Victor, Célia et leur petite entreprise
En 1999, avec Ma petite entreprise, Pierre Jolivet séduisait un large public en racontant l’aventure d’Ivan (Vincent Lindon), patron d’une petite boîte de menuiserie, aux prises avec des assureurs indélicats et qui décidait de passer à l’action, y compris avec des moyens pas vraiment légaux… Près de vingt ans plus tard, le cinéaste revient à ce cinéma social qu’il affectionne, cette fois en contant l’histoire de Victor, jeune coiffeur dans une grande franchise, bien décidé, avec son ami Ben, à ouvrir leur propre salon de coiffure… Mais Ben va se tuer tragiquement dans un accident et Victor se retrouve avec un sacré dossier sur les bras. Car Ben devait apporter une quote-part importante dans le financement du projet…
Ne sachant plus trop où donner de la tête, Victor est sur le point de renoncer. Mais il se souvient qu’avec son amie Célia, il avait déjà eu cette envie de petite entreprise. Mais c’était il y a longtemps, à l’époque où ils faisaient leurs études. A l’époque aussi, Victor et Célia étaient ensemble. Aujourd’hui, à l’association proposée par Victor, Célia répond simplement : « Non ». Mais c’est sans compter sur le petit et délicieux frisson qui naît à l’idée de mener sa propre barque professionnelle…
Au sortir des Hommes du feu, après des mois passés dans une caserne, à être confronté au feu, aux drames, aux blessures, Jolivet a eu envie de changer de registre. Victor et Célia, né d’une rencontre avec de jeunes entrepreneurs (voir ci-dessous) est une manière d’aborder le désir de certains trentenaires de s’en sortir en refusant de subir, de jeunes gens qui partent du principe que rien n’est écrit et qui font le choix -le plus souvent périlleux- de rebattre leurs cartes.
Mêlant les registres de la comédie sociale et de la comédie sentimentale (Victor et Célia vont-ils finalement réussir aussi leur romance ?), le cinéaste raconte, par le menu, les péripéties dans lesquelles l’ouverture de leur salon de coiffure, va entraîner Victor et Célia et aussi comment l’une et l’autre vont grandir au milieu des embûches. Car, dans sa quête irrépressible d’indépendance, le jeune couple va tout expérimenter. La paperasse, le crédit, la banque, les charges, les réglementations en tous genres et, globalement, tous les obstacles liés à la création d’une petite entreprise. Et tant pis s’il faut raconter n’importe quoi à la brave dame qui s’inquiète des nuisances avant de leur louer les murs du futur salon… Dans ce domaine, avec des situations souvent amusantes (ah, l’arnaque à la start-up Coiff.com) et des dialogues joliment ciselés (« Je veux bien être pendu, dit Victor, mais je choisis la corde ») Jolivet réussit son coup grâce à une mise en scène vivante, fluide et rythmée. D’autant que le cinéaste évite le quart d’heure de trop qui aurait pu plomber l’histoire…
Enfin Pierre Jolivet peut s’appuyer sur le joli tandem composé par Arthur Dupont, vu naguère, en Jérôme Kerviel dans L’outsider de Christophe Barratier, et Alice Belaïdi qu’on a vu dans l’un des rôles principaux de la série télé Hippocrate…
Tandis que Victor apparaît comme un personnage solaire, parfois insouciant ou indécis mais toujours en train d’avancer quitte à contourner le problème, Célia est le maillon fort des deux. Elle a les pieds sur terre, elle est plus mûre, plus pondérée et elle gère : sa grand-mère, son couple, son patron libidineux, son manque de fric… Si elle ose moins parce qu’elle a sans doute davantage conscience des risques, elle a la tête bien faite et Victor le sent bien…
Autour d’eux, Jolivet a réuni des seconds rôles attachants et drôles comme Bruno Bénabar, le chanteur qui campe, à contre-emploi, un comptable pas piqué des hannetons, Bérengère Krief en infirmière bonne copine jamais avare d’une histoire infâme mais on aime beaucoup aussi le personnage de Bernadette qui candidate pour travailler dans le nouveau salon et affirme : « Moi, ce que je ne veux pas, c’est travailler pour des cons ! »
Victor et Célia est une bonne comédie qui distille une charmante et sympathique énergie.
VICTOR ET CELIA Comédie (France – 1h31) de Pierre Jolivet avec Arthur Dupont, Alice Belaïdi, Bruno Bénabar, Bérengère Krief, Adrien Jolivet, Tassadit Mandi, Aurélien Portehaut, Sarah Kristian, Christophe Gendreau. Dans les salles le 24 avril.
RENCONTRE Pierre Jolivet : « Je suis très proche de la vraie vie des vrais gens »
L’œil pétillant et le verbe rapide, Pierre Jolivet, venu aux Rencontres du cinéma de Gérardmer, constate : « Vous savez quand on choisit un sujet de film, il faut qu’il y ait des ramifications internes fortes pour que ça tienne les deux années et plus pendant lesquelles on va travailler dessus… » Le réalisateur sait de quoi il parle, lui qui, depuis 1985, compte pas moins de dix-sept longs-métrages à son actif. Des œuvres dans lesquelles la dimension sociale est très souvent présente. « Longtemps après, je reviens vers le sujet de Ma petite entreprise… C’est la Nouvelle vague qui a fait disparaître le cinéma social. Il a fallu attendre Claude Sautet pour revenir à cette thématique… Quand je préparais Ma petite entreprise, personne ne voulait m’aider. On me disait : ça ne va intéresser personne. Oui, bien sûr, il y a seulement 75% des Français qui sont dans de petites entreprises !»
Le metteur en scène est assez fier, dit-il, d’avoir été le premier à évoquer des histoires de… gilets jaunes. En effet, Fred, en 1997, parlait d’un grutier au chômage et, en 2015, dans Jamais de la vie, Olivier Gourmet était un ancien syndicaliste reconverti en agent de sécurité qui noyait sa solitude dans l’alcool…
« Dans mon enfance, à Maisons-Alfort, se souvient le cinéaste, il y avait beaucoup de petites entreprises, des garages, des menuisiers… Je suis très proche de cela, de la vraie vie des vrais gens. Il y a souvent des artisans dans mes films. Le geste juste me plaît. » Le geste juste, Arthur Dupont et Alice Belaïdi l’ont travaillé sérieusement pendant une semaine en apprenant vraiment à faire des coupes au ciseau… C’est en discutant, dans son quartier à Paris, avec deux jeunes coiffeurs qui venaient d’ouvrir leur salon que Pierre Jolivet a eu l’idée de son film : « Quand on a ouvert la boîte, disaient-ils, on ne dormait plus… » Ces jeunes entrepreneurs, constate le cinéaste, ont une obsession : retrouver la liberté, l’indépendance et le plaisir… « Depuis, mes jeunes coiffeurs ont déjà ouvert un second salon. Mais eux, ce sont des bêtes. Pas comme mes personnages… »