Les veuves, la fillette, l’homme blessé et les frères
FEMMES.- A Chicago, l’affaire tourne mal pour une bande de criminels… Au sortir d’un coup raté, ils tombent, dans un déluge de feu, sous les balles de la police… Alors même qu’elles pleurent leurs compagnons, les veuves doivent affronter une réalité violente et surtout leur ruine. Ainsi, Veronica Rawlins, dont le mari Harry était la tête pensante du gang, est rapidement sous la menace d’une dangereuse équipe de gros bras afro-américains qui lui donnent quinze jours pour récupérer les cinq millions de dollars que leur devait, disent-ils, Harry… Veronica, qui détient le cahier dans lequel Harry notait avec précision tous les scénarios des cambriolages qu’il préparait, décide alors de retrouver les compagnes des autres truands et leur propose de monter, elles-mêmes, le gros coup qui leur permettra de se tirer d’affaire…
C’est un souvenir de jeunesse qui a amené Steve McQueen à mettre en scène Les veuves (USA – 2h09. Dans les salles le 27 novembre). Gamin, il regardait, dans le salon de ses parents, la télévision qui passait Widows, une série policière de Lynda La Plante. Le jeune Steve était fasciné par l’univers du crime où les gens les plus vulnérables et les plus sous-estimés étaient des femmes. Cependant, dans le Londres des années 80, elles étaient si déterminées à prendre leur destin en main qu’elles parvenaient à trouver en elles des forces insoupçonnées. Transposant son action dans le Chicago contemporain, le cinéaste a mis en scène une aventure qui ne s’en tient pas seulement au coup préparé et monté par les veuves. Si l’action est bien menée, McQueen prend surtout soin de brosser de bons portraits de femmes et tout spécialement celui de Veronica Rawlins à laquelle Viola Davis (Oscar de la meilleure actrice en 2017 pour Fences) apporte une présence impressionnante. Autour d’elle, Michelle Rodriguez (Linda) et les nouvelles venues sur le devant de la scène, Elizabeth Debicki (Alice) et Cynthia Erivo (Belle) complètent le quatuor.
Et puis le metteur en scène traite également des thèmes comme le deuil, les questions sociales et raciales et politiques à travers l’histoire de Jack Mulligan, un candidat (Colin Farrell) en campagne au comportement rapidement douteux. Réalisateur de cinéma et artiste contemporain de renommée internationale (on a vu naguère une vaste exposition de ses œuvres au Schaulager de Bâle), Steve McQueen a jusque là, réalisé trois films de cinéma au propos ambitieux avec Hunger (2008), Shame (2011) et Twelve Years a Slave qui lui ramena l’Oscar du meilleur film en 2014. Avec Les veuves, McQueen donne une œuvre plus « commerciale » mais qui a la particularité, en ces temps de #MeToo qui continuent à rythmer la vie hollywoodienne, de mettre en vedette des personnages féminins dans un registre quand même très généralement masculin. Comme le dit Veronica : « Notre meilleur atout, c’est d’être qui nous sommes… »
VIOLENCES.- Avec ses jolis yeux clairs dans une petite frimousse blonde, Odette est une fillette douce et timide que sa prof de danse voit bien faire une belle carrière de ballerine… même si Mado, sa mère, n’envisage pas la chose d’un œil spécialement favorable. Ce que Mado, par contre, ne voit pas du tout, c’est qu’Odette est la victime de Gilbert, un proche ami de ses parents. Un adulte qui lui propose de « jouer aux chatouilles » et qui la viole régulièrement. Devenue adulte, Odette, éternellement blessée, danse frénétiquement sa colère et va, avec bien des difficultés, libérer sa parole…
C’est une histoire vraie – la sienne- qu’Andréa Bescond raconte dans Les chatouilles (France – 1h43. Dans les salles le 14 novembre), un premier film réalisé avec Eric Métayer qui s’appuie sur la pièce de théâtre Les chatouilles ou la danse de la colère écrite en 2014 par le duo Bescond/ Métayer, présenté à Avignon et donné plus de 400 fois depuis. Un spectacle qui, affirme la cinéaste, a comblé une immense solitude : « Je pensais tellement être une fille à problèmes que j’étais convaincue que ce qui m’était arrivé était de ma faute. Entre les addictions, la drogue, l’alcool, le manque d’amour et d’estime de soi, les relations sexuelles toxiques et sans lendemain, je me suis peu à peu déshumanisée. Car on est tellement anesthésié par ce traumatisme qu’on a constamment besoin d’adrénaline. »
Construit comme « un hommage au puzzle de la mémoire traumatique », Les chatouilles est également une œuvre chorale qui joue sur les temporalités et met largement en lumière l’univers qui gravite autour d’Odette, notamment une mère (Karin Viard, remarquable) dans le déni qui lance à sa fille : « Tu ne sais pas ce que je j’ai vécu ». Pour dire le vrai, c’est un peu à reculons que je suis allé voir cette aventure intime, craignant sans doute de devoir en partager le malaise. Mais force est de constater d’une part, la parfaite pudeur avec laquelle les cinéastes traitent leur récit, et d’autre part, l’extraordinaire énergie qu’Andréa Bescond y insuffle pour en faire un cri certes rageur mais, on ose le dire, vivifiant. Parce qu’il est question de survie d’abord et de renaissance ensuite dans cette histoire qui s’achève sur Le bonheur, la chanson de Berry qui dit « N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas. Ni ici, ni ailleurs… » Avec Les chatouilles, Andréa Bescond et Eric Métayer n’ont pas l’ambition de faire changer les choses. Mais assurément, leur film a tout pour toucher le public. Et c’est évidemment important.
RECONSTRUCTION.- Franck Pasquier est membre de la prestigieuse Brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Chef d’agrès, il vit à la caserne avec sa femme Cécile qui attend des jumelles. La vie du sergent Pasquier est rythmée par le lever des couleurs, l’appel quotidien des morts au feu et la Marseillaise entonnée a capella et évidemment par les sorties sur le terrain. Ce bel athlète de la trentaine bien dans sa peau est heureux, notamment de venir au secours des autres, intervenant ici pour une femme âgée victime d’une attaque cardiaque, là pour une SDF en détresse sur la chaussée, là encore pour un suicide dans le métro ou une désincarcération fatale. En même temps, Pasquier travaille d’arrache-pied pour obtenir son habilitation de chef de garde incendie. Bientôt nommé, cet homme qui se construit pleinement à travers son métier, va pouvoir aller au feu. Lors d’une intervention dans un entrepôt en flammes, Pasquier se sacrifie pour sauver ses hommes. A son réveil, après des semaines de coma, dans un hôpital pour grands brûlés, le sapeur-pompier comprend que son visage a fondu dans les flammes…
« Depuis très longtemps, dit le réalisateur Frédéric Tellier, j’avais envie de parler de la quête d’identité, du sens de la souffrance et de la permanente (re)construction des rêves… » En s’inspirant de faits réels, Tellier, en compagnie de David Oelhoffen, a écrit un scénario qu’il voit comme une histoire d’amour à travers une figure héroïque qui est celle d’un soldat du feu. Si les films de fiction sur les sapeurs-pompiers ne sont pas toujours emballants, Sauver ou périr (France – 1h56. Dans les salles le 28 novembre) se démarque clairement dans la mesure où cette aventure intime est essentiellement constituée par le long et douloureux voyage d’un homme blessé vers sa reconstruction et, peut-être, la reconquête de ses rêves. En s’appuyant sur un Pierre Niney sensible et attachant, omniprésent à l’écran, le réalisateur de L’affaire SK1 (2015) a conçu un récit qui détaille les multiples et éprouvantes étapes que va franchir Franck Pasquier dans son parcours à l’hôpital et plus encore lorsqu’il en sortira pour affronter, derrière le masque transparent qui protège ses cicatrices, le regard des autres, y compris celui de sa femme incarnée par une Anaïs Demoustier, parfaite dans la simplicité mais aussi le doute sur sa force à supporter les épreuves quand son mari lui lance : « Tu as déjà eu envie d’un monstre ? ».
C’est un long combat fait de petits hauts et de grands bas que raconte le parcours tragique et émouvant de Franck Pasquier, un homme qui a le sentiment de ne pas être allé au bout de ses rêves : « Je voulais commander une caserne. Je ne le ferai jamais. » Mais le médecin qui accompagne Franck, peut lui dire : « La vie, c’est du sable. Tout est emporté, sauf peut-être les choix de vie que l’on fait, les sentiments… » Alors, on regarde avec émotion un homme blessé retourner lentement vers la lumière…
FRATRIE.- Pierre Esnart est chef de chantier dans une grande entreprise spécialisée dans la destruction de tours et de barres d’immeubles. Malheureusement, des fissures apparues sur des maisons voisines vont provoquer son licenciement… Benoît, le frère aîné de Pierre, est opticien et il va se marier pour la troisième fois. Sarah, sa jeune épouse, est plutôt nunuche et Pierre, arrivé en retard à la noce, se trompe en plus sur le prénom de la mariée lors du traditionnel discours. Quant à Lola, la charmante sœur de ces deux-là, elle est avocate spécialisée dans les dossiers de divorces. Lors d’une affaire, elle fait la rencontre de Zoher et tombe amoureuse… Enfin Lola, Benoît et Pierre ont l’habitude de se réunir, tous les premiers jeudis du mois, au cimetière sur la tombe de leurs parents…
Avec Lola et ses frères (France – 1h45. Dans les salles le 28 novembre), Jean-Paul Rouve signe sa quatrième réalisation après Sans arme, ni haine, ni violence (2008), Quand je serai petit (2012) et Les souvenirs (2014). Il retrouve, pour l’écriture d’un scénario cette fois original, David Foenkinos dont il avait adapté le roman dans Les souvenirs… Autant le dire d’emblée, cette comédie dramatique n’est pas vraiment surprenante. D’entrée de jeu, on sait qu’il y aura des hauts et des bas, aussi professionnels que sentimentaux mais cette fratrie – qui a souvent du mal à se parler- finira par se serrer, comme il se doit, les coudes pour prendre le dessus sur les choses de la vie. Alors, tandis que les tours d’immeubles qui s’effondrent prennent une dimension évidemment symbolique, on suit les tribulations de Pierre qui cache qu’il est désormais à Pôle Emploi et tente de donner le change auprès des siens. Benoît, qui semble toujours un peu à côté de ses pompes, fait une grosse bourde lorsque Sarah lui annonce qu’elle est enceinte. Quant à Lola qui file le parfait amour avec un Zoher qui lui prépare de délicieux petits plats, elle s’effondre lorsque son gynécologue lui apprend une bien mauvaise nouvelle… Pour que cette histoire de famille et de transmission, avec ses petites lâchetés, ses petits mensonges, ses petits égoïsmes tienne la route, il fallait que les comédiens fassent le boulot à fond. Jean-Paul Rouve (Benoît) s’offre un personnage de type lunaire et déconnecté comme il en incarne souvent au cinéma. José Garcia avance plutôt en roue libre avec son Pierre dépressif (« Rien de tel que le bonheur des autres, dit-il, pour vous déprimer davantage »). Quant à Ludivine Sagnier, elle est une Lola rayonnante qui saura trouver les ressources à sa détresse… Autour d’eux, Ramzy Bedia (Zoher) campe un personnage sympathique et touchant… Ensuite, on ajoute des chansons (Un homme heureux de William Sheller ou On ira de Jean-Jacques Goldman), un running-gag (la machine de l’opticien capable de déterminer la couleur des lunettes selon chaque client) et quelques dialogues qui sonnent joliment (le fils de Pierre lui lance : « Arrête de me prendre pour le catalyseur de tes angoisses ») et le tour est joué. Ou presque.