Trajectoires de femmes brillantes ou invisibles
BATTANTE.- Dans la campagne française, sous prétexte d’aller cueillir des fruits rouges, Gabrielle Sidonie Colette file vers une grange où l’attend son amant auquel elle se donne avec délices. Nous sommes en 1893 et la jeune fille à l’esprit rebelle et aux cheveux longs décide d’épouser Henry Gauthier-Villars, plus connu sous son nom de plume : Willy. Malgré leurs quatorze ans d’écart, Gabrielle est sous la charme de l’écrivain aussi égocentrique que séducteur. Grâce aux relations de Willy, Colette découvre le milieu artistique parisien qui stimule sa propre créativité. Sachant repérer les talents mieux que quiconque, Willy autorise Colette à écrire… à condition qu’il signe ses romans à sa place. Bientôt Claudine à l’école suivi de Claudine à Paris et de Claudine en ménage seront des triomphes littéraires. Willy va devenir riche et célèbre. Alors que les infidélités de Willy pèsent sur le couple, Colette souffre de plus en plus de ne pas être reconnue pour son œuvre…
Cocorico sans doute mal placé, on a un peu de mal à se dire que ce biopic de Colette, grande dame française de la littérature, soit signé par un Américain (Wash Westmoreland) et qu’il parle anglais. Mais le cinéaste a cependant la bonne idée de nous montrer la plume de Colette, trempée dans l’encre noire, écrire en français sur des cahiers d’écolier. Et le petit nez mutin de Keira Knightley achève de nous faire basculer avec plaisir dans ces jeunes années du 20è siècle où la romancière rédige les premières lignes de Claudine à l’école : « Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny; j’y suis née en 1884; probablement je n’y mourrai pas. » Plus que les insondables mystères de la création littéraire, Colette (Grande-Bretagne – 1h51. Dans les salles le 16 janvier) s’intéresse, sur la dizaine d’années entre la rédaction de Claudine à l’école et la sortie de La vagabonde, à deux axes. D’une part, la relation de plus en plus conflictuelle entre Willy et Colette, d’autre part la découverte du plaisir dans les bras des femmes par une écrivaine qui cultive sa singularité pour faire bouger les lignes. Car, même s’il affirme aimer son épouse, Willy la maintient dans un état de parfaite dépendance… Westmoreland (co-scénariste du film avec son époux Richard Glatzer, disparu en 2015) voit même dans la trajectoire de Colette des échos exemplaires du mouvement #meetoo… Des salons parisiens où elle entreprend de se faire une place aux scènes où elle danse et joue la comédie dans la troupe du mime Georges Wague en passant par ses amours avec l’Américaine Georgie Raoul-Duval (dont Willy sera aussi l’amant) et Missy, marquise de Belbeuf, Colette se révèle une belle amoureuse et perpétuelle battante… Entourée de Dominic West (Willy), Eleanor Tomlinson (Georgie) et Denise Gough (Missy), la Britannique Keira Knightley est une Colette gracieuse au canotier en biais dans un film agréable et joliment brossé.
EXCLUSION.- Pour pseudos, elles ont pris Lady Di, Brigitte Macron, Edith Piaf, Marie-José Nat, Simone Veil, La Cicciolina, Dalida, Brigitte Fontaine, Vanessa Paradis , Salma Hayek ou Mimi Mathy… Elles fréquentent L’Envol, un centre d’accueil pour femmes SDF, et y trouvent un peu de réconfort dans leurs galères. Mais L’Envol est un centre de jour et celles qui le fréquentent ne peuvent y passer la nuit. Alors que le centre est menacé de fermeture sur décision municipale, la poignée de travailleuses sociales, sous la direction de Manu, choisissent de ne pas rester les bras ballants. Cette fois, pour Manu mais surtout pour Audrey, Hélène et Angélique, tous les coups sont permis pour tenter de réinsérer les femmes dont elles s’occupent, quitte à passer par les falsifications, les pistons, les mensonges…
Réalisateur des Invisibles (France – 1h42. Dans les salles le 9 janvier), Louis-Julien Petit se souvient : « En août 2014, Claire Lajeunie, qui a réalisé pour France 5 un documentaire sur les femmes SDF intitulé ‘’Femmes invisibles, survivre dans la rue’’, m’a offert le livre (Sur la route des Invisibles) qu’elle avait écrit pour compléter son film, retraçant ses rencontres, ses étonnements, ses questionnements, et ses relations avec ces femmes. Ce livre a été un choc: il était à mille lieues du ton très factuel, sociologique, et grave auquel je m’attendais avec un tel sujet. Bien au contraire, j’ai plongé dans une histoire humaine, ayant toutes les composantes de la tragi-comédie, avec des femmes incroyablement complexes, touchantes et souvent drôles malgré des parcours de vie dramatiques. J’ai dévoré le livre en deux heures, sortant de sa lecture à la fois bouleversé et euphorisé, à tel point que j’en ai parlé à ma productrice Liza Benguigui, qui a pris les droits du livre sur-le-champ… »
Remarqué en 2015 pour Discount, une comédie dramatique sur des employés de supermarché menacés de licenciement et qui décident de monter un magasin parallèle avec les produits (récemment) périmés du supermarché puis pour Carole Matthieu (2018), un drame (d’abord vu sur Arte puis en salle) interprété par Isabelle Adjani sur un médecin généraliste qui choisit d’être médecin du travail pour donner un sens à sa vie et à son travail, Louis-Julien Petit donne, ici, d’épatants portraits de femmes, à la fois fragiles et combatives. Même si’il s’agit bien d’une fiction, on s’attache d’emblée à ces personnages pleins de contradictions et de failles, tour à tour exaspérants et pathétiques. Il y a ainsi Chantal qui réfrigère ceux qui seraient sur le point de lui donner un petit job en expliquant qu’elle sort de prison parce qu’elle a tué son mari, Catherine, la cinquantaine qui s’endort partout ou encore Julie, 25 ans, qui traîne dans les rues avec son sac à dos et dans le complet déni de sa situation… Par le biais d’un récit enlevé, parfois humoristique dans l’autodérision que ces femmes ont sur elles-mêmes, toujours chaleureux alors même que l’action se déroule dans un monde d’exclusion et de grande précarité, Les invisibles tourne le projecteur sur, comme le dit une pub actuelle, celles dont on fuit le regard. Si les comédiennes qui incarnent ces autres invisibles que sont les travailleuses sociales (Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvovsky, Déborah Lukumuena, Sarah Suco) sont parfaitement dans le jus du film, ce sont les non-professionnelles qui sont bluffantes de vérité. Avec sa vibrante humanité, voilà un film français qui se hisse au niveau du meilleur cinéma social anglo-saxon. Ces invisibles méritent d’êtes vues !