Le sabot et le piano
Il y a, dans En équilibre, des images qui peuvent prêter à sourire. Ainsi celle, façon pub pour parfum, où, dans un travelling souple et lumineux, la caméra de Denis Dercourt accompagne la chevauchée, sur une plage, de Marc, le héros de cette aventure à la fois équestre, musicale et amoureuse… Mais il s’avère que cette cavalcade débouche sur quelque chose de rudement sportif puisque le cavalier à la chemise immaculée va réaliser des figures équestres impressionnantes. Mais l’on va découvrir que ces images appartiennent au passé, au temps où Marc était valide. Car désormais, il vit dans un fauteuil…
Interrogé récemment aux 19e Rencontres du cinéma de Gérardmer, Denis Dercourt ne fait pas mystère du fait que son film est une commande. Y aura-t-il d’ailleurs du mal à cela? Et combien de chefs d’oeuvre de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, pour ne citer que lui, sont des commandes?
Lorsque des producteurs lui ont fait lire Sur mes quatre jambes, le récit du parcours de cavalier de Bernard Sachsé, le cinéaste s’est vite senti proche du sujet. Bernard Sachsé, devenu paraplégique, à trente ans, était cascadeur et vivait au cachet. De la même manière, Denis Dercourt l’avait fait lui-même en musique…
En équilibre est donc l’histoire d’un cascadeur. Sur un film historique, Marc incarne un soldat abattu en pleine course. Othello, son cheval, doit chuter, envoyant son cavalier au sol. Si l’homme se réceptionne bien, son cheval glisse dans la terre meuble et ses sabots viennent fracasser la colonne vertébrale de Marc. Verdict médical: la victime n’a plus aucune chance de remonter un jour à cheval.
C’est donc un homme amer mais combatif qui voit, un jour, débarquer dans sa ferme, une belle femme portant costume gris strict, chemise rayée et cheveux relevés en chignon serré. Florence est chargée par la compagnie d’assurances de s’occuper du dossier de cet homme brisé. Mais Marc qui affirme: « J’ai perdu mes jambes, pas ma tête », refuse la proposition d’une société d’assurances qui tente par tous les moyens de limiter sa responsabilité. « Depuis quand, interroge Marc, un cascadeur prend-il un risque inconsidéré? » Commence alors un bras de fer dans lequel, petit à petit, Florence va se retrouver du côté de ce Marc avec lequel elle partage le souvenir d’une passion désormais impossible pour lui, bien lointaine pour elle. Lui, c’était le cheval, elle le piano.
S’il a pris ses distances avec le récit de Sachsé, Denis Dercourt propose bien l’histoire d’un homme qui se reconstruit malgré son handicap. Et il ajoute une dimension romanesque à En équilibre avec le personnage de Florence. Celle-ci envoie son tailleur d’executive woman par-dessus les moulins de Bretagne, défait son chignon et renoue avec sa vocation de musicienne… Le réalisateur de La tourneuse de pages (2006) peut ainsi faire, avec la 12e étude de Liszt, la part belle à la musique…
Si En équilibre vaut notamment pour sa description (très documentée) des pratiques sauvages des assurances, c’est évidemment les deux comédiens qui lui procurent son charme et sa tension. Albert Dupontel apporte à Marc, homme en colère, une énergie impressionnante et même une certaine sauvagerie. Pour sa part, Cécile de France est lumineuse dans une maturité radieuse qui réveille un rêve enfui.
Denis Dercourt confiait que ses références, pour ce film d’émotion, étaient Coming Home de Hal Ashby, Sur la route de Madison de Clint Eastwood et l’admirable Brève rencontre de David Lean. Comme dans le film anglais de 1945, le couple Marc-Florence ira, chacun de son côté, poursuivre son chemin. Mais c’est bien ensemble qu’ils auront mené à bien leur trajectoire d’accomplissement personnel…
EN EQUILIBRE Comédie dramatique (France – 1h30) de Denis Dercourt avec Albert Dupontel, Cécile de France, Marie Bäumer, Patrick Mille, Vincent Furic, Mélanie Malhère. Dans les salles le 15 avril.