Contre Trump, Moore retourne au charbon
Avec le sourire gourmand d’un amateur de Nespresso, George Clooney l’affirme : « Ca n’arrivera pas ! » Il n’est évidemment pas le seul à croire que l’élection de Donald Trump comme 45eprésident des Etas-Unis d’Amérique n’est pas pensable… D’ailleurs, ni les amateurs, ni les experts n’y croient. Hillary Clinton, elle, semble déjà promise au bureau ovale de la Maison blanche et ses supportrices démocrates ont les larmes aux yeux en pensant que bientôt une femme sera présidente de l’Amérique… Même, du côté de Fox News (qui aujourd’hui est quasiment devenu le média « officiel » de Trump), on semble soulagé de ne pas avoir à soutenir ce candidat républicain pendant quatre ans.
Et puis, patatras ! Quelque chose d’étrange sembla se produire… Fox News cite carrément Michael Moore qui avait prévenu que, dans son Michigan natal, les gens allaient se déterminer pour Trump. Un président élu à propos duquel Moore observe : « On aurait dit l’arrivée d’un coupable ». Alors que l’image de Trump s’étire sur l’Empire State Building et que les supporters démocrates pleurent désormais comme des madeleines, Moore pose la question et donne le ton: « Putain, comment a-t-on pu en arriver là ? »
Quatorze ans après avoir remporté, avec Farenheit 9/11, rude charge anti-Bush (2004), une Palme d’or cannoise qui ne fit pas l’unanimité, Michael Moore retourne à la baston. Son générique procède du glissement. On passe ainsi de Farenheit 9/11 à Farenheit 11/9 comme si la même urgence était de mise. Pour Moore, évidemment, elle l’est. Pour son douzième long-métrage, l’histrion demeure fidèle à son style. Il balance dans tous les sens mais parvient à donner à son brûlot un rythme qui fait que l’on s’accroche volontiers à cette diatribe qui cible principalement Donald Trump mais qui n’épargne pas, loin s’en faut, le camp démocrate, son establishment nourri lui aussi par la grande finance et encore moins un Barack Obama accusé de bien des maux (« La pire chose qu’Obama ait faite, note le cinéaste, c’est d’ouvrir la voie à Trump ! »). Bonnet blanc et blanc bonnet : tous les hommes politiques américains sont à mettre dans le même panier… Moore martèle : « On ne peut pas prétendre à la démocratie si celui qui obtient le plus de voix ne gagne pas ». Les chiffres sont là : 63 millions de votants pour Donald Trump, 66 millions de votants pour Hillary Clinton et 100 millions d’abstentionnistes…
Son éternelle casquette de baseball vissée sur la tête, se mettant volontiers en scène, Michael Moore, en s’appuyant largement sur des images de la campagne du milliardaire, s’en prend donc à un Trump qu’on voit imposer son rythme à des médias qui en redemandent alors même qu’il les a très vite pris en grippe et à propos desquels il lâche : « Je les haï. Mais je ne les tuerai pas. Quoique… » Un Trump spécialement détestable autant dans ses propos sur les femmes, y compris pour sa fille Ivanka que lorsqu’il clame, devant des supporters aux anges, « Rendons sa blancheur à l’Amérique »…
Mais Michael Moore, 64 ans, ne se contente pas de vouer Trump aux gémonies. Il se fait lanceur d’alerte en évoquant la situation complètement sinistrée de sa ville natale de Flint (Michigan) et en pointant le comportement du gouverneur républicain Snyder accusé d’avoir provoqué l’empoisonnement de 10.000 enfants ayant bu de l’eau contaminée par du plomb. Ce qui donne l’occasion au cinéaste d’une de ces mises en scène qu’il affectionne. Il s’en va ainsi procéder à « l’arrestation citoyenne » de Snyder avant d’amener un camion-citerne devant la résidence du gouverneur et de déverser, à la lance d’arrosage, de l’eau de Flint dans son jardin…
Quant à la tuerie du lycée Stoneman Douglas de Parkland (Floride) qui fit 17 morts et 15 blessés, elle fournit à Moore l’occasion de revenir à l’un de ses sujets favoris : la prolifération et le contrôle des armes en Amérique. Le cinéaste montre ainsi les immenses manifestations de la jeunesse américaine qui ont fait suite, à travers le pays, au drame de Parkland et il s’attache notamment à quelques jeunes gens révoltés qui pourraient incarner une nouvelle Amérique. D’ailleurs, le film s’achève sur la tragique litanie de la jeune Emma Gonzalez (qu’un candidat républicain du Maine traita de « skinhead lesbienne »), passionaria des survivants de Parkland, énumérant l’identité de ses camarades assassinés.
Alors qu’en 2015, avec Where to Invade Next (la critique sur ce site), le réalisateur avait trouvé un ton enjoué pour évoquer toutes les bonnes idées que les USA pourraient « voler » à l’Europe, il se fait, ici, apocalyptique. Sur des images des grandes messes noires d’Hitler, Moore évoque une Allemagne des années 30 cultivée, intelligente, produisant de grands films et portant pourtant au pouvoir un petit caporal autrichien. Un type sans expérience politique, « rafraîchissant » (sic), adorant les animaux, créateur d’emplois pour tous, à l’aise avec les nouveaux médias et sachant même utiliser les… fake news. Dans un premier temps, on disait d’Hitler qu’il « était fou à lier » avant que l’incendie du Reichstag etc.
Moore ose clairement une thèse et il y associe un Trump soulevant l’idée d’un mandat de 8 ans, le cinéaste analysant : « On lance une idée jusque là inconcevable. On la fait connaître et la presse fait le reste. Elle reprend l’idée, la relaie et ça devient une réalité… » Farenheit 11/9 clame que la démocratie américaine, « aspiration à concrétiser », est en danger et qu’il est temps de se mobiliser pour la liberté et surtout d’agir… « On a passé trop de temps, dit Moore, à penser que la Constitution nous sauverait, que les élections nous sauveraient, que l’impeachment nous sauverait (sur un montage montrant Trump arrêté par le FBI !)… L’espoir était idéaliste, passif et réconfortant. Nous n’avons pas besoin de réconfort mais d’action ».
Avec Farenheit 11/9, Michael Moore remet le couvert dans un style bien à lui. Et regrette de n’avoir pas été bien plus agressif avec Donald Trump ce jour déjà lointain de 1998 où il l’avait croisé dans un show télé de Roseanne Barr. Moore se contenta d’une blagounette et Trump inventa qu’ils avaient déjeuné ensemble… Une fake news, une. Alors que les élections américaines de mi-mandat sont très proches, le nouveau Michael Moore s’en vient poser son lot d’interrogations. Le film ne changera rien à l’affaire mais il est bon cependant d’entendre la voix rageuse d’un inextinguible champion du poil à gratter.
FARENHEIT 11/9 Documentaire (USA – 2h08) de et avec Michael Moore. En e-cinéma à partir du 31 octobre.