Perdre pied dans Los Angeles…
« Attention au tueur de chiens »… Une employée s’active avec un chiffon à tenter d’effacer cet avertissement sur la devanture d’un petit café… En attendant, en rentrant chez lui, c’est un gros écureuil, tombé de nulle part, qui s’écrase lourdement au sol devant les pieds de Sam… Un instant, on a même l’impression que la bestiole velue a fait un (ultime?) clin d’oeil à ce grand Duduche. A moins, évidemment, que Sam ait fumé de quoi voir… des écureuils morts!
Avec Under the Silver Lake, l’Américain David Robert Mitchell était, en mai dernier, en sélection officielle et en compétition au Festival de Cannes. Si on a souvent reproché à la Croisette de faire la part belle aux « fils de Cannes », Frémaux a, cette fois, trouvé un nouveau venu qui apparaît comme une valeur montante du cinéma « indé » d’outre-Atlantique. En tout cas, cette déambulation dans la Cité des anges a, au moins, le mérite de venir secouer le confort distillé par tant et tant de productions US sans goût, ni grâce.
Voici donc l’histoire de Sam, un jeune trentenaire déjà un peu voûté et à l’air plutôt fatigué. De fait, Sam rêve de célébrité. Comme beaucoup de ceux qui vivent à Los Angeles. Mais, pour l’heure, le rêve américain l’a oublié. Alors Sam se promène dans la ville au volant de sa Mustang, elle aussi un peu fatiguée. Il n’a plus d’argent et on menace de l’expulser du petit appartement qu’il occupe dans une résidence un peu décatie mais construite autour d’une piscine. Avec ses jumelles, il mate la voisine baba cool que son âge n’empêche pas de vaquer sur son balcon, les seins nus. Sam répond aussi gentiment au téléphone à sa maman qui lui recommande de regarder, le soir même à la télé, un vieux film de 1927 interprété par Janet Gaynor que la brave dame adule plus que tout. Sam promet mais rappelle aussi à sa génitrice qu’il n’a pas la télé… Mais on sonne à la porte. C’est une copine aux cheveux blonds tressés et portant un dirndl bavarois qui débarque. On comprend que la tenue est due à un casting qu’elle a passé dans le coin. Comme ils n’ont pas grand’chose d’autre à faire, les deux amis copulent tranquillement… On arrête là mais, pendant deux heures et vingt minutes, Under the Silver Lake va enchaîner ainsi les épisodes, les péripéties, les rencontres de Sam dont l’existence va basculer dans une enquête aussi obsessionnelle que surréaliste à travers Los Angeles. Tout cela parce que Sarah, la jeune, énigmatique et blonde voisine qui se baignait dans la piscine, s’est brusquement volatilisée…
Marlowe, le fameux privé cher à Raymond Chandler, qui enquêtait dans les coins riches ou pourris de Californie passe, ici, le relais à un « détective » franchement traîne-patins qui voit des complots partout dans la célèbre société du spectacle. Pour Sam, tout est désormais indices, pistes voire preuves. Pour ses investigations, il s’appuie sur l’auteur d’un… fanzine (qui donne son titre au film) qui développe le thème: Mais qu’est-ce qu’ils cachent tous? et qui s’interroge: « Tu ne crois pas que les riches en savent plus que nous? » Ah, on le sait bien, il y a des signes cabalistiques ou des messages subliminaux partout, aussi bien dans les paquets de corn-flakes, les films, les chansons que dans les breaking news des chaînes télé…
Pour son troisième long-métrage après notamment le frissonnant et horrifique It follows (2015), Mitchell propose donc un thriller décalé qui a tout du pur exercice de style à la fois philosophique, ennuyeux et… cinéphile. Philosophique parce que le cinéaste de 44 ans développe tout un discours sur une culture pop jetable comme un kleenex et surtout enjeu de manipulation des foules. Une réflexion qui culmine dans un face-à-face musclé entre Sam et un vieux pianiste flétri qui ricane de joie à l’idée que les multiples chansons à succès qu’il a produites soient exactement celles que consomment les jeunes générations. Le drame, c’est qu’au cause de sa durée, le film finit, lui, par produire un ennui pesant.
Reste le cinéma et le jeu de piste imaginé par un metteur en scène nourri au (bon) lait de quatre maîtres: Cronenberg, De Palma, Lynch et Hitchcock. On verra donc, un peu partout, des références ou des hommages à Mullholland Drive (2001) ou à La fureur de vivre (1955) lorsque Sam passe du côté du Griffith Observatory. On croise aussi des nymphettes mi-actrices, mi-escorts qui n’auraient pas déparé dans un film de De Palma. Un coup de chapeau est rendu à l’icône de Murnau dans L’Aurore (1927), Janet Gaynor lorsque Sam, au terme d’un cauchemar, se réveille devant sa tombe… Quant à Sir Alfred, il a droit à sa pierre tombale et Sam, lorsqu’il empoigne ses jumelles, fait penser au James Stewart de Fenêtre sur cour (1955). On voit aussi un extrait de How to marry a millionaire (1953) avec Lauren Bacall, Betty Grable et Marilyn Monroe qui a, de plus, droit à la reproduction à l’identique (lorsque Sarah se baigne nue dans la piscine de la résidence) de la séquence mythique de l’inachevé Something’s Got to Give (1962)…
Côté distribution, le film a enfin le mérite de nous faire découvrir une galerie de comédiens dont les têtes sont peu connues, à l’exception de Riley Keough (Sarah), la petite fille d’Elvis Presley, vue dans la série télé The Girlfriend Experience et évidemment d’Andrew Garfield omniprésent à l’écran. Il a troqué ici le teint terreux du jésuite Sebastiao Rodrigues dans le Silence (2016) de Scorsese pour la mine de papier mâché de Sam, le hipster le plus déjanté de la Cité des anges… A Cannes, le film a largement divisé les festivaliers. Ce n’est pas surprenant.
UNDER THE SILVER LAKE Comédie dramatique (USA – 2h19) de David Robert Mitchell avec Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace, Callie Fernandez, Don McManus, Jeremy Bobb, Riki Lindhome, Zosia Mamet, Patrick Fischler, Jimmi Simpson, Grace Van Patten, India Menuez. Dans les salles le 8 août.