LE MAITRE, L’ESCROC, GILOU, LAURE ET LES PAUMES
BERGMAN MODE D’EMPLOI
Inquiet, malade d’un ulcère à l’estomac et dévoré de doutes, Ingmar Bergman est cependant le plus célèbre metteur en scène au monde. Avec Bergman, mode d’emploi, voici une passionnante étude sur le maître de Farö qui s’est déguisé dans tous ses personnages. Dans Bergman, une année dans une vie (en deux versions, l’une de 117 minutes, l’autre augmentée à 235 mn et orchestrée en quatre actes), Jane Magnusson qui observe : « Pour être réussis, ses films doivent parler de lui », se penche sur l’artiste et l’homme à travers son intense activité en 1957. Il a 38 ans, a déjà six enfants avec trois femmes et il est partout, cette année-là, avec pas moins de six productions au cinéma, à la télévision et à l’opéra ! Le coffret contient aussi l’Abécédaire Bergman A-Ö, un livre (144 p.) inédit en France qui chapitre le cinéaste de A comme Abba à Ääö, les trois dernières lettres de l’alphabet suédois en passant par J comme jalousie ou S comme silence. Une remarquable entreprise de cinéphilie. (Carlotta)
LES FORBANS DE LA NUIT
Petit malfrat sans envergure, Harry Fabian tente de monter des projets qui échouent systématiquement. Sa rencontre avec Gregorius, légende de la lutte, l’amène à échafauder un plan pour organiser un combat. Exilé à Londres à l’heure de la sinistre « chasse aux sorcières » à Hollywood, Jules Dassin y tourne, en 1950, Les forbans de la nuit, l’un des films noirs les plus mémorables des années quarante. Dans une superbe édition, on retrouve ce classique (dans ses deux versions, dont le montage britannique) interprété par l’excellent Richard Widmark et Gene Tierney, complété par de bons suppléments (dont Le squelette de l’histoire, un livre inédit de Philippe Garnier) qui éclaire la genèse et les secrets de ce diamant noir, exemple exceptionnel et réjouissant de la folie et de la grandeur des grands joueurs de l’usine à rêves. (Wild Side)
ENGRENAGES
La fin de la sixième saison avait laissé les personnages phrares de la série dans un état de crise. Tandis que Laure Berthaud est suivie dans un centre de repos de la police, « Gilou » Escoffier est désormais chef de groupe et il démarre, autour de la mort tragique du commissaire Herville, abattu dans un restaurant chinois, une enquête délicate de blanchiment d’argent, secondé par Ali, un jeune flic à cheval sur les principes et le droit. Le juge Roban est proche de la retraite tandis que Joséphine Karlsson attend son procès en prison. Avec ses personnages toujours cabossés et en quête de repères solides, Engrenages déroule sa 7esaison (12 épisodes) qui maintient brillamment le cap en nous embarquant à nouveau, dans des décors parisiens bien mis en valeur, dans un univers d’où police et justice sont bigrement chahutées. La série conçue par Alexandra Clert et écrite, pour cette nouvelle saison, par l’équipe autour de Marine Francou, continue à captiver. Une belle et palpitante réussite ! (Studiocanal)
GALVESTON
Petit malfrat de la Nouvelle-Orléans, Roy Cady est très malade. Pire, son patron lui tend un piège dont il s’échappe de justesse… Dans sa fuite, Roy embarque avec lui Rocky, prostituée et femme-enfant. Pour ces deux paumés, commence alors une cavale à travers le Texas. Comédienne remarquée, en 2006, avec Je vais bien, ne t’en fais pas, Mélanie Laurent est passée derrière la caméra et a signé Les adoptés (2011), Respire (2014) et le documentaire écologiste Demain, (2015) coréalisé avec Cyril Dion. De façon plus inattendue, la Française met en scène, avec Galveston, son premier film américain en s’emparant, avec une belle énergie, des codes du film noir. Ben Foster et Elle Fanning incarne deux personnages qui n’ont plus rien à perdre et qui vont brièvement s’apprivoiser. Du côté des interminables routes droites et des motels glauques, un surprenant et prenant film d’atmosphère. (M6)
IL MAESTRO DI VIGEVANO
Même s’il est peut-être moins célèbre que ses compatriotes Mastroianni ou Gassmann, Alberto Sordi (1920-2003) est l’un des plus magnifiques comédiens italiens, aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame. Dans la collection Make my Day qui s’applique à exhumer des films méconnus et néanmoins remarquables, le critique Jean-Baptiste Thoret met en avant Il maestro di Vigevano qu’Elio Petri réalisa en 1961, une dizaine d’années avant son fameux Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Dans ce Maestro… injustement oublié et inédit en dvd, Sordi incarne Antonio Monbeli, un enseignant de Vigevano, capitale lombarde de la chaussure, qui aime son travail et accepte son modeste salaire. Son épouse Ada (Claire Bloom) aspire à un meilleur train de vie et va pousser Antonio à quitter son emploi pour créer une petite entreprise. Une réflexion amère sur les valeurs morales face aux sirènes du matérialisme. (Studiocanal)
LES GUICHETS DU LOUVRE
En 1974, adaptant le livre éponyme de Roger Boussinot, Michel Mitrani réalise Les guichets du Louvre, premier film français qui évoque le sort funeste des Juifs du point de vue de la responsabilité de la France et de Vichy. Le 16 juillet 1942, ayant appris que la police parisienne va rafler les Juifs pour les parquer au Vel d’Hiv avant leur déportation vers les camps de la mort, Paul (Christian Rist), jeune étudiant, décide de tout faire pour arracher un Juif à la mort. Ce sera Jeanne avec laquelle il passe quelques heures, doucement amoureuses, à zig-zaguer entre les périls. La débutante Christine Pascal est magnifique en jeune fille apeurée et tourmentée dans un drame dépouillé et émouvant qui n’a pas pris une ride. Dans les suppléments, Laurent Heynemann, assistant sur le film, évoque le tournage et raconte comment Mitrani porta avec ferveur cette aventure à l’écran. Un film remarquable ! (Sidonis Calysta)
LA POURSUITE IMPLACABLE
Ex-flic devenu directeur de prison, Vito Cipriani (Oliver Reed, parfait en type violent et très speedé) est victime d’un chantage. Des affreux ont kidnappé sa femme (Agostina Belli) et le contraignent à libérer le truand Milo Ruiz (Fabrio Testi). Entre cinéma de genre et film d’auteur, Sergio Sollima signe, en 1973, La poursuite implacable, remarquable thriller noir et brutal qui suinte la peur des « années de plomb » italienne sur fond d’opposition entre classes sociales. Quand une improbable amitié naît entre deux personnages que tout semble opposer au cœur d’une paranoïa autour des pouvoirs occultes. Un passionnant film de dénonciation politique par un grand cinéaste que l’on redécouvre avec bonheur. Dans les bonus, Jean-François Rauger décrypte brillamment la place de Revolver (en v.o.) dans l’œuvre de Sollima. (M6)
UN HOMME PRESSE
« Je me reposerai quand je serai mort ». C’est le credo d’Alain Wapler, grand patron de l’automobile qui apprend à son entourage les secrets des leaders. Individu tyrannique et plein de morgue qui ne dit jamais merci mais savoure le fameux As time goes by immortalisé par le mythique Casablanca, Wapler est foudroyé par un AVC. Quand il sort du coma, il est à l’hôpital et bafouille ses mots. Jeanne, une orthophoniste (Leila Bekhti) , va l’aider à recréer les connexions entre ses neurones mais surtout à renaître dans la peau d’un homme nouveau et, probablement, meilleur. En s’inspirant de l’histoire de Christian Streiff, ex-pdg d’Airbus et de Peugeot, Hervé Mimran réussit, avec Un homme pressé, une belle fable sur un homme qui était au centre du monde, qui se retrouve seul et doit se reconstruire. Avec gourmandise, Fabrice Luchini s’amuse de jouer avec les mots et livre un brillant exercice dans la maîtrise d’une surréaliste poésie. (Gaumont)
MAUVAISES HERBES
Révélé au cinéma, en 2015, par l’autobiographique Nous trois au rien qui évoquait sa vie en clandestinité en Iran puis son arrivée en Seine-Saint-Denis, l’humoriste Kheiron revient avec Mauvaises herbes, une comédie qui allie, avec justesse, le rire et le drame. Ancien enfant des rues, Waël (Kheiron) vit, en banlieue parisienne, de petites arnaques sous l’œil bienveillant de Monique (Catherine Deneuve). Sa vie bascule lorsque Victor (André Dussollier), un ami de Monique, lui demande de l’assister pour un projet éducatif visant à aider six collégiens en complète galère… Quand un arnaqueur au grand cœur s’investit pour des laissés pour compte. Kheiron s’est souvenu du temps où, avant de devenir une vedette sur scène (son premier spectacle, mêlant stand-up slam et rap, Kheiron passe du Coq à Light date de 2008), il oeuvrait dans le social pour signer cette touchante comédie dramatique ! (Studiocanal)
EXODUS
En 1947, sur l’île de Chypre, des rescapés de l’Holocauste tentent de passer en Israël, et se heurtent à la tutelle anglaise en Palestine. Les organisations sionistes préparent alors une opération de grande ampleur afin de contourner le blocus britannique, et de précipiter les débats alors en cours à l’ONU sur le statut de ce territoire. Combattant de l’organisation de résistance sioniste clandestine Haganah, Ari Ben Canaan (Paul Newman) prend le commandement de l’Exodus, un vieux cargo grec, et une Américaine, Kitty Fremont (Eva Marie Saint), y prend place pour remplacer le médecin du bord…. Quand un peuple décide de construire son pays et une nation… Avec Exodus, l’Américain Otto Preminger a mis en scène, avec talent, une vaste saga qui prend cependant de solides libertés avec la vérité historique. Dans une version bien restaurée, cette superproduction (3h20) réalisée en 1961 d’après le roman de Léon Uris, retrace la naissance houleuse de l’Etat d’Israël. (Sidonis Calysta)
KURSK
Le 12 août 2000, lors de manœuvres en mer de Barents, dans le nord de la Russie, le sous-marin nucléaire russe K-141 Kursk, avec quelque 120 membres d’équipage, est victime d’une explosion qui l’envoie par le fond. Réfugiés à l’arrière du bâtiment, 23 marins tentent de survivre. Comment le sous-marin repose par seulement 90 mètres de fond, les autorités occidentales proposent d’intervenir pour sauver les naufragés. Mais, à terre, au grand dam des familles des marins, la bureaucratie militaire refuse l’aide de l’Occident. Avec Kursk, le Danois Thomas Vinterberg (révélé par le décapant Festen en 1998) signe un solide drame historique. Grâce à une distribution prestigieuse (jusque dans ses petits rôles, ainsi Colin Firth, Léa Seydoux ou Max von Sydow) avec Matthias Schoenaerts en tête d’affiche, cette aventure, dont on connaît pourtant l’issue, demeure palpitante. (EuropaCorp)
RAGTIME
Disparu en 2018, Milos Forman a connu deux vies de cinéaste. La première fut tchèque avec des œuvres de satire sociale comme Les amours d’une blonde (1965) ou Au feu les pompiers (1967), la seconde américaine, marquée par des productions imposantes comme Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975). A Hollywood, le cinéaste, naturalisé américain en 77, tourna en 1981 une vaste et âpre fresque sur l’Amérique au tout début du 20esiècle. Ragtime raconte l’homme noir, un pianiste de jazz, dans une Amérique blanche et brosse le portrait d’une société multiraciale et de ses injustices criantes. Tandis que le pianiste veut faire reconnaître ses droits, un engrenage s’enclenche. Echec commercial (suivi bientôt par le triomphe d’Amadeus en 1984), le film (où l’on reconnaît le vétéran James Cagney dans son dernier rôle au cinéma) mérite une redécouverte. (Arte)