L’icône gay et l’assassin méthodique
ROCK.- Dans l’Angleterre des années soixante, Farrokh Bulsara, né à Zanzibar en 1946, vit dans sa famille dans la banlieue de Londres. En marge de ses études d’art, il occupe de petits boulots mais à qui veut l’entendre, il explique que sa vraie passion est la musique… Au grand dam de son père, il sort tous les soirs et fréquente des clubs où il va croiser différents groupes de rock dont Smile dans lequel jouent Roger Taylor et Brian May et avec lesquels il s’essaye au chant. En 1970, Smile signe avec le label américain Mercury Records. Freddy Bulsara devient le chanteur du groupe et décide, sans laisser le choix aux autres membres du groupe, de changer Smile en Queen… Freddie devenu Mercury s’installe avec la charmante Mary, hôtesse d’accueil à la boutique Biba de Londres et « amour de sa vie », mais leur relation est troublée par la plus grande attirance de Freddie pour les garçons. Pendant ce temps, Queen gravit les échelons de la notoriété, multiplie les tournées à succès et les tubes pour devenir l’un des plus grands groupes de rock au monde…
Dans la salle obscure, les fans de Queen ne peuvent s’empêcher de battre la mesure en tapant du pied… Dame, le groupe britannique a toujours su transcender les foules et faire vibrer son (très vaste) public. De là à imaginer le biopic de Freddie Mercury, emblématique chanteur-leader de Queen, il n’y avait qu’un pas. Et d’ailleurs, on se demande bien pourquoi la chose n’avait pas été mise en chantier bien plus tôt tant Freddie Mercury, mort en 1991 du sida, s’était imposé comme une véritable légende du rock. Avec Bohemian Rhapsody (USA – 2h14. Dans les salles le 31 octobre), c’est donc Bryan Singer qui s’est attelé à la tâche pour raconter par le menu la formidable trajectoire d’un groupe qui a signé des titres aussi fameux que We Are the Champions, Don’t stop Me Now, The Show Must Go On, We Will Rock You et évidemment l’hypnotique Bohemian Rhapsody, extrait de leur troisième album (1975), dont le film raconte la difficile genèse. Car ce tube phare de Queen où Freddie Mercury entendait notamment mettre en oeuvre sa passion de l’opéra, avait été massacré par la critique musicale, refusé par les radios à cause de son format (6 minutes) avant d’être adoubé par des foules charmées par ses variations tantôt a capella, tantôt hard rock, voire par ses mots mystérieux…
Révélé par l’excellent Usual Suspects (1995), Singer dresse donc le portrait d’un artiste de génie qui affirmait n’avoir peur de rien et se présentait volontiers comme une hysterical queen : « Je ne vois pas plus scandaleux que moi ! » Ode à la musique de Queen, le film voulu « tous publics » (les membres de Queen sont coproducteurs) reste dans les limites classiques du biopic en montrant tour à tour la fragilité de Freddie Mercury, son sens inné du spectacle, ses capacités de chanteur (« Je suis né avec quatre incisives de plus. Ca me donne une plus grande amplitude vocale ») mais sans appuyer le trait sur les frasques décadentes (la débauche de ses fêtes poudrées est survolée) de l’icône gay… Enfin, alors que l’on connaît bien le visage de Freddie Mercury (Queen a aussi été un groupe pionnier du clip vidéo), il faut accepter Rami Malek, (connu pour ses succès dans des séries télé comme Mr. Robot) se glissant dans le marcel de Mercury. Mais le comédien américain d’origine égyptienne se tire plutôt à son avantage de cette performance haute en couleurs, notamment en reproduisant parfaitement la gestuelle de la star… Il ne reste plus alors qu’à se laisser emporter par la musique de Queen, le film s’achevant sur la fameuse prestation du groupe au concert Live Aid de 1985. Dans un stade de Wembley comble et totalement conquis, Queen volait, sans l’ombre d’un doute, la vedette à tous ses talentueux petits camarades. Le show était parfait et Freddie Mercury, entouré par Brian, Deacky et Roger, au sommet de son art. En rentrant, je n’ai pas résisté : je me suis passé les vingt minutes de Queen à Wembley sur youtube… Freddie for ever !
MEURTRES.- Dans l’Amérique des années 70, Jack, homme discret et solitaire de la quarantaine, commet des meurtres qu’il considère comme autant d’œuvres d’art. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher (ce qui exaspère Jack et lui met la pression) il décide – contrairement à toute logique – de prendre de plus en plus de risques…
On avait laissé Lars von Trier à Cannes en 2011 où il présentait le superbe Melancholia qui valut à Kirsten Dunst un beau prix d’interprétation. Mais la Croisette avait surtout retenu la polémique générée par les propos du cinéaste danois affirmant qu’il avait « un peu d’empathie » pour Adolf Hitler. Ce qui lui valut de devenir le premier artiste persona non grata au Festival. Cette année, la sanction a donc été levée puisque Lars von Trier revenait, hors compétition, présenter The House that Jack Built, évocation du parcours, en cinq incidents (sic), d’un tueur en série incarné par un Matt Dillon qu’on n’avait pas vu aussi inspiré depuis longtemps.
The House that Jack Built (Danemark – 2h35. Interdit aux moins de 16 ans. Dans les salles le 17 octobre) n’a pas fait de carrière sur les grands écrans français mais il mérite néanmoins qu’on s’y arrête quelques instant dans la mesure où le cinéaste de 62 ans a manifestement voulu mettre dans cet étrange exercice de style une réflexion sur le Mal mais aussi sur l’art contemporain. A partir de la figure récurrente (et passablement usée par le cinéma) du serial killer, le toujours très controversé Lars von Trier distille, dans la bouche de Jack, un mélange, volontiers grotesque, de sophismes, d’apitoiement presque enfantin sur soi et d’explications détaillées sur ses pratiques… artistiques. On découvre aussi les problèmes et les pensées de Jack à travers sa conversation avec un inconnu nommé Verge (Bruno Ganz), clone contemporain du Virgile qui guida Dante à travers les cercles de l’enfer. Où Jack ira, lui aussi, faire escale. On constate aussi que les victimes du placide tueur sont essentiellement des femmes décrites comme des bécasses insupportables (le personnage d’Uma Thurman est spécialement agaçant), intéressées ou larmoyantes. Tout en jouant sur des références à ses œuvres, le cinéaste (que Le Monde du 17 octobre a qualifié d’« alchimiste médiéval ») revient aussi à son goût pour l’esthétique nazie… Le problème, c’est que le propos est quand même largement fumeux et qu’on se lasse assez rapidement des élucubrations de ce pauvre Jack…