Sherlock et le pizzaiolo breton
Sur la belle presqu’île de Crozon, en Bretagne, Daphné Despero, éditrice junior chez Grasset, tombe, dans une petite bibliothèque, sur une salle très singulière… C’est là que le fondateur de la bibliothèque, il y a longtemps déjà, a réuni d’innombrables livres refusés par les éditeurs… Parmi ces manuscrits, entre La masturbation et les sushis et Les poupées gonflables n’ont pas de problème de ménopause, Daphné tombe sur une pure pépite. Autour de la mort de l’écrivain russe Pouchkine (tué par l’officier alsacien D’Anthès mais ceci est une autre histoire…), un certain Henri Pick a écrit le magnifique Les dernières heures d’une histoire d’amour. Ce texte refusé va devenir un best-seller. Forcément, les médias s’emparent de l’histoire… Sur le plateau d’Infinitif, sa prestigieuse émission littéraire, Jean-Michel Rouche salue la qualité du roman mais lance un gros pavé dans la mare. Mais comment un pizzaiolo breton inconnu a-t-il pu écrire ce texte superbe, lui qui n’a jamais fait que la liste de ses courses. Rouche est en persuadé : ce coup littéraire cache une solide imposture.
En adaptant le roman éponyme de David Foenkinos (paru en 2016 chez Gallimard), Rémi Bezançon signe une agréable comédie qui joue une double carte, celle, principale, de l’enquête dans laquelle va se lancer Rouche mais aussi celle, certes pas très originale mais néanmoins amusante, du petit monde de l’édition en pointant la chasse à la perle rare mais aussi l’importance de la promotion et du nécessaire (?) storytelling -ah, l’indispensable roman du roman- pour faire vendre…
Sur le plateau d’Infinitif, Rouche semble avoir dépassé les bornes en agressant verbalement la veuve d’Henri Pick. Pour les producteurs, c’en est trop. Rouche est viré ! Et on savoure évidemment l’échange entre Rouche qui lance : « Je fais mon métier de critique littéraire » et un type surgi de la régie qui assène : « Tu es un présentateur ! » Pour faire bonne mesure, la femme de Rouche le largue, le soir même, pointant un grand cynique, autrefois passionné, devenu tout petit en servant la soupe à la télé.
Pour Rouche, mener à terme son enquête devient donc une affaire essentielle. Persuadé que les impostures littéraires finissent toujours par être dévoilées, le limier amateur fait de sa quête de vérité une sorte de croisade… pour prouver qu’il a raison. Croisant de plus en plus fréquemment la route de Joséphine, la fille d’Henri Pick, qui ne le laisse pas insensible, Rouche s’obstine dans des investigations qui font de lui un Sherlock Holmes sans cas criminel, ni suspense policier. Le mystère Henri Pick s’inscrit dès lors dans un divertissement élégant qui navigue entre les bureaux des maisons d’édition et les beaux paysages de cette Bretagne où Pick privilégiait les pizzas aux crêpes.
On suit agréablement cette aventure légère comme une bulle de savon. D’autant que les dialogues sont soignés, façon « On croit toujours qu’un bon bouquin a été écrit pour vous » ou « La France compte plus d’écrivains que de lecteurs » ou que Remi Bezançon s’offre aussi de petites séquences pas indispensables mais joliment tournées. A la pizzeria, Rouche visite la pièce où Pick écrivait. Il rencontre aussi les dames d’un cercle de lecture, amatrices de polars, qui s’interrogent sur la manière de découper un corps avec un couteau électrique de cuisine… Et puis il a ce bel aparté avec la merveilleuse Hanna Schygulla en Ludmilla, inspiratrice d ‘un écrivain amoureux…
Pour son sixième long-métrage depuis Ma vie en l’air (2005), le cinéaste mène à bien un récit sur l’inconstante frontière entre la fiction et la réalité parce que, dit-il, « on court tous après la vérité mais on survit grâce aux illusions que l’on crée… »
Pour servir son propos, Bezançon peut enfin compter sur un Fabrice Luchini qui, sans cabotiner, s’empare du personnage de Rouche, mix de Bernard Pivot et de Michel Polac, dont la possibilité de l’imposture fait galoper l’imagination. Mieux, ce Parisien qui pourrait être assez puant, se « provincialise » avec une certaine tendresse au contact de Joséphine. On a alors parfois l’impression d’être du côté de La discrète (1990) mais aussi d’Alceste à bicyclette (2013). Et comme le metteur en scène a laissé à Luchini le bonheur de l’improvisation, il nous régale d’un savoureux pastiche de Marguerite Duras : « Ecrire, c’est se taire. C’est hurler sans bruit. Il espérait dans la fille, le père… » Au côté de Luchini, Camille Cottin n’est jamais étouffée. En tentant de défendre son père (« On peut protéger son jardin secret tout en rêvant d’une postérité ») alors même que le doute la submerge lentement, Joséphine avoue qu’il faut parfois se bercer d’illusions pour parvenir à survivre…
Auteur d’Une étoile est née (1954), George Cukor disait : « Le cinéma, c’est comme l’amour quand c’est bien, c’est formidable ; quand c’est pas bien, c’est pas mal quand même ». Eh bien, dans le cas précis, c’est vrai.
LE MYSTERE HENRI PICK Comédie dramatique (France – 1h40) de Rémi Bezançon avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Alice Isaaz, Bastien Bouillon, Josiane Stoleru, Astrid Whettnall, Marc Fraize, Marie-Christine Orry, Florence Muller, Vincent Winterhalter, Annie Mercier. Dans les salles le 6 mars.