De l’obscurantisme à l’horreur

En mai dernier, Timbuktu, premier film de la compétition officielle cannoise, était aussi le premier coup de coeur de la Croisette. Déjà, on lui promettait une juste Palme d’or mais les jours de Cannes sont longs et un film chasse l’autre. On dit au Festival qu’il vaut mieux être en compétition à la toute fin du parcours cannois plutôt qu’au tout début. On sait qu’Abderrahme Sissako fut bien déçu de ne pas figurer au palmarès (il eut le Prix du jury oecuménique) mais on ne craint pas de prédire un beau succès à Timbuktu tant ce film est une oeuvre simplement bouleversante. Et qui prend, par les temps qui courent, une résonance particulière. Alors que les effarantes exactions de Daech, Boko Haram ou AQMI donnent régulièrement à l’actualité les couleurs terreuses de la mort en marche, le cinéaste malien vient offrir un conte moral où l’harmonie est battue en brèche par l’obscurantisme religieux.
Non loin de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, le Touareg Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, de sa fille Toya et d’Issan, son petit berger âgé de 12 ans… En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur de djihadistes qui ont pris leur foi en otage. Fini la musique, les rires, les cigarettes, la flânerie, le football même. Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité tandis que des tribunaux improvisés rendent chaque jour des sentences absurdes et tragiques.

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Toulou Kiki, Ibrahim Ahmed dit Pino et Layla Walet Mohamed. DR

Un temps, Kidane et les siens semblent épargnés par le chaos proche. Mais le destin en a décidé autrement. Issan est allé faire paître son troupeau au bord de l’eau. Amadou, le pêcheur, lui a demandé d’éviter que les vaches se prennent les sabots dans ses filets. Hélas… Amadou va tuer d’un coup de sagaie, GPS, la vache préférée de Kidane. Celui-ci va demander des comptes au pêcheur. Un coup de feu claque accidentellement. Kidane va devoir faire face aux nouvelles lois des djihadistes, ces occupants venus d’ailleurs…

En 2012, Abderahmane Sissako avait été frappé par la lapidation à mort, dans une petite ville du Mali, d’un homme et d’une femme qui s’aimaient, avaient eu des enfants mais dont le seul crime était de ne pas être mariés devant Dieu. La mise à mort avait été diffusé sur internet et les grands médias du monde étaient restés d’une indifférence totale. C’est de cette histoire qu’est né Timbuktu. A l’origine, le cinéaste avait songé à un documentaire mais avait finalement fait le choix de la fiction, ne voulant notamment pas tendre le micro aux djihadistes…

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Les femmes réduites à être des ombres… DR

Alors que l’Afrique a tant de mal à faire exister son cinéma, voilà que Sissako apporte une magnifique illustration de ce cinéma. Un cinéma si rare que le cinéaste, en passeur, ici, d’une conscience collective révoltée, considère que son propos doit avoir une portée universelle, qu’il doit alerter et concerner toute l’humanité. Et c’est exactement ce que fait Timbuktu dans une superbe économie de moyens. Voici tout à la fois l’histoire bouleversée d’une famille vivant dans l’austérité mais aussi dans l’harmonie et le drame d’habitants confrontés à l’intégrisme islamiste. Dans la ville, les pick-ups de la police islamique patrouillent, les mégaphones hurlent, les djihadistes imposent la terreur à travers des règles strictes et absurdes qu’ils sont eux-mêmes incapables d’appliquer…

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Quand le destin frappe… DR

Film beau et bouleversant, servi par des comédiens professionnels ou amateurs tous étonnants, Timbuktu est une oeuvre pleine de nuances et d’humanisme, ne tombant jamais dans le manichéisme. Avec sobriété, Sissako pointe la violence et l’atteinte aux droits de l’homme. S’il ne fallait, parmi une succession de scènes puissantes et parfois dérisoires (les djihadistes sont des pieds nickelés hypocrites et cédant à leurs pulsions) n’en retenir qu’une, ce serait celle du match de football. Parce que ce sport est interdit, ses adeptes le pratiquent… sans ballon. Une sublime illustration de la puissance de l’imagination, « la dernière arme, dit le cinéaste, qui reste aux gens qui viennent de perdre tous leurs repères… » Mais la séquence de la femme folle qui refuse de se couvrir la tête et qui envoie paître la police islamique est magnifique aussi.

Timbuktu est un grand film à voir absolument.

TIMBUKTU Drame (Mali/France – 1h37) d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatoumata Diawara, Hichem Yacoubi, Kettly Noël, Medhi Ag Mohamed, Layla Walet Mohamed, Adel Mahmoud Cherif, Salem Dendou, Zikra Oualet Moussa. Dans les salles le 10 décembre.

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