Un couple contaminé par l’angoisse du doute
Prise de convulsions, une nuit, une petite fille est emmenée d’urgence par ses parents à l’hôpital. Quelques heures plus tard, la fillette sauvée se repose… Face à un médecin, son père et sa mère tombent, eux, des nues quand ils l’entendent dire que des traces de cocaïne ont été trouvées dans l’organisme de l’enfant…
Tandis que les faits font l’objet d’un signalement à la police, Romain, le père, craque. Dans un souffle, il lâche : « C’est moi ». Et confie que son addiction dure depuis longtemps, des années : « Au début, c’était quand on sortait, ensuite je suis tombé dedans ». Depuis, Roman, qui travaille comme chirurgien-dentiste, consomme tous les jours. D’ailleurs, dans la séquence pré-générique, on découvre comment Roman flippe lorsqu’il n’arrive pas à joindre son dealer. Le manque, soudain, devient criant, douloureux, une véritable plaie qui le martyrise… Dès le départ du film, on se retrouve dans un système qui déraille où Roman évolue sur le fil, au bord du précipice.
En s’appuyant sur une histoire vraie (voir ci-dessous), Audrey Diwan, pour sa première réalisation, met en scène -sinon avec ses ressorts, du moins, avec ses ressources- un thriller intime. En même temps, au-delà du suspense, Mais vous êtes fous repose sur un triangle amoureux où la drogue intervient comme une maîtresse…
Parce qu’elle a été nourrie au bon lait d’auteurs comme Robert Bresson, Ken Loach ou Hirokazu Kore-eda, la cinéaste s’applique, ici, à dire beaucoup de choses en usant d’une belle économie de moyens. Dans le même temps, Audrey Diwan partage aussi le goût de son compagnon Cédric Jimenez (pour lequel elle a signé trois scénarios dont ceux de La French en 2012 et HHhH en 2015) pour le film noir et le cinéma américain.
Autour de ces deux approches, Mais vous êtes fous se concentre d’abord sur le personnage de Roman, de ses relations avec Camille, sa femme mais aussi Bianca et Lucie qu’il aime, toutes, réellement. C’est autour de Roman que vont s’organiser les « éléments extérieurs » que sont l’intervention de la médecine (pour le sevrage de Roman), de la police (ah, l’appartement ravagé par la perquisition, véritable métaphore d’une existence saccagée), des services de la DDASS pour le placement des fillettes ou encore de l’avocate de Roman sans oublier le court coup de projecteur sur les parents de Camille : « On lui avait ouvert les bras. Maintenant, on fait comme s’il était mort… »
Le second et le troisième actes du film vont, eux, se focaliser d’abord sur Camille puis sur le couple tandis que le thriller cède le pas, cette fois, au drame conjugal. Passant de la colère à l’amour et réciproquement, Camille est prise dans la spirale vertigineuse du doute. Sitôt que Roman se rend dans la salle de bains, c’est une sourde et contagieuse angoisse qui s’empare de Camille. Tout est pareil et plus rien n’est pareil. Plus rien ne semble possible et pourtant Camille et Roman s’aiment toujours, même contre le reste du monde. Désormais l’inquiétude et le soupçon appartiennent inévitablement à leur quotidien.
Avec un jeu volontairement rentré, Pio Marmaï est un père paumé qui aime profondément ses filles et qui a profondément peur de les perdre. Roman est un père très présent, très tactile et qui, par là même, paradoxalement, contamine ses filles… Quant à Céline Sallette qui s’impose de plus en plus comme l’une des meilleures comédiennes de sa génération, elle est une Camille prise entre la raison qui doit la mener à la séparation et la passion qui la force au recommencement. D’un seul regard dans un visage défait, dans un état d’abandon proche du somnambulisme, Céline Sallette réussit à faire affleurer toutes les questions, tous les doutes, toutes les affres d’une Camille en état de sidération… Sans poser de jugement moral sur l’addiction de Roman et sur le drame qu’elle provoque, Audrey Diwan pose la question : « L’amour a-t-il une chance quand la confiance est rompue ?». Et cela nous vaut une œuvre dense et prenante. Une réussite !
MAIS VOUS ETES FOUS Drame (France – 1h35) d’Audrey Diwan avec Pio Marmaï, Céline Sallette, Carole Franck, Jean-Marie Winling, Lola Rosa Lavielle, Keren-Ann Zajtelbach, Maxence Tual, Valérie Donzelli, Jeanne Rosa, Anne Loiret, Laurent Bateau. Dans les salles le 24 avril.
RENCONTRE Audrey Diwan : « Une impression de puissance qui ne dure pas »
« Par l’entremise d’une amie, j’ai rencontré, en 2012, une jeune femme à la sensibilité très particulière. Nous étions dans un parc où j’étais venue avec mes enfants. En les regardant, elle a soufflé : tu as de la chance de les avoir, toi… » Venue aux Rencontres du cinéma de Gérardmer, Audrey Diwan a évoqué ainsi la naissance de son premier long-métrage comme réalisatrice. Car la jeune femme lui raconte alors une vie « normale », un mari présent qui s’occupait beaucoup de leurs deux enfants. Et puis, un jour, la révélation qui explose comme une bombe… « Il y avait un état de sidération chez cette femme quand elle parlait. Il y avait de la colère mais aussi de l’amour ».
Après avoir été journaliste, éditrice, écrivaine et scénariste, Audrey Diwan passe donc derrière la caméra pour un thriller intime où elle voulait traiter la drogue comme une maîtresse qui s’immisce dans le couple mais sans jamais poser de jugement moral. « J’ai fait pas mal de recherches. J’ai discuté avec des labos pour comprendre ce phénomène invasif souvent lié à la pénibilité. Aujourd’hui, il faut pouvoir tenir et souvent on a le sentiment qu’on ne va pas y arriver. Alors la drogue donne une impression de puissance qui ne dure pas. Et puis, j’ignorais l’aspect contagion… » Pour Mais vous êtes fous, la cinéaste peut s’appuyer sur deux beaux comédiens. « J’avais rencontré Céline Sallette il y a dix ans, pour une interview. Nous sommes devenues amies et j’ai écrit le personnage de Camille en pensant à elle. Elle a une concentration extraordinaire, un jeu total et un abandon complet ». Quant à Pio Marmaï, il sortait du tournage de En liberté ! de Pierre Salvadori où il était dans le burlesque complet : « Et moi, je lui ai demandé tout le contraire ! D’en faire toujours moins, de rentrer constamment ses émotions. Et il l’a fait avec une facilité déconcertante ! »