Séduction, mensonges et écrans
« Le meilleur moyen de faire tourner la tête à une femme, c’est de lui dire qu’elle a un joli profil ». Sacha Guitry ne connaissait pas internet mais il s’y entendait en matière de séduction… La séduction et le… profil sont au cœur de Celle que vous croyez, le nouveau film de Safy Nebbou dans lequel Juliette Binoche, une fois de plus, irradie de talent et de charme.
Le profil, c’est celui que Claire Millaud créé sur le net pour, dans un premier temps, savoir ce que fait vraiment Ludo, son jeune amant… Elle devient donc Clara Antunès, jeune femme de 24 ans, sur laquelle Alex, le meilleur ami de Ludo, flashe instantanément. Commence alors une aventure amoureuse fondée sur le mensonge et la manipulation…
Pour son sixième long-métrage, Safy Nebbou, auteur notamment de L’autre Dumas (2010), Comme un homme (2012) ou Dans les forêts de Sibérie (2016) adapte le roman éponyme de Camille Laurens (Gallimard, 2016) et imagine la course vertigineuse d’une femme de la cinquantaine, divorcée avec deux fils, dans l’univers contemporain des réseaux sociaux. Il y a d’abord un petit côté jeu dans la démarche de Claire lorsqu’elle devient Clara Antunès. Il suffit en effet de quelques clics pour inventer de toutes pièces une nouvelle identité mais surtout se créer une vie que l’on va pouvoir nourrir de ses fantasmes les plus extravagants pour répondre aux sollicitations d’un interlocuteur inconnu, à l’exception de quelques photos et d’une tête de trentenaire barbu… Mais peut-on faire confiance à ce qui se promène sur FaceBook ? Ainsi, lorsqu’Alex lui réclame de la voir, Claire va encore franchir une étape supplémentaire dans le mensonge en donnant de Clara l’image d’une jeune beauté resplendissante dans ses 24 ans… Et si l’art de plaire était aussi l’art de tromper ?
Pour cette histoire qui repose sur un trouble identitaire quelque peu hitchcockien (on songe à Vertigo et James Stewart amoureux de l’image d’un fantôme), le cinéaste a construit un beau personnage de femme qui, face à l’âge venant, va s’accrocher à son Iphone comme une adolescente alors même que, dans la vraie vie, elle est professeur d’université qui enseigne Choderlos de Laclos et les bien nommées, ici Liaisons dangereuses, Marguerite Duras (qu’elle cite : « Très vite dans ma vie, il a été trop tard »), Charles Baudelaire ou Henrik Ibsen. Mais, sous la poussée du désir d’être (encore) aimée, Claire entre dans une pratique addictive. Ah, la petite lumière verte qui dit que l’autre est en ligne ! Son portable devient un lien et un piège. Son avatar est son ennemi n°1 mais c’est également une force qui lui permet de manipuler, de jouir et d’être partie prenante d’une société de laquelle elle a été expulsée.
A l’autre bout, Alex joue pleinement sa carte. Il veut en savoir plus sur cette Clara à la voix « si jeune » qui l’intrigue. Jusqu’au moment où le jeune homme observe : « Ils nous arrivent quelque chose… » Claire pourrait encore couper les ponts, tuer purement et simplement cette identité virtuelle en effaçant son pseudo ou, bêtement, en coupant définitivement son téléphone. Au lieu de quoi, elle peut dire à son ex-mari (Charles Berling), croisé en ville, qu’elle connaît une aventure avec un homme beau, tendre, avec lequel tout est recréation…
Pour ce thriller où le réel se confond avec la fiction, le tout dans un effet-miroir avec le cinéma, Safy Nebbou a choisi une narration très visuelle, jouant sur les gros plans de Claire et la lumière de son écran de portable ou d’ordinateur sur lesquels elle poursuit ses dials, souvent nocturnes, avec Alex. Si le personnage de Claire/Clara est au cœur de Celle que vous croyez, le réalisateur a aussi développé les parcours d’Alex et surtout de Catherine Bormans (Nicole Garcia), la psychiatre à laquelle Claire confie sa douloureuse aventure…
Si, hélas, le récit commence à perdre de son intensité dans la seconde partie du film (celle, notamment, où Claire décide de rencontrer vraiment Alex), il reste la remarquable composition de Juliette Binoche. Avec cette Claire qui entend se servir d’une jeunesse virtuelle pour, dans une spirale excitante, lutter contre le temps qui passe, inexorable, et reconquérir une dignité de femme, Juliette Binoche ajoute une nouvelle belle page à une filmographie partagée avec Godard, Doillon, Téchiné, Carax, Kieslowski, Haneke, Klapisch, Kiarostami, Cronenberg ou Assayas qui l’a dirigé très récemment dans Doubles vies. Rare comédienne à avoir été sacrée meilleure actrice dans les trois plus grands festivals internationaux (Bleu en 1993 à Venise, Le patient anglais en 1996 à Berlin et Copie conforme en 2010 à Cannes) sans oublier un Oscar pour le même Patient anglais, la lumineuse Juliette Binoche, 54 ans, s’est appropriée cette Claire aux paupières un peu lourdes, assumant ses cheveux gris et son teint qui se fane pour finir par l’arracher au vain tumulte et la libérer de vieilles peurs.
On peut même voir, dans Celle que vous croyez, un jubilatoire clin d’œil à un certain écrivain français qui affirmait récemment que la femme de 50 ans ne vaut plus un clou sur le marché de la séduction !
CELLE QUE VOUS CROYEZ Comédie dramatique (France – 1h41) de Safy Nebbou avec Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia, Guillaume Gouix, Marie-Ange Casta, Charles Berling, Claude Perron, Jules Houplain, Jules Gauzelin. Dans les salles le 27 février.