VOYAGES A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS – LA SERIE
On se souvient encore, avec une belle émotion de cinéphile, du Voyage à travers le cinéma français dans lequel Bertrand Tavernier, dans le cocon de la salle obscure (puis en dvd), nous entraînait, en octobre 2016, ouvrant une foule de pistes mémorielles, des années trente à l’orée des années 70… Plus qu’un documentaire, ce Voyage était plutôt une approche autobiographique du cinéma français observé par un œil de cinéaste.
Tavernier menait un « travail de citoyen et d’espion, d’explorateur et de peintre, de chroniqueur et d’aventurier », puisant dans ses coups de coeur, ses enthousiasmes et ses souvenirs agrémentés d’anecdotes, la matière d’une promenade gourmande dans un demi-siècle de cinéma national. Le cinéaste lyonnais voyait d’ailleurs son Voyage comme un acte de gratitude envers tous les artistes du 7e art qui ont surgi dans sa vie pour lui insuffler la passion du cinéma…
Mais, à l’évidence, Voyage s’est avéré trop court pour permettre au réalisateur de L’horloger de Saint Paul, d’emmener l’amateur à la rencontre de tous les cinéastes, de tous les films qu’il voulait encore partager… Plutôt que de réaliser un nouveau film pour le cinéma, Tavernier a opté par une série documentaire composée de huit chapitres (de 52 minutes chacun) qui étend évidemment plus largement le champ des (re)découvertes et des coups de cœur du cinéaste.
Le cinéphile plongera, avec délices, dans le travail de ce vrai conteur qu’est Tavernier qui commence par faire la part belle à ces cinéastes de chevet que l’on adopte, dit-il, « dès la vision de leur film et qui font immédiatement partie de votre vie. » Voici donc Jean Grémillon, Max Ophuls ou Henri Decoin suivis de Sacha Guitry avec ses dialogues rapides et éblouissants, Marcel Pagnol qui saura utiliser la musique d’un symphoniste suisse (Arthur Honegger) pour évoquer des paysages provençaux, Robert Bresson en équilibre entre le cinéma expérimental et traditionnel ou encore Jacques Tati dont Tavernier nous apprend qu’il employa un certain Patrick Balkany pour incarner un jeune danseur dans PlayTime…
Et puis Tavernier raconte son amour pour la chanson dans les films né avec la vision de La grande illusion où, entre la bouffonnerie d’un spectacle et la vie quotidienne de prisonniers de guerre, surgit une Marseillaise qui démontre, si besoin était, l’importance dramaturgique d’un chant… Et il évoque encore Suzy Delair chantant Avec son tralala dans Quai des orfèvres ou Trois petites notes de musique dans Une aussi longue absence d’Henri Colpi…
Pour Julien Duvivier, homme froid, distant, souvent décourageant, parfois agressif, Tavernier livre la magnifique défense d’un cinéaste qui souffrait d’un excès de timidité, qui n’aimait pas se vendre et se désolait de ne pas arriver à rendre ses films aussi bien bons qu’il le voulait… Un réalisateur exigeant qui maîtrisait totalement sa technique, professait un véritable amour pour le cinéma dans lequel il expérimentait tout le temps, proposant d’épatantes trouvailles formelles ou étant le premier à faire de l’élaboration d’un film, le sujet de La fête à Henriette… Alors, on s’empresse de noter les titres sur un bout de papier… Dans l’entretien avec l’historien du cinéma Jean Ollé-Laprune qui introduit cette série, Tavernier observe, avec malice, que nombre de spectateurs de Voyage ont ensuite acquis des films en dvd. On peut le faire avec Panique, David Golder, La Bandera, Sous le ciel de Paris ou La belle équipe…
Ces voyages se poursuivent avec Le cinéma sous l’Occupation, l’avant-guerre qui vit des artistes de talent comme Victor Tourjanski ou Robert Siodmak venir travailler en France… Quand à La nouvelle Vague de l’Occupation, elle permit à des débutants d’émerger et Tavernier salue largement Henri-Georges Clouzot, Claude Autant-Lara (malgré ses déclarations polémiques tardives) ou René Clément. Et quoi de mieux que l’enthousiasme de Tavernier pour remettre dans la lumière les oubliés (Raymond Bernard, Maurice Tourneur, Anatole Litvak, René Clair, Jean Boyer, Georges van Parys) et les méconnus (Louis Valray, Pierre Chenal, Henri Calef, Gilles Grangier, Jacqueline Aubry, Agnès Varda, Nelly Kaplan).
Enfin, avec Mes années 60, on voit Tavernier entrer dans la fabrique cinéma par la porte « attaché de presse ». En compagnie de Pierre Rissient, ces attachés atypiques se chargèrent de défendre des auteurs aussi différents, pour ne citer que les Français, que Jacques Deray, Michel Deville, José Giovanni, Yves Boisset ou l’élégant Alain Resnais et l’admirable mouvement intérieur qui anime ses œuvres ou encore des réalisateurs engagés comme Bernard Paul, Philippe Fourastié, Jean-Louis Bertucelli ou célébrant le délicieux L’amour c’est gai, l’amour c’est triste de Jean-Daniel Pollet dans lequel Claude Melki est un touchant petit couturier auquel un Jean-Pierre Marielle, somptueusement odieux, lance cette phrase, signée Remo Forlani : « Si t’étais un peu moins con, je t’expliquerai pourquoi t’es trop con ! »
En parcourant, avec une totale subjectivité, son panthéon du grand écran français et en réveillant une belle et vive mémoire du cœur, Tavernier distille du bonheur ! « Imaginez que vous êtes au cinéma ! » dit une voix en amorce de chaque épisode…
(Gaumont)