Trois hommes en quête de réconciliation
Joseph Zucarelli ne tient pas la grande forme ! C’est le moins qu’on puisse dire en le voyant avancer, accompagné de ses deux fils, dans un sous-sol sinistre… Peu à peu, on devine que les caisses qui encombrent les lieux sont des cercueils… Joseph a perdu son frère aîné. L’entrepreneur des pompes funèbres a pris les mesures du corps pour l’inhumation. Mais Joseph constate : « Il y a un problème… Il est trop petit. » Et pour bien le prouver, il se glisse dans la boîte : « Vous voyez, c’est trop petit… » Joachim, le fils aîné et Ivan, le cadet, désolés, l’entraînent ailleurs : « Viens, papa ».
Joseph et ses deux fils formaient une famille très soudée. Mais Isabelle, la femme de Joseph et la mère des garçons, est partie, il y a longtemps déjà, avec un bellâtre vaguement diplomate. Depuis Joseph rumine. Lorsque son frère aîné est tombé gravement malade, Joseph a décidé de quitter son cabinet de médecin. Pour se lancer dans l’écriture. Il est vrai qu’une amie chère lui a dit que son style ressemblait à celui de Tolstoï. Et Joseph, évidemment, a aimé la croire. Pour se maintenir debout dans la tempête de son existence, Joseph voulait compter sur ses fils. Las, Ivan, 13 ans, collégien en pleine crise mystique, est en colère contre ses deux modèles qu’il voit s’effondrer. Car son grand frère Joachim ressasse inlassablement sa dernière rupture amoureuse, au prix de mettre en péril ses études de psychiatrie et d’achever une thèse qui tarde..
Avec Deux fils, Félix Moati se penche, avec tendresse, sur trois hommes qui ne cessent de se donner du fil à retordre alors même qu’ils ont, tous, la secrète volonté de veiller les uns sur les autres. Mais c’est sans doute parce qu’ils sont habités par une telle soif d’absolu, parce qu’ils en demandent trop à la vie, qu’ils ont un mal de chien à trouver leurs repères dans la « vraie » réalité et à se réconcilier avec le monde. Quittant son job de médecin, Joseph se voit bien écrivain. Joachim répète comme un mantra qu’il sera « le plus grand psychanalyste du monde » et Ivan se présente comme « le plus grand amoureux du monde ». Car, même si c’est avec une maladresse certaine, ces trois-là croient à l’amour. Et l’amour paternel/filial n’est pas le moins fort.
Des films sur des fils (et des filles aussi), le cinéma en a beaucoup produit. On pense évidemment au dramatique Incompris (1966) de Comencini, à Mommy (2014) de Xavier Dolan, à Trois souvenirs de ma jeunesse (2015) de Desplechin ou encore à Call me by your Name (2018) de Luca Guadagnino… Optant pour un ton à la fois vif et langoureux, Deux fils fait parfois songer au cinéma de Woody Allen, dans le sens où les personnages se racontent des mensonges parce qu’ils ont du mal à se dire que rien ne compte plus, pour eux, que d’être bien ensemble. Félix Moati souligne : « Mes personnages finissent par se rendre compte qu’ils ne peuvent rien faire sans les autres. On ne peut célébrer ses noces avec la vie que grâce aux autres. On cherche tous quelqu’un pour se consoler. »
Si Deux fils perd parfois de son intensité au fil des séquences, le film vaut cependant et curieusement par la part que les femmes y occupent. Dans une première approche, les femmes sont les grandes absentes de cette histoire. Mais Ivan comme Joachim sont tiraillés par les femmes. Le premier ne cesse de courtiser (harceler ?) sa copine de classe Mélissa tandis que le second vit dans le souvenir d’une certaine Suzanne alors même qu’il a trouvé en Esther, la prof de latin d’Ivan, une jeune femme mutine et sensuelle (Anaïs Demoustier, une nouvelle fois, remarquable) qui incarne une forte dée d’un désir féminin libre…
Porté par une bande son agréablement jazzy, Deux fils vaut aussi par des dialogues ciselés sans être pour autant des mots d’auteur, ainsi quand Joachim lâche : « J’ai développé un sentiment ambivalent à l’endroit de la vie, entre la détresse et le calme indifférent » ou qu’Ivan lance à un prêtre : « Je fais le deuil de Dieu, parce que, quand on a le désir, on n’a plus besoin de Dieu ».
Lancé en 2009 par LOL de Lisa Azuelos, vu dans Hippocrate (2014) et Valentin Valentin (2015), Félix Moati devient une tête d’affiche, cette même année, avec A trois, on y va, comédie sur la bisexualité signée Jérôme Bonnell. Depuis, on l’a vu dans le loufoque Gaspard va au mariage (2018) et il fait aussi partie du casting cinq étoiles du Grand bain de Gilles Lellouche. Pour sa première mise en scène, Moati s’est entouré de comédiens amis dont il obtient le meilleur, donnant ainsi à son histoire une belle densité d’interprétation. Silhouette épaissie, Benoît Poelvoorde est un père déboussolé très crédible. Mathieu Capella (Ivan) a un naturel étonnant et l’incontournable Vincent Lacoste, vu récemment dans Première année, apporte au film une nonchalance et une mélancolie joyeuses.
DEUX FILS Comédie dramatique (France – 1h30) de Félix Moati avec Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Mathieu Capella, Anaïs Demoustier, Noémie Lvovsky, India Hair, Patrick D’Assumçao. Dans les salles le 13 février.