L’amour, un honnête mensonge?
Pour dire le vrai, on aurait rêvé, en des temps passés, de rencontrer des instituteurs lunaires, gaffeurs, gentils comme tout… L’éloignement,lui, nous fait surtout souvenir de blouses grises, façon Les 400 coups, là où Clément l’instituteur de Caprice, se retrouve, sous le regard hilare des potaches, les mains pleines de couleur bleu et jaune…
Caprice, le nouveau film d’Emmanuel Mouret, s’ouvre dans un square parisien sur le dialogue entre un père -le Clément susnommé- et son jeune fils. Le gamin lit un livre… Le père: « Arrête un peu de lire. Tu ne veux pas jouer? » Et le géniteur de proposer son téléphone portable, une sortie au cinéma. Rien n’y fait. L’enfant ne veut pas lever le nez de son bouquin. Une jolie manière de nous faire comprendre que l’histoire inventée par Mouret n’a rien, mais rien de réaliste.
Ceux qui fréquentent régulièrement les films d’Emmanuel Mouret, le savent, il est à son affaire dans la rêverie éveillée. On peut le vérifier de Laissons Lucie faire (2000) à Une autre vie (2013) en passant par Vénus et Fleur (2003), Changement d’adresse (2006), Un baiser s’il vous plaît (2007), Fais-moi plaisir (2009) et L’art d’aimer (2011)…
Caprice ne fait pas exception à la règle. Venu aux 19e Rencontres du cinéma de Gérardmer, le cinéaste/comédien racontait qu’il était un garçon réservé qui n’osait pas aborder les filles. Et que le cinéma a été plus tard un beau moyen de s’offrir ce plaisir. D’ailleurs cette idée de plaisir est au coeur de l’art de Mouret qui conçoit ses histoires comme des occasions de philosopher en se divertissant…
Clément est un homme comblé jusqu’à l’étourdissement. La belle Alicia, qu’il admire sur la scène du théâtre depuis l’obscurité de la salle, va devenir sa compagne. Pour une histoire de neveu auquel donner des cours particuliers, la blonde et sublime Alicia déboule dans l’existence de Clément. Qui, pétrifié, n’en croit pas ses yeux. Bientôt, elle lui dira: « Prenez-moi dans vos bras ». Et alors que Clément est tout à son intense bonheur, voilà que tout se complique. Dans la salle du théâtre, la rousse Caprice est venue s’installer à côté de lui. Clément n’a d’yeux que pour Alicia mais Caprice est une jeune femme débordante, excessive, entreprenante et décidée à séduire Clément. Et Clément, malgré lui, va être troublé. « Sois infidèle, ne sois pas égoïste » lance Caprice à un Clément qui ne sait plus sur quel pied danser d’autant que Caprice est claire: « Mon corps est à toi. Tu peux en disposer à ta guise! » Et les choses se compliquent encore lorsque Thomas (Laurent Stocker), l’ami de Clément, se rapproche d’une Alicia qui ne semble pas insensible à son charme modeste…
On sait que le cinéphile Mouret est fan de Lubitsch comme de Guitry (Caprice fait parfois songer à Quadrille) et ses comédies reposent sur des mécaniques précises où l’on admire le brio de dialogues et où l’on s’amuse de personnages, ma foi bien humains, qui ont la fâcheuse propension de prendre des coïncidences pour des signes divins…
Pourtant, au-delà de la comédie huilée (même si elle connaît un coup de moins bien dans sa seconde partie), Emmanuel Mouret ne se prive jamais, l’air de rien, bien sûr, de se poser des questions fondamentales en s’interrogeant sur la vie en commun, sur le désir, sur le travail de négociation à mener avec soi et avec les autres dans les choses de l’amour. Faut-il profiter ou être convenable? Doit-on se fier à l’instinct ou au destin pour trouver son âme soeur? L’amour peut-il être un honnête mensonge? A la fois sacré et profane, l’amour nous amène à être quelqu’un de bien ou alors un jouisseur sans entraves…
Si Caprice contient d’amusantes scènes parfois burlesques (la soirée charcuterie, l’épisode de la jambe cassée, la soirée théâtre en province), le film repose aussi sur la fameuse assertion de François Truffaut qui disait que le cinéma consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes. Ici, ce sont Virginie Efira (Alicia) et Anaïs Demoustier (Caprice) qui se chargent de nous faire rêver. La première en sublime fantasme mais femme simple et posée, la seconde en tentatrice exubérante qui heurte le mode de vie bien balisé de Clément…
On imagine que c’est avec joie qu’Emmanuel Mouret s’est gardé ce grand maladroit de Clément. Histoire de dire qu’on peut se prendre les pieds dans le tapis et néanmoins arriver à séduire?
Film élégant, charmant et d’une agréable fantaisie, Caprice, où leurs multiples cas de conscience rendent les personnages forts et touchants, s’achève sur une ultime interrogation. Cette histoire était-elle une hallucination ou un souvenir? Un peu comme l’amour…
CAPRICE Comédie (France – 1h40) de et avec Emmanuel Mouret et Virginie Efira, Anaïs Demoustier, Laurent Stocker, Michaël Cohen, Thomas Blanchard, Mathilde Warnier. Dans les salles le 22 avril.