Le flic esthète et l’homme déboussolé
ART.- Dans un grand ensemble, un jeune type se hisse avec peine sur le rebord d‘une fenêtre ouverte… Rapidement, il se met à fouiller les tiroirs, les boîtes à bijoux… Pas de bol ! L’occupant des lieux débarque et on découvre rapidement qu’il est policier. Doublement, pas de chance ? Que non ! Car Marc Beffrois fait s’asseoir le voleur, lui propose un jus (« Orange ou pamplemousse ? ») et les deux se mettent à deviser sur la valeur du tourne-disques, l’actualité toute relative de NTM et aussi d’un petit tableau (signé Philippe Derôme) composé de pastilles, accroché au mur et acquis 3000 francs par Beffrois du temps de son mariage… Avant de virer son cambrioleur, Beffrois ajoute : « Il a peut-être pris de la valeur… » Pour le commissaire, les tableaux vont vite devenir l’affaire principale de sa fin de carrière. Car il va se retrouver sur la trace d’un efficace monte-en-l’air qui se spécialise dans le vol de tableaux de valeur intermédiaire, ceux qui ne défraye pas la chronique et, selon l’enquêteur, n’intéresse même pas les assurances…
Premier long-métrage de Lucas Bernard, Un beau voyou (France – 1h44. Dans les salles le 2 janvier) est un film curieux tant dans sa forme que dans son contenu. Côté forme, le récit s’en va d’abord sur les pas du commissaire dans son enquête avant de l’oublier pour s’intéresser à l’énigmatique Bertrand (à moins qu’il se nomme réellement François) dont on devine rapidement qu’il est bien notre voleur et que le cinéaste montre dans une série d’arnaques immobilières assez antipathiques avant de revenir à Beffrois qui a décidé que la traque de Bertrand serait son dernier coup d’éclat dans une carrière qu’on imagine plutôt terne. Le cinéaste s’offre en passant quelques apartés comme ce dîner chez un peintre connu (Jean-Quentin Châtelain dans un savoureux numéro de baratineur) où Beffrois est invité par erreur ou les frasques amoureuses d’une pétillante restauratrice de tableaux. On suit tout cela d’un œil amusé mais sans trop se prendre non plus au jeu.
Comme si la dimension « polar » d’Un beau voyou était simplement anecdotique. Comme si le cinéaste préférait filmer Paris, sa nuit, ses toits, ses rues avec un petit côté old school, façon Musidora quand Bertrand part dans ses escalades nocturnes. Mais surtout, on sent bien que Lucas Bernard porte une vraie attention au milieu de l’art : « Avec l’art, dit-il, surgit la question connexe du goût. Au début, Beffrois n’a pas de goût. Le goût, c’est la possibilité de dire j’aime ou j’aime pas. Suis-je légitime ou non à juger un tableau ? Sa femme se sentait suffisamment légitime, lui va apprendre à le devenir. Beffrois est seul : il n’est plus question d’aménager son appartement pour faire plaisir à sa femme décédée ou à ses fils, il doit choisir par rapport à lui… Arrivé à la retraite, il doit s’accommoder de lui-même. Au début, il vit à côté d’une œuvre d’art sans savoir quoi en penser, à la fin il est capable de dire ce qu’il aime. » Pour porter son histoire, Lucas Bernard peut enfin compter sur Charles Berling (Beffrois), Swann Arlaud (Bertrand) et Jennifer Decker, de la Comédie française, qui incarne Justine, la restauratrice de tableaux…
AMOUR.- Un jour, en rentrant chez lui, Abel entend Marianne lui dire : « Je suis enceinte ». Abasourdi mais heureux, Abel reste sans voix. Il finit par dire : « C’est génial » et son sourire en dit long. La suite lui coupe complètement la parole. « Mais pas de toi… » ajoute Marianne. Le père du bébé à venir est Paul, un ami d’Abel… Marianne quitte donc Abel et ira vivre chez Paul. La mort de Paul va rapprocher à nouveau Abel et Marianne dont Joseph, le fils, glisse à Abel : « C’est maman qui l’a tué… » Du coup, Abel ne sait plus sur quel pied danser. Mais c’est Eve qui va venir troubler son existence. Depuis son plus jeune âge, Eve est follement amoureuse d’Abel. Qui n’a jamais prêté attention à elle. Maintenant qu’Eve est une belle jeune femme, elle décide de s’ouvrir à l’homme de ses rêves. Alors Eve dit à Marianne : « Laisse-le moi ! » « Si je dis non ? » rétorque Marianne. « Alors, c’est la guerre » conclut Eve…
Avec L’homme fidèle (France – 1h14. Dans les salles le 26 décembre), Louis Garrel signe sa seconde réalisation après Les deux amis (2015) dans lequel son personnage se nommait déjà Abel. Ecrit avec le vétéran Jean-Claude Carrière, ce court récit fait parfois songer, notamment avec l’emploi de la voix off, au cinéma d’Eric Rohmer ou encore de François Truffaut. De fait, voici une variante de Jules et Jim à l’envers puisqu’Abel balance entre deux femmes. Et ce sont d’ailleurs les femmes qui dictent, ici, l’action. Car Marianne et Eve sont bien les ordonnatrices de cette comédie, sinon de l’amour et du hasard, du moins des pulsions et du plaisir. En même temps, Carrière et Garrel ont donné au film un petit ton de thriller hitchcockien avec une Marianne qui a, peut-être commis un meurtre. Mais L’homme fidèle demeure surtout une comédie gagesque où le personnage, presque clownesque tant il semble lunaire, d’Abel semble se prendre des portes tout au long de l’histoire. « On peut aussi coucher sans se mettre ensemble » s’interrogent les personnages. « On en parle ou pas ? » ajoute l’autre. Ici, le sentiment s’invente quand les protagonistes en parlent. Lorsque Marianne pousse celui-ci à rejoindre Eve, on se demande bien si l’on est dans un pur marivaudage ou plutôt dans un jeu « maléfique » qui, in fine, lui ramènera Abel… Louis Garrel, Lily-Rose Depp et Laetitia Casta composent le trio amoureux Abel-Eve-Marianne. Epouse de Louis Garrel à la ville, Laetitia Casta est le grand plaisir de cette chronique de l’intime. Garrel filme avec grâce la lumière de sa quarantaine rayonnante !