Petrunya, Rachel, Pablo, Max, Campbell, Adam, Ülys et les autres
FABLE.- Tous les ans, au moment de l’Epiphanie, Stip, petite bourgade de Macédoine, accueille une curieuse cérémonie religieuse… Un prêtre lance en effet une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes se jettent à l’eau pour l’attraper. Car le bonheur et la prospérité sont assurés à celui qui y parvient. Ce jour-la, Petrunya plonge et s’empare de la croix avant tout le monde. Furieux, ses concurrents hurlent leur colère parce qu’une femme a osé participer à ce rituel. Tandis que le prêtre se désole, que la foule des hommes gronde, Petrunya tient bon. Elle a gagné sa croix et elle ne la rendra pas.
C’est en découvrant dans les médias l’histoire vraie d’une femme et d’une croix qui avait provoqué un tollé, en 2014, en Macédoine que la réalisatrice Teona Strugar Mitevska a eu l’idée de son cinquième long-métrage, une fable à la fois burlesque et grave sur la misogynie et le conformisme social. Dieu existe, son nom est Petrunya (Macédoine – 1h40. Dans les salles le 1ermai) est en effet une œuvre féministe et jubilatoire, entre tradition et modernité, dont l’héroïne est une grosse fille qui voit sa petite existence morne partir en miettes, tout simplement parce que, sur un coup de tête, elle a plongé dans une rivière…
Commence alors un enchaînement de péripéties qui font parfois songer à l’univers du Forman des années tchèques ou aux premiers films de Kusturica. Au centre de cette aventure improbable et loufoque, Petrunya, des rondeurs à gogo, encombrée d’une mère envahissante qui lui répète de dire qu’elle a 25 ans alors qu’elle en a 32. Pire, le petit patron qu’elle rencontre pour trouver un job, lui lance : « Tu en fais 42 et tu es moche ! » Mais comme quelqu’un a filmé l’exploit de Petrunya avec son téléphone, les médias vont s’emparer de l’affaire. Et l’héroïne va finir au poste où, dans la meilleure tradition bureaucratique communiste, on va lui mettre la pression… Mais Petrunya, incarnée par la pétulante Zorica Nusheva, n’en a que faire. Car, après tout, Dieu est peut-être bien… une femme !
PASSION.- Pilonnée par les bombes alliées, la ville de Hambourg n’est plus qu’un immense champ de ruines. Au sortir de la guerre, en 1946, le colonel britannique Lewis Morgan a en charge la reconstruction de la cité hanséatique dévastée. Rachel y rejoint son mari qui a trouvé la belle villa Lubert pour poser leurs bagages. En emménageant dans cette nouvelle demeure, Rachel découvre qu’ils devront cohabiter avec les anciens propriétaires, un architecte allemand et sa fille. Révoltée par cette promiscuité forcée avec l’ennemi, Rachel va cependant connaître des sensations troublantes face au séduisant Stephan Lubert…
Admirateur, dit-il, de David Lean qui savait bien capter l’intime et le grandiose, James Kent, le réalisateur de Cœurs ennemis (USA – 1h48. Dans les salles le 1ermai) adapte, ici, Dans la maison de l’autre, un roman du Gallois Rhidian Brook paru en France en 2015 et signe un triangle amoureux sur fond de guerre.
Car la belle Rachel, souvent abandonnée par son mari, parti sur le terrain, va tomber sous le charme de cet architecte allemand qu’elle a fait refouler dans les combles de la vaste demeure. Mais, assez évidemment, Rachel montera rejoindre Stephan pour des étreintes fiévreuses. La reconstitution d’époque est soignée et les détails historiques sont bienvenus, qu’il s’agisse du combat d’arrière-garde des jeunes terroristes allemands haineux face aux Anglais ou encore de… la vaste trace sur le mur d’un tableau retiré… dont on comprend qu’il était le portrait du Führer. Mais, pour le cœur du récit, on observe, sans trop y croire, cette histoire de passion aussi soudaine que puissante. Car si le contexte est original, le traitement est passablement conventionnel. Jason Clarke est un Lewis Morgan traumatisé par le conflit et qui sent bien qu’il va perdre sa femme. Alexander Skarsgard est un Allemand qui n’a pas combattu le fascisme et qui trouve, dans cette brève rencontre avec Rachel, le moyen de se relever. Quant à Keira Knightley, elle est une Rachel diaphane qui ne guérit pas d’un drame familial terrible…
TEMOIGNAGES.- Ils se nomment Campbell, Jesi, Adam, Shayla, Luke, Stephen, Charlie, Matthew, Danny, Emma, Daniel, Artem, Cayden, Cole, Ülys, Lino, Moa, Isaiah ou Loren. Ils vivent en Floride, dans le Massachussets, en Californie, dans l’Oregon, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Australie, en Russie, au Canada, au Japon ou à Nantes. Tous, en quelques fractions de seconde, en quelques mots bredouillés, sur internet ou avec leur téléphone portable, font leur coming out. Avec, pour tous, la peur au ventre, la peur d’être jugés, condamnés, incompris, méprisés, haïs, battus, peut-être même tués. Face à la caméra, le Russe Artem explique : « Dans ma famille, ils disent que tous les gays doivent être détruits… »
Avec Coming out (France – 63 minutes. Dans les salles le 1ermai), Denis Parrot, monteur image et infographiste, né en région parisienne en 1974, signe son premier film documentaire en tant que réalisateur. Pour expliquer comment lui est venue l’idée de son film, le cinéaste indique : « Il y a deux ans, je suis tombé sur une vidéo YouTube : un jeune avouait son homosexualité à sa grand-mère au téléphone et se filmait avec sa webcam. On sentait chez lui une immense difficulté à parler, la peur de ne pas être compris ou accepté. On devinait aussi qu’il anticipait ce moment depuis des mois ou même des années. La vidéo durait dix minutes, et pendant neuf minutes, avant qu’il ne parvienne à avouer, il y avait beaucoup de silences, de phrases banales du quotidien. Cette vidéo m’a beaucoup ému, non seulement par rapport au dispositif, très simple, un peu tremblotant, mais aussi par ce qu’elle dévoilait de non-dits dans ses silences… » Parrot va constater que des milliers de telles vidéos existent sur YouTube. Les considérant comme des images d’archives contemporaines, Parrot s’est livré à un gros travail d’écriture pour réunir toutes les thématiques (gay, lesbienne, bi, trans) qu’il voulait aborder… Le montage de ces vidéos le plus souvent bouleversantes, parfois souriantes, donne sa forme à ces témoignages qui sont autant de véritables révélations pour leurs (jeunes) auteurs. Avec aussi le souci de partager une expérience intime et difficile tout en rompant l’isolement et la solitude. Le souci du cinéaste était de faire bouger les lignes. Il y parvient !
THERAPIE.- Habitant de Guatemala City, Pablo, 40 ans, est un « homme comme il faut ». Il est marié, vit dans un univers feutré, sa femme Isa est charmante et ses deux enfants sont merveilleux. Autour de lui, gravite une grande famille avec un père plutôt bougon, une mère plutôt envahissante, un frère attentionné… Pablo pratique aussi sa religion avec ferveur et assiduité. Mais, en tombant amoureux de Francisco, Pablo va passer de l’autre côté du miroir. D’abord effondrée puis anxieuse des conséquences, sa famille, appuyée par son Église, décide de l’aider à se « soigner ». Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le péché.
« A l’origine de l’histoire de Pablo, il y a le récit, explique le réalisateur Jayro Bustamante, que m’a fait un homme de sa vie, de son homosexualité. Ce qui aurait pu être le simple récit d’un coming-out est devenu peu à peu beaucoup plus complexe car je réalisais que j’avais face à moi un homme qui était gay et homophobe à la fois… » Pour le Franco-guatémaltèque Bustamante, remarqué avec Ixcanul (2015), son premier long-métrage de fiction primé à la Berlinale, Tremblements (Guatemala – 1h47. Dans les salles le 1ermai) est l’occasion de se pencher sur la manière dont la société de son pays natal pèse sur la condition des gays. Comme l’a fait très récemment Joël Edgerton, avec Boy Erased, le cinéaste entraîne le spectateur dans l’atmosphère étouffante et mortifère d’une thérapie de conversion que Pablo, sous la pression de sa famille convaincue de la pertinence du « traitement », accepte de suivre et qu’il va payer le prix fort. Comédien très connu au Guatemala, Juan Pablo Olyslager prête à Pablo un physique ténébreux et incarne un type enfermé dans un mode de vie qu’il n’a pas choisi et qu’il subit rudement. Quasiment en apnée, on subit un cheminement qui, dans l’univers froid d’une église évangéliste, va jusqu’à la castration chimique en plus de l’enseignement religieux, du coaching sur la masculinité et d’un régime alimentaire spécial ! Une plongée terrible dans la vie d’un homme mis au ban de sa famille et de la société.
COPAINS.- Franchement, Max n’a pas la frite. Plus préoccupé que jamais, il est parti dans sa belle maison au bord de la mer pour tenter de se remettre la tête à l’endroit. Mais il sait que bientôt, pour faire face à des soucis financiers, il devra vendre… Et c’est justement le moment que choisit sa bande de potes, qu’il n’a pas vue depuis plus de trois ans, pour débarquer par surprise, histoire de lui fêter dignement son anniversaire ! La surprise est entière mais l’accueil l’est beaucoup moins… Orchestré par Max, commence alors une comédie du bonheur qui sonne faux et qui va surtout mettre le groupe dans des situations pour le moins inattendues…
En 2010, Guillaume Canet faisait un malheur dans les salles françaises avec Les petits mouchoirs qui totalisait, in fine, 5,4 millions d’entrées. Presque dix ans plus tard, Canet remet le couvert et réunit à nouveau (même s’il paraît qu’ils étaient un peu réticents au départ) François Cluzet, Marion Cotillard, Gilles Lellouche, Laurent Lafitte, Benoît Magimel, Pascale Arbillot, Joël Dupuch et même (très furtivement) Jean Dujardin, rejoint, ici, par José Garcia en robuste dragueur… Donc, les enfants ont grandi, d’autres sont nés, les parents n’ont plus les mêmes priorités. Mais il y a toujours, au-delà des retrouvailles, des embrouilles, des bobards, des amours, des accolades, des coups de gueules et même le running gag de la nounou mal embouchée qui, tout en s’occupant bien du bébé d’Eric, pourrit singulièrement le père. Bref, on regarde Nous finirons ensemble (France – 2h15. Dans les salles le 1ermai) avec un sentiment mélangé. Il y a d’une part, la jolie nostalgie des copains d’abord et puis, d’autre part ou en même temps, l’impression que tout cela tourne à vide pour finir par parler faux. Et comme le film est aussi agaçant par son côté « dépliant publicitaire » pour le bassin d’Arcachon et le Cap Ferret, on a décroché avant la fin. Sans avoir l’impression d’avoir raté grand’chose.