Le ténor du barreau, la « femme de », la drag-queen et les gendres
JUSTICE.- Professeur de droit à l’université de Toulouse, Jacques Viguier signale à la police, le 1ermars 2000, la disparition de son épouse Suzanne. A la suite des déclarations d’Olivier Durandet qui s’est présenté comme l’amant de Suzanne, des soupçons ont mené à la mise en cause de Jacques Viguier. En avril 2009, un premier procès aboutit à l’acquittement de Jacques Viguier. Sur appel du procureur général de la cour d’appel de Toulouse, un second procès s’ouvre le 2 mars 2010 devant les assises du Tarn à Albi. Grâce à l’intervention d’une femme convaincue de l’innocence de Viguier, Me Eric Dupond-Moretti accepte de se charger de la défense de l’accusé. L’avocat va confier à cette Nora, chef de cuisine dans une brasserie de Toulouse, le soin de reprendre et de décortiquer les centaines d’heures d’écoutes téléphoniques… Nora va trouver des éléments qui pourraient disculper Jacques Viguier…
L’affaire Jacques Viguier a largement défrayé la chronique judiciaire française. Le cinéaste Antoine Rambault, fasciné par le mystère, a suivi le procès à Toulouse : « Là, je découvre à la fois la justice de mon pays et le calvaire d’une famille… » Il rencontre la famille, installe un rapport de confiance, recueille leurs propos et fait aussi la rencontre déterminante d’Emilie, une jeune femme qui a été la compagne de Jacques Viguier après la disparition de son épouse, qui a élevé les enfants pendant 9 ans et a fait de ce combat contre l’injustice un véritable sacerdoce. Cette Emilie a largement nourri le personnage de Nora (Marina Foïs, très habitée), seule rôle fictionnel de ce film de procès. Electron libre dans les coulisses de la machine judiciaire, Nora devient à la fois un fantasme de figure justicière et une réflexion introspective sur le danger de nos certitudes… A côté de Nora, c’est bien sûr le plus médiatique des ténors du barreau français qui occupe la place centrale de Une intime conviction (France – 1h40. Dans les salles le 6 février).
Tout récemment encore flamboyant Cyrano de Bergerac dans Edmond, Olivier Gourmet se glisse, dans une brillante aisance, dans la robe et surtout dans les mots de Dupond-Moretti. « Comment vous le dire… Je n’aime pas ce procès. D’abord parce que je suis sans doute la dernière voix d’un homme qui a perdu la sienne. Ensuite et surtout parce que je dois me battre contre l’imagination. Ce dossier, à raison des aveuglements et des carences de l’enquête, est devenu le concours Lépine de l’hypothèse… » La plaidoirie du défenseur est un grand moment de la vie des prétoires ! Film palpitant et enlevé, Une intime conviction n’a rien à envier aux meilleurs films de procès dont Hollywood s’est fait une spécialité. Autour de l’insondable question de la culpabilité de Viguier (incarné par un Laurent Lucas mutique), suivre ce tandem pugnace composé de l’avocat et l’enquêtrice est un plaisir de cinéma !
ECRITURE.- En 1992, dans sa belle demeure du Connecticut, l’écrivain Jo Castleman attend, avec fébrilité, un coup de fil… Lorsque le téléphone sonne, la bonne nouvelle tombe depuis Stockholm: Castleman vient de décrocher le prestigieux prix Nobel de littérature. Avec son épouse Joan, Jo danse de joie sur leur lit… Bientôt, le couple, accompagné de leur fils David, prend la direction de la Suède. A bord de l’avion, se trouve aussi Nathaniel Bone, un écrivain américain qui souhaite consacrer une biographie à Castleman, ce que ce dernier a toujours refusé avec énergie. Arrivés dans la capitale suédoise, tandis que s’organisent les préparatifs de la soirée de remise des prix, Bone revient à la charge auprès de Joan… Bone (Christian Slater) sous-entend que c’est, en réalité, Joan qui est la plume de son mari…
Dire que Glenn Close est une immense actrice est évidemment un truisme. Révélée en 1982 dans Le monde selon Garp, la comédienne va rencontrer le grand public avec le personnage d’Alex Forrest, le maîtresse déséquilibrée de Michael Douglas dans Liaison fatale (1987). Viendront encore la Merteuil des Liaisons dangereuses (1988), la Cruella des 101 Dalmatiens ou encore Albert Nobbs (2012) dans lequel elle joue une femme contrainte de se travestir en homme… Autant de rôles qui lui vaudront d’être nommée sept fois aux Oscars sans cependant jamais remporter la statuette. Une « injustice » qui pourrait bien être réparée le 24 février prochain à l’occasion de la cérémonie des 91eAwards. Même si Glenn Close aura quand même fort à faire face, notamment à Olivia Colman (La favorite) ou Yaliitza Aparicio dans le Roma d’Alfonso Cuaron…
Dans The Wife, tiré d’un roman de Meg Wolitzer et mis en scène par le Suédois Bjorn Runge, l’actrice (déjà couronnée aux Golden Globes en janvier dernier) incarne, tout en demi-teintes, une femme qui a toujours vécu dans l’ombre d’un mari célèbre alors même que toute la gloire littéraire de celui-ci devrait lui revenir… Celle qui se présente au roi de Suède comme une « faiseuse de roi », va alors sortir d’un anonymat qui lui pèse de plus en plus… Si la réalisation de Runge est plutôt fonctionnelle et s’apparente à celle d’une fiction télé d’autrefois, Glenn Close, 71 ans, cheveux blancs coupés courts, tire finement son épingle du jeu face à un Jonathan Pryce (Jo Castleman) qui a tendance à en faire trop. Sa Joan Castleman, longtemps satisfaite, par amour conjugal, d’être « la femme de », va tomber le masque. Alors que Castleman, devant les Nobel, rend hommage à « ma muse, l’amour de ma vie, mon âme », Joan craque… The Wife (USA – 1h36. En e-cinéma) est une œuvre fortement féministe sur une femme-artiste qui aspire enfin à n’exister que par elle-même…
UNDERGROUND.- Dans le Tokyo de la fin des années soixante, Eddie, jeune drag-queen, est la favorite de Gonda, le propriétaire du bar gay Genet où elle travaille tous les soirs et reçoit des hommes d’affaires en quête d’aventures. Maîtresse de Gonda et matrone du bar, Leda, drag-queen plus âgée, découvre cette liaison et en conçoit une profonde et douloureuse jalousie. De leur côté, Gonda et Eddie se demandent comment se débarrasser de Leda…
Moins connu que ses contemporains Nagisa Oshima ou Shûji Terayama, le Japonais Toshio Matsumoto (1932-2017) fut cependant l’un des pionniers du cinéma expérimental nippon dans les années soixante. Il consacra aussi une large partie de sa carrière au film documentaire, rejetant cependant la nature objective traditionnellement accordée au genre pour une approche qui révélerait les états intérieurs de ses sujets et leur subjectivité. Cette part documentaire est d’ailleurs largement présente dans Les funérailles des roses (Japon – 1h48. Dans les salles le 20 février), son premier long-métrage réalisé en 1969. Grâce à Carlotta Films, on peut découvrir cette œuvre étrange et intrigante totalement inédite en France et restaurée en 4K. Les funérailles… mêle en effet un portrait sans fard de la communauté des drag-queens tokyottes de la fin des sixties avec une réflexion militante sur les les luttes et les avant-gardes culturelles, sexuelles, politiques et cinématographiques. On croise, ici, sous le signe de Jean Genet et d’Andy Warhol, outre les drag-queens, des cinéastes expérimentaux de la scène underground ou des manifestants situationnistes.
Si Bara no soretsu (en v.o.), sous l’angle de la tragédie, est une interprétation baroque et queer du mythe d’Œdipe, on s’attache volontiers à une forme frénétique et bouillonnante dans un noir et blanc, parfois surexposé ou solarisé, qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres de Godard. Matsumoto mélange, avec une énergie rageuse, un tournage dans le tournage (avec même une chute liée à une erreur de dialogue), des extraits de ses courts-métrages, des interviews des protagonistes, des photographies façon Helmut Newton, des sons qui semblent sortir de films de Fassbinder… Enfin, ce fleuron de la Nouvelle vague japonaise est porté par l’acteur travesti Peter (de son vrai nom Shinnosuke Ikehata) qui incarne Eddie. A la recherche de figurants dans un bar gay de Tokyo, le cinéaste a remarqué ce travesti de 18 ans, objet de tous les regards. Filmé souvent en très gros plan, Peter est, en effet, le cœur hypnotique de cette plongée dans le milieu homosexuel de Tokyo.
FRANCE.- Chez les Verneuil, les choses se sont doucement apaisées. Claude et Marie s’entendent désormais plutôt bien avec leurs quatre gendres. Et, bonne nouvelle, Charles et Laure attendent un bébé. Pourtant, une nouvelle crise se profile. Rachid, David, Chao et Charles sont décidés à quitter la France avec femmes et enfants pour tenter leur chance à l’étranger. Incapables d’imaginer leur famille loin d’eux, Claude et Marie sont prêts à tout mettre en œuvre pour les retenir, y compris à organiser un week-end « Spécial France ». Quitte à devoir tricher un peu sur les beautés de la Touraine. De leur côté, les Koffi débarquent en France pour le mariage de leur fille Viviane. Eux non plus ne sont pas au bout de leurs surprises car Viviane est follement amoureuse de Nicole…
Quand un film, comme ce fut le cas, en 2014, pour Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, réalise 12,3 millions d’entrées, il paraît impensable, dans l’économie du cinéma, de ne pas lui donner de suite. C’est donc chose faite avec ce Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon dieu ? (France – 1h38. Dans les salles le 30 janvier) qui permet de retrouver l’ensemble des protagonistes du premier opus. Philippe de Chauveron s’est donc remis à la tâche, imaginant que les gendres Verneuil ne se sentent plus à l’aise en France. David trouve qu’il est bien difficile de faire des affaires en France. Rachid en a marre de n’avoir à traiter que des dossiers de femmes en burqa. Chao a constamment peur d’être agressé dans la rue parce que, dit-il, « les Chinois ont toujours beaucoup d’argent sur eux ». Quant à Charles, il va de casting en casting et se désespère de n’avoir à jouer que des agents de sécurité qui meurent au bout de trois minutes de film… Désormais, leur avenir, pensent-ils, est à l’étranger, précisément en Israël, en Algérie, en Chine et en… Inde, spécialement sur les plateaux de Bollywood. S’amusant une nouvelle fois à tordre le cou à quelques solides clichés, le cinéaste peaufine des dialogues enlevés et offre à ses comédiens le loisir de donner quelques variations autour du propos de Sylvain Tesson : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ». Et si le bonheur était tout simplement de vivre en province ? Que les Parisiens se le disent. Sympathique et inoffensif.