La juge troublée et la famille bouleversée
EMOTIONS.-Juge de la Haute-Cour à Londres, Fiona Maye est régulièrement obligée de rendre des jugements qui partagent l’opinion, déclenchent des polémiques médiatiques et provoquent le désarroi de familles. Ainsi la magistrat s’apprête à rendre son verdict dans une affaire de séparation de bébés siamois, dossier douloureux car il apparaît que si l’opération chirurgicale permettra de sauver un bébé, elle entraînera fatalement la mort de l’autre nourrisson… La vie privée de Fiona Maye manque, elle, singulièrement de saveur au point que Jack, son mari, lassée d’une femme éternellement occupée par ses jugements, annonce qu’il va vivre ouvertement une aventure extra-conjugale. Cependant, cette femme, en apparence, forte va devoir se confronter à un nouveau cas difficile. Faut-il obliger un adolescent (presque majeur) issu d’une famille de Témoins de Jehovah, à recevoir la transfusion sanguine qui pourrait le sauver ? A la surprise générale et rompant avec les traditions les mieux ancrées de la justice britannique, Fiona Maye décide de lui rendre visite à l’hôpital, avant de trancher. Elle ignore que cette rencontre va bouleverser le cours des choses.
« Il y a quelques années, je me suis retrouvé à un dîner avec des juges, se souvient le cinéaste Ian McEwan. Ils abordaient différents sujets et à un moment, pour régler un point de dispute, notre hôte, Sir Alan Ward, un célèbre juge de cour d’appel, a sorti d’une étagère un ouvrage regroupant ses propres décisions. Plus tard, à l’heure du café, j’ai pu me plonger dans ce livre. Ces jugements se lisaient comme des nouvelles, avec en toile de fond des disputes, des dilemmes parfaitement résumés, des personnages très bien campés, des histoires présentées sous différents angles et, en conclusion, de la sympathie envers ceux que le jugement n’avait pas favorisé. Il ne s’agissait pas d’affaires criminelles où il faut décider si un homme est le coupable ou la victime. Rien d’aussi manichéen. C’était simplement des affaires de famille, des accidents du quotidien : des histoires d’amour, de mariage, des problèmes d’héritages mal répartis, d’enfants mal aimés, dont l’avenir faisait l’objet d’amères tractations… » Pas surprenant que le metteur en scène se soit dit qu’il tenait là une de ces histoires qui étaient de l’étoffe dont on fait les fictions.
Avec My Lady (Grande-Bretagne – 1h45. Dans les salles le 1er août), Ian McEwan, romancier et scénariste britannique reconnu, passe pour la première fois derrière la caméra. Il porte à l’écran un livre (paru en français en 2015 sous le titre L’intérêt de l’enfant) qui évoque une loi anglaise de 1989 qui a révolutionné le droit de l’enfance en plaçant l’intérêt de l’enfant au-dessus de toute considération, dans le cas d’un conflit familial. The Childern Act (en v.o.) va donc suivre la trajectoire de trois personnages, celle en creux de Jack, le mari (Stanley Tucci), de la juge et du jeune Adam, grand adolescent (Fionn Whitehead) qui découvre qu’il a été protégé de tout. Grâce à sa rencontre avec Fiona Maye, il reprend soudain vie, au propre comme au figuré. Et comme il est littéralement innocent et vulnérable, il ne sait pas contenir ses émotions. Loin du classique film de procès à l’américaine et ses débats de prétoire, My Lady se concentre sur le trouble grandissant qui envahit la juge… Le souci, c’est que My Lady glisse peu à peu vers un mélo qui pourrait être franchement lourd sans l’heureuse présence d’Emma Thompson. Grâce à sa capacité à faire affleurer les émotions sans jamais les verbaliser, la grande comédienne parvient à faire tenir My Lady jusqu’au bout. Ian McEwan a bien raison de dire que, sans Emma Thompson, le film ne se serait jamais fait.
EXISTENCES.- Pour célébrer les noces d’or de Pietro et Alba, leurs aînés, une famille italienne se réunit sur une petite île. Lorsqu’une tempête inattendue les surprend et empêche toute circulation des ferrys, tous les membres de la famille sont contraints de cohabiter pendant deux jours et deux nuits. Une cohabitation forcée qui va bientôt raviver les disputes oubliées, les vieilles rancoeurs et les conflits de tout poil. L’île paradisiaque va se transformer en véritable labyrinthe des passions.
Ils sont venus, ils sont tous là, même -probablement- ceux du sud de l’Italie… Et ils sont joyeux ou, tout du moins, font semblant de l’être. Car, sans doute, pour la plupart d’entre eux, ce déplacement est un pensum. L’un, Carlo, revient vers sa famille après avoir vécu comme un aventurier à travers le monde et avoir acquis une certaine notoriété avec des livres. Chez ses parents, Paolo est accueilli comme une « star » et surtout il va retrouver Isabelle, un amour de jeunesse, mal mariée… Carlo, l’autre fils, resté à oeuvrer dans le florissant restaurant familial, lui, se retrouve pris au piège entre son épouse très jalouse et son ex… Quant à Diego, le mari de Sara, la fille de Pietro et Alba, qui travaille elle aussi à la taverne des parents, il cache à son épouse qu’il a rendez-vous à Paris avec sa jeune maîtresse… On n’a pas de peine alors à imaginer les tensions grandissantes qui animent ce petit monde… Celui qui fait le plus pitié, c’est Riccardo, le fils de Maria, la soeur de Pietro. Luana, la jeune compagne de Riccardo, est largement enceinte et Riccardo est venu à la fête avec le secret espoir de retrouver à la taverne paternelle le petit boulot dont on l’avait naguère viré…
Si l’île sur laquelle se déroule Une famille italienne (Italie – 1h48. Dans les salles le 1er août) est imaginaire, le film a été entièrement tourné à Ischia, au large de Naples. Autour de la complexité de l’âme humaine, Gabiele Muccino voulait faire une sorte de sondage pour extraire et représenter les phases successives de l’existence, une réflexion sur la façon dont nous pouvons tous faire semblant d’être meilleurs que nous le sommes et obéir à des règles de bonne conduite qui restreignent notre champ d’action, mais seulement pendant un temps limité. Si le temps en question se prolonge et que l’imprévu survient, on entre inévitablement dans une zone sans filet où les dynamiques de façade sautent et où se révèlent des comportements relevant de notre vraie nature… Auteur en 2001 de Juste un baiser qui fut un gros succès en Italie, le cinéaste romain était parti, pendant une douzaine d’années, travailler à Hollwyood, tournant notamment A la recherche du bonheur et Sept vies avec Will Smith qui l’avait personnellement choisi après avoir vu L’ultimo bacio… De retour en Italie, Muccino retrouve nombre de comédiens avec lesquels il avait déjà tourné (Stefania Sandrelli, Stefano Accorsi, Pierfrancesco Favino, Sabrina Impacciatore) pour un film choral où l’on crie (beaucoup), où l’on pleure (pas mal), où l’on s’engueule (régulièrement) et où l’on entonne en famille des succès italiens qui réunissent, l’espace d’une chanson, tous ceux qui se prenaient la tête l’instant d’avant… Côté famille, on est loin évidemment de Affreux, sales et méchants (1976) de Scola et, côté constats d’échecs sentimentaux ou professionnels, on reverra avec bonheur La terrasse (1980) du même Scola. Mais, en ces temps de chaleur, les salles sont fraîches…