suis déchiré le muscle pectoral droit. Ils ont dû percer un trou dans un os pour attacher le muscle. Cent cinquante-six points de suture ». Pelé, lui, souhaitait avant tout que les scènes de football soient justes…
Conclu par un papier sur le tournage du film réalisé par Anjelica Huston en 1996, Bastard Out of Carolina, ce volume présente sept précieux articles (datés de 1949 à 1986 et rassemblés, ici, pour la première fois) de Lillian Ross pour The New Yorker.
TRUFFAUT.- En février 1960, François Truffaut est à New York pour recevoir le New York Film Critics Award qui récompense Les 400 coups que certains, précise Lillian Ross, considèrent même comme le plus grand film jamais réalisé sur l’enfance. La journaliste va rencontrer Truffaut dans son hôtel du sud de Manhattan et le trouve « manifestement serein et prêt à parler sans fin, en français, de films, de films et encore de films ». Avec humour, elle raconte que le cinéaste, vêtu avec élégance, porte des… pantoufles. Parce qu’il a mal au pied. Et Truffaut de préciser que, détestant le shopping, il s’impatiente vite et achète la première paire de chaussures venue… Alors, forcément. Mais le « jeune Truffaut », comme le désigne Ross, parle essentiellement de cinéma. Il raconte ainsi que, pour Tirez sur le pianiste auquel il met la dernière main, il ne savait pas comment finir le film : « Alors, j’ai emmené mes acteurs à Grenoble et les ai laissés dehors, dans la neige. C’est une théorie que j’ai : lorsque vous ne savez plus quoi faire sur un film, il faut sortir, aller à l’air libre ; ça débloque quelque chose… »
Lors de cette première rencontre (qui donna lieu à un papier intitulé Sur le cinéma et paru le 20 février 1960) le cinéaste et Lillian Ross décident de s’entretenir tous les cinq ans. Entre 1960 et 1976, Lillian Ross rédigea ainsi une série d’articles sur François Truffaut (1932-1984) pour la rubrique Talk of the Town du New Yorker. Il y eut ainsi des papiers à l’occasion des sorties américaines de La Peau douce puis de L’Enfant sauvage jusqu’au rôle du professeur Lacombe dans Rencontres du troisième type de Spielberg. « Je n’ai jamais posé la moindre question, confie Truffaut. Je me suis fait un devoir de ne pas importuner Spielberg. Je tenais à ce qu’il soit clair qu’ils pourraient me virer si je n’étais pas bon ». Dans ce livre qui rassemble ces articles pour la première fois, Lillian Ross résume parfaitement l’auteur de la Nuit américaine : « Intérêt en dehors des films : néant. Intérêt pour les films : toujours dévorant ».
JOHN HUSTON. Par Lillian Ross. Carlotta Ed.. 84 pages. 8 euros.
FRANCOIS TRUFFAUT. Par Lillian Ross. Carlotta Ed. 44 pages. 5 euros.