La cinéaste ravagée et la maman épuisée
TRAGEDIE.- « Tiens-moi la main… Dis-moi que tu m’aimes. Caresse-moi avec ta voix! » Au téléphone, dans la nuit, Anne tente de joindre Loïs, sa compagne qui a décidé de la quitter. Cette fois, pour de bon. Dans le Paris de l’été 1979, Anne est productrice de films pornos gays au rabais.Pour essayer de reconquérir Loïs, qui est également sa monteuse attitrée, Anne décide de tourner un film plus ambitieux que ses productions plutôt miteuses destinées aux circuits spécialisés. Pour l’occasion, elle sait qu’elle peut compter sur son complice de toujours, le flamboyant Archibald, toujours prêt à payer de sa personne dans les réalisations d’Anne. Mais l’un des acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une aventure de plus en plus étrange et de plus en plus glauque…
Présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, Un couteau dans le coeur (France – 1h42. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 27 juin), second long-métrage de Yann Gonzalez après Les rencontres d’après minuit (2013), est surtout un film qui revendique une dimension radicale et excessive. C’est à travers le Dictionnaire des longs métrages français pornographiques et érotiques (2011) rédigé par Christophe Bier que le quadragénaire niçois entend parler d’une productrice française de porno gay dans les années 70, tempétueuse, alcoolique, homosexuelle, amoureuse de sa monteuse. Une figure haute en couleurs, réputée pour être dure, imprévisible, faisant passer des castings humiliants à ses acteurs… Comme Conzalez voulait rompre avec la douceur ouatée de son premier « long », il a trouvé là, matière à quelque chose de plus urbain, de plus électrique… De l’enquête menée sur ce personnage par le cinéaste, ressort quelque chose d’un peu glauque. Mais Gonzalez préfère opter pour une dimension plus flamboyante, plus romantique en réinventant une héroïne underground de fiction qu’il a confié à une Vanessa Paradis qui a ressenti, dit-elle, le personnage d’Anne, blonde péroxydée tragiquement au bout du rouleau, comme une « évidence absolue ». Yann Gonzalez qui, dans une interview, disait « vouloir faire table rase du réel tel qu’on l’entend dans le cinéma français aujourd’hui : l’obsession du quotidien, des faits de société et de ‘la vie telle qu’elle est’… » propose donc une sombre romance érotico-meurtrière où l’héroïne s’abîme entre son désir de cinéma, la gestion du tournage du Tueur homo et sa flamme pour une amante qui lui revient et lui échappe sans cesse.
Résolu à tourner le dos à tout naturalisme, Yvan Gonzalez convoque de grands cinéastes (le Fassbinder de Querelle, le De Palma voyeuriste de beaucoup de ses films mais aussi Werner Schroeter ou Paul Vecchiali) et fait la part belle à des genres aimés, essentiellement le cinéma d’horreur italien des seventies, le fameux giallo où se distinguèrent Dario Argento et Mario Bava… Si on a un peu de mal à s’attacher à l’intrigue et aux méfaits sauvages d’un tueur masqué, on observe par contre, avec curiosité, une galerie de comédiens comme on en voit pas souvent dans la production « classique » française. Avec, en prime, des guest-stars comme Jacques Nolot, Florence Giorgetti, Yann Colette, Elina Löwensohn et Romane Bohringer dont la présence, dit le cinéaste, « est liée au culte absolu que, comme tout petit pédé de province, je vouais aux Nuits fauves… » Film violent aux couleurs flashy et à la musique ravageuse, Un couteau dans le coeur, parcouru par une dynamique érotique plus que véritablement pornographique (aucune image frontale, ici) entend retrouver la pulsion première du cinéma (qui est ontologiquement érotique pour Gonzalez) dans une époque de régression et de puritanisme. Pour cela, peut-être, d’aucuns iront le voir. Et on ne les blâmera pas vraiment.
MERE.- « Je me sens comme une barge à ordures ». Voilà qui est dit. La petite quarantaine fatiguée, Marlo attend son troisième enfant et tente de faire face à une vie de famille épuisante entre une fillette ingrate et un petit Jonah que son école qualifie de « singulier » pour ne pas employer le terme autiste. Et lorsqu’elle accouche, ce n’est pas mieux. Entre son corps, malmené par les grossesses, qu’elle ne reconnaît plus, les nuits sans sommeil, les repas à préparer, les lessives incessantes et les deux aînés qui ne lui laissent aucun répit, elle est carrément au bout du rouleau et sait confusément qu’elle doit définitivement faire le deuil de ses 20 ans. Un soir, son frère lui propose de lui offrir, comme cadeau de naissance, une nounou de nuit. D’abord réticente (elle a vu trop de films où la « gentille » nounou finit par massacrer toute une famille), Marlo finit par accepter. Du jour au lendemain, sa vie va changer avec l’arrivée de Tully…
C’est en vivant la même expérience de maternité que son personnage que la scénariste oscarisée Diablo Cody (elle a notamment signé ceux de Juno et Young Adult) a eu l’idée de Tully (USA – 1h36. Dans les salles le 27 juin), une agréable comédie dramatique en forme de portrait d’une mère au bord de la crise de nerfs. On l’a dit, Marlo ne semble jamais voir le bout du tunnel des couches, des cris dans la nuit et des têtées, la tête dans le colletard. Jason Reitman, le réalisateur de Tully, ajoute volontiers une solide couche de baby-blues et on assiste ainsi, avec un poil de commisération, à une véritable tragédie en forme d’expérience maternelle hyperréaliste. D’autant plus que la pauvre Marlo ne peut trop compter sur son entourage. Du côté de l’école de Jonah, on botte joliment en touche lorsqu’il s’agit de garder le gamin dans ses rangs et Marlo ne peut trop s’appuyer sur un mari stressé par son boulot qui, la nuit, dans le lit conjugal, préfère mettre un casque sur les oreilles pour abattre des zombies sur sa tablette.
Alors, évidemment, cette Tully (Mackenzie Davis, vue naguère dans Blade Runner 2049) qui déboule, la nuit venue, avec son joli sourire craquant de presqu’encore adolescente et qui sait comme personne mettre de l’ordre dans la maison, réussir des cookies et surtout faire cesser les hurlements du nouveau-né, apparaît comme une bénédiction. Réalisateur de Juno, Young Adult avec déjà Charlize Theron ou In the Air, Reitman mène tranquillement et habilement sa barque en sachant pouvoir s’appuyer sur une Charlize Théron, 42 ans, à la silhouette pesante mal fagotée et aux traits flapis. L’égérie de J’adore de Dior réussit l’une de ces performances comme les aiment les Oscars. On verra en son temps.
Marlo qui observe, pathétique: « Mon corps ressemble à la carte d’un pays en guerre », trouvera donc un vrai réconfort avec Tully à laquelle elle avoue: « Je n’ai pas l’habitude qu’on s’occupe de moi ». Justement, Tully, en Mary Poppins contemporaine, va s’occuper autant du bébé que de sa maman et amener cette dernière à être à nouveau en paix avec elle-même. Alors que Tully s’achemine vers son épilogue et qu’on a, au-delà même des émotions distillées, un peu l’impression que le film est parti en roue libre, Jason Reitman propose une surprenante réflexion sur la double identité de Marlo… On a alors le sentiment d’avoir vu deux films, comme s’ils étaient superposés l’un sur l’autre… En devenant parent, un chapitre se referme et un autre s’ouvre. Et si, soudain, la personne que vous étiez venait vous rendre visite pour vous dire au revoir ?