Le crétin a la tête pleine d’utopies
Jouez hautbois, résonnez musette… C’est un sacré concert de louanges qui a accueilli le nouveau film du tandem Delépine-Kervern. Ont-ils la « carte » ? Ou bien le double label Canal+/Groland a-t-il pesé (lourd) dans la balance de la critique ? D’où vient ce sentiment bizarre que je suis seul (merci, Michel Berger)… à ne pas bondir follement de joie et d’ivresse cinématographique devant I feel Good ?
Voilà un type en peignoir blanc qui marche, d’un pas décidé, sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute. Aux véhicules qui klaxonnent en passant à sa hauteur, il adresse des gestes qui se comprennent sans peine… Et voilà notre homme au portail d’une communauté Emmaüs. S’il vient là, c’est parce que Monique, sa sœur, en est la directrice. Bien qu’elle ne l’ait sans doute pas vu depuis un bon moment, elle l’accueille comme, sans doute, les membres des communautés Emmaüs reçoivent ceux qui viennent frapper à leur porte : « C’est mon frère ! C’est Jacques. Il s’appelle Jacques ! » On va vite comprendre que le Jacques est un sacré numéro. Aussi barré qu’incontrôlable.
Jacques Pora a le projet de rester quelques jours dans la communauté. « Faudra bosser », prévient Monique. Mais Jacques n’a qu’une chose en tête : travailler à sa nouvelle idée pour devenir riche. Immensément riche… « Commence déjà par débarrasser ton assiette », lui intime sa sœur…
Septième co-réalisation de Benoît Delépine et Gustave Kervern après Aaltra (2004), Avida (2006), Louise-Michel (2008), Mammuth (2010), Le grand soir (2012), Near Death Experience (2014) et Saint Amour (2016), Il feel Good est un long-métrage qui doit beaucoup à la découverte par les deux compères cinéastes de l’imposant village Emmaüs de Lescar-Pau. Benoït Delépine : « Nous y sommes allés une première fois il y a cinq ans environ. Germain le créateur du lieu qui le dirige aujourd’hui nous a tout de suite très bien reçus. C’était capital : nous ne voulions surtout pas arriver comme un cheveu sur la soupe. Nous voulions apprendre à connaître les compagnons, mais aussi leur faire connaître notre propre expérience, partager notre projet avec eux… » Gustave Kervern : « Le film est né du lieu. Et il est né de la manière dont le lieu nous a accueillis. Etre accepté par les compagnons n’est pas donné à tout le monde. Débarquer là-bas, c’est un peu comme franchir la porte d’un saloon dans un western… » Et Delépine d’ajouter : « Germain s’est comporté avec nous exactement comme il se comporte avec les compagnons. Quand on discute avec lui, il interrompt parfois la conversation parce qu’il reçoit l’appel de quelqu’un qui, par exemple, sort de prison… Sans lui poser aucune question, Germain lui dit de venir : « On t’attend ». Il a fait pareil avec nous. Il ne nous a jamais demandé de lire le scénario. Il nous a fait confiance. »
Cette confiance a permis au duo de cinéastes de développer un film qui s’inscrit dans un travail au long cours oscillant entre pure poésie burlesque et vraie réflexion politique puisqu’I feel Good pointe du doigt combien l’individualisme forcené, la volonté de devenir riche pour devenir riche, sans penser aux conséquences, est une maladie. Et Delépine de noter que c’est bien visible, aujourd’hui, un an après l’élection de Macron…
Dans le cadre d’abord du village Emmaüs (dont l’architecture très colorée est impressionnante) puis lors d’une ahurissante expédition vers la Bulgarie, I feel Good se concentre sur le personnage de Jacques Pora qui voudrait inventer un truc simple pour devenir richissime (comme, dit-il, la roulette à découper la pizza, le Rubik’s cube ou les séries télé américaines) et qui va opter pour la… chirurgie esthétique (très) low cost. Parce qu’il veut rendre les petites gens beaux !
Après avoir confié le rôle principal de Mammuth à un monstre sacré du cinéma comme Depardieu, le duo a choisi de faire entrer Jean Dujardin, acteur populaire par excellence, dans leur univers. La coupe de cheveux improbable, un peu ventru, habillé comme un beauf de chez beauf, son Jacques aligne, avec un aplomb qui confine à la crétinerie, des punchlines du genre : « Si tu n’as pas un peignoir et des mules à 50 ans, t’as pas réussi ta vie », « Le but du jeu, c’est de faire bosser les autres. Pas de bosser soi-même », « Je ne veux pas être dans l’annuaire. Je veux être dans le Who’s Who », « C’est fini le temps des cerises. C’est le temps des noyaux », « Pourquoi les Russes boivent de l’alcool à 90° ? Parce qu’ils ne savent pas que le champagne existe » ou encore « L’apparence a plus d’importance que la performance. BHL, on se souviendra de ses œuvres ou de ses chemises ? » Autant de phrases qui n’auraient pas déparé dans les sketches de Groland.
Et d’ailleurs, I feel Good fonctionne comme une succession de sketches qui font que, selon l’impact des uns et des autres, l’attention du spectateur se relâche. Mais Dujardin, secondé par une Yolande Moreau toujours à l’aise dans le style déjanté, permet à la construction de tenir globalement ensemble. Surtout que Delépine/Kervern ont la bonne idée de les entourer d’une équipe de parfaits branquignols. S’ils ont songé, un temps, à employer de vrais compagnons d’Emmaüs, ils ont décidé de faire appel à des personnages étonnants qui sont autant d’amis. On y trouve Jo Dahan, chanteur de rock, ancien de la Mano Negra; Jana Bittnerova, épatante actrice de Bratislava découverte dans un sketch de Groland ; Elsa, une artiste de rue ; Jean-Benoît, acteur belge ; Jean-François, copain d’enfance de Benoît Delépine, boucher-traiteur, qui tient la cuisine sur la plupart des films du duo et qui parle comme André Pousse ; Marius, le Chinois qui vit de rien, du RSA, à Marseille ou encore l’immense Lou Castel, 75 ans, qui joua chez Visconti, Bellochio, Fassbinder ou Wenders… Le délirant périple bulgare de cette troupe est aussi l’occasion d’en découdre avec les utopies communistes avant un ultime rebondissement dont on ne dira rien ici…
S’il est soigneusement extravagant, I feel Good est aussi un film généreux parce qu’il célèbre l’esprit de l’abbé Pierre et le travail accompli par les compagnons d’Emmaüs. C’est pour cela qu’on ne saurait donc s’en gausser totalement. Même si le film ne nous a pas enthousiasmé non plus dans tous ses aspects. « L’important, ce n’est pas de réussir, c’est de ne pas louper l’apéro ». Une citation, paraît-il de l’abbé Pierre…
I FEEL GOOD Comédie (France – 1h43) de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Jean Dujardin, Yolande Moreau, Jo Dahan, Lou Castel, Jean-Benoît Ugeux, Jean-François Landon, Jana Bittnerova, Elsa Foucaud, Marius Bertram. Dans les salles le 26 septembre.