Quand le peuple se soulève contre son roi
Comme il l’avait fait avec les premiers plans de L’exercice de l’Etat (2011) où un énorme crocodile avalait une femme nue, Pierre Schoeller a le don pour bien démarrer ses films. C’est encore le cas, ici, avec cette séquence pré-générique où, le Jeudi saint 1789, Louis XVI lave les pieds d’enfants du peuple… Une séquence qui s’ouvre sur quelques courtisans pouffant derrière les lourdes portes du palais et qui s’achève avec le monarque penché sur des enfants vêtus de rouge écarlate, leur humectant les pieds, les embrassant en priant à voix basse… Une attitude d’humilité à laquelle un gamin maigrichon répond par un prémonitoire « Bientôt j’aurai des sabots »…
Nous sommes maintenant le 14 juillet 1789 et le peuple gronde. La Révolution est en marche. La Bastille est tombée et, pour la première fois, alors que les hauts murs de la forteresse sont abattus, le soleil entre dans la petite rue où vit un artisan souffleur de verre, sa femme Solange ou encore ses voisines Françoise et Margot, illuminant des visages quasiment extatiques… Plus tard, le 5 octobre 1789, sous une pluie battante, un cortège de femmes armées, dans les rangs desquels on reconnaît Françoise et Margot, marche sur le château, réclamant du pain alors que Paris subit une disette terrible. « Nous voulons que le roi quitte Versailles et sa cour infâme ! » crient ces va-nu-pieds. En compagnie du président de l’Assemblée nationale, une poignée d’entre elles arriveront jusqu’au souverain et lui feront valider la déclaration des Droits de l’Homme… Désormais, sur le papier, les hommes naissent libres et égaux en droit…
Alors que la question politique et le débat social étaient déjà au cœur des deux premiers long-métrages de Schoeller (Versailles en 2008 et L’Exercice de l’Etat), le cinéaste plonge, cette fois, dans le passé avec Un peuple et son roi en s’immergeant dans les trois premières années de la Révolution française. « Après « L’Exercice de l’Etat », dit le réalisateur, j’avais le désir de creuser le sillon du politique, et de m’en échapper. La continuité a pris la forme d’un retour aux sources. Un récit des origines. D’où vient ce gène français de liberté ? D’égalité ? De République… Quelle est cette révolution de 1789 qui n’en finit pas de nous hanter ? Cette histoire peut-elle se résumer à une dizaine de dates emblématiques ?… Tout me semblait m’amener à 1789. Par ailleurs, ce désir du film historique m’a entraîné en terrain inconnu. Costumes, décors, lumière, effets spéciaux, dramatisation des foules… Autant de questions nouvelles pour moi de mise en scène. Au final, ce périple dans le passé s’est révélé une vraie cure de jouvence… »
Questions nouvelles sans doute pour Pierre Schoeller mais pas vraiment pour le 7e art qui, depuis que les frères Lumière ont inventé le Cinématographe, s’est quand même largement penché sur le thème révolutionnaire. Certes, il y a probablement moins de films sur 1789 que sur l’histoire de l’Ouest américain ou de l’Empire romain. Mais quand même Gance, Renoir, Yanne (eh oui !), Guitry, Scola, Bondartchouk, Rappeneau, Mann ou Wajda sont passés par là…
Un peuple et son roi a choisi de travailler les trois premières années de la Révolution en privilégiant une série de temps forts (d’ailleurs chapitrés comme, par exemple « 1791, le temps des trahisons » ou « Eté 1792, cette insurrection qui vient ») dont certains, évidemment, sont connus de tous et d’autres qui auraient, tout aussi évidemment, besoin d’être explicités. Mais gageons que les nombreux potaches qui iront voir le film, obtiendront leur lot de précisions…
Entre le Jeudi saint de 1789 et le 23 janvier 1793, on assiste donc à des scènes comme la plantation du premier arbre de la liberté par le curé Norbert Pressac, la création du club des Cordeliers ou encore une série de discours comme ceux de Robespierre, Saint Just, Danton ou Marat. Ce qui, au passage, permet d’envoyer quelques solides phrases choc comme « Il faut faire justice au peuple pour qu’il ne la rende pas lui-même », « Tout pouvoir finit toujours par corrompre l’homme », « Il n’y a pas deux manières d’être libre. Entièrement ou redevenir esclave » ou « Les peuples ne condamnent pas les rois. Ils les replongent dans le néant ».
Au-delà des événements, Pierre Schoeller compose avec les grands héros historiques (le froid Robespierre, l’enflammé Marat) et des personnages fictifs avec principalement les deux couples « vedettes » du souffleur de verre et Solange et du plus jeune Basile, le voleur devenu révolutionnaire et sa Françoise, véritable passionaria au féminisme très contemporain. Autour d’eux, passent des silhouettes comme Reine Audu dite la « reine des Halles », authentique révolutionnaire qui participa notamment à la prise des Tuileries…
Etrangement, a-t-on envie d’écrire, c’est Louis XIV qui apparaît comme la figure la plus complexe du film. Servi par un excellent Laurent Lafitte, légèrement bedonnant et plutôt taiseux, le souverain déchu « récupère » les plus fortes scènes de Un peuple et son roi. Qu’il s’agisse du cauchemar où le monarque voit Louis XIV, Henri IV ou Louis XI lui faire la leçon : « L’Histoire ne nous fait pas. Nous faisons l’Histoire » ou, bien entendu, sa fin lorsque le citoyen Capet avance vers la guillotine. Le cinéaste ne nous épargne rien. Ni la lame qui tombe, ni la tête montrée au peuple, ni le corps qui bascule dans la panière, ni le sang du roi lancé sur la foule. Il est vrai que l’événement n’est pas mince. Pour la première fois de l’histoire, un peuple, par le vote de ses représentants (on les voit défiler à la tribune pour réclamer, majoritairement, la mort) exécute un roi et tourne le dos à des siècles de monarchie…
Pour le reste, le film de Schoeller subit (forcément ?) le syndrome Si Versailles m’était conté (1954) où le cher Sacha Guitry faisait défiler tout le gotha du cinéma français, y compris BB, Piaf et Tino Rossi… Il en va de même ici avec un sacré générique. Mais pouvait-il en aller autrement ?
Un peuple et son roi est une bonne surprise qui se regarde agréablement. Dire que le film est pédagogique n’est point une critique mais plutôt un compliment. La Révolution française demeure une période charnière de l’histoire de France. Et sa devise Liberté, Egalité, Fraternité ne doit cesser de résonner…
UN PEUPLE ET SON ROI Drame historique (France – 2h01) de Pierre Schoeller avec Gaspard Ulliel, Adèle Haenel, Olivier Gourmet, Laurent Lafitte, Louis Garrel, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky, Céline Sallette, Denis Lavant, Johan Libéreau, Andrzej Chyra, Stéphane de Groodt, Niels Schneider, Louis-Do de Lencquesaing, Patrick Préjean, Serge Merlin. Dans les salles le 26 septembre.