Ronit, Esti, Bécassine, Nisha et Juliet
TRIO.- Dans sa synagogue de Londres, le rabbin Rav Krushka prêche et évoque la création de l’homme, suspendu entre la clarté des anges et le désir des bêtes… Soudain, le vieil homme s’effondre… Très loin de là, dans un studio de Manhattan, sa fille Ronit oeuvre comme photographe et capte les images de personnes tatouées. Ainsi, cet homme auquel Ronit demande si les tatouages ont été douloureux et celui-ci de répondre, en montrant un Christ sur son torse: « Jésus m’a fait mal ». Informée de la mort de son père, Ronit, éplorée, décide de quitter New York pour retourner à Londres. Mais l’accueil de la communauté ne sera pas des plus chaleureux. Ronit est cependant reçue dans la maison du rabbin Dovid Kuperman et de son épouse Esti qui furent ses amis d’enfance. Lisant, dans un journal, que le rabbi Rav est mort sans laisser de descendance, Ronit, qui s’apprêtait à tourner le dos à son passé, décide de rester sur place durant la semaine de deuil qui précède la grande cérémonie d’adieu pour son père. Mais si Ronit, qui a rompu avec l’orthodoxie juive et ses traditions, demeure à Londres, c’est aussi à cause de ses anciens sentiments amoureux pour Esti. Les retrouvailles entre les deux amies font renaître une passion qui ne s’est jamais éteinte.
Récemment couronné à Hollywood de l’Oscar du meilleur film étranger pour Une femme fantastique, le cinéaste chilien Sebastian Lelio met en scène, avec Désobéissance (USA – 1h54. Dans les salles le 13 juin), un beau drame amoureux entre Ronit, femme moderne et insoumise et Esti, demeurée au sein de sa communauté mais qui a fui sa véritable identité. En informant secrètement Ronit de la mort de son père, Esti va permettre à Ronit de renouer avec ses origines mais cette femme réfugiée derrière sa perruque et passée maître de l’art de la dissimulation, va surtout provoquer son propre destin, consciente qu’elle tient probablement là sa dernière chance de vivre enfin selon ses désirs. Echappant toujours aux pièges du mélo, Désobéissance fonctionne aussi comme un trio amoureux puisqu’il intègre l’intéressant personnage de Dov Kuperman (l’Américain Alessandro Nivola), jeune rabbin, fils spirituel et successeur naturel de Rav Krushka, époux d’Est et ami de Ronit, pris entre sa forte piété religieuse, son amour pour son épouse, sa rivalité avec Ronit et la conscience naissante que l’être humain a le droit d’être libre de ses choix. Dans un environnement pétri de dogmes, le cinéaste filme donc le réveil d’une passion entre deux femmes déboussolées et qui ont déjà payé le prix fort dans ou hors de leur communauté. Tour à tour rebelles et fragiles, décidées et troublées, Rachel Weisz (Ronit) et Rachel McAdams (Esti) sont magnifiques de complexité, de gravité, de fougue et de grâce.
NOURRICE.- Bécassine naît dans une modeste ferme bretonne, un jour où des bécasses survolent le village. Devenue adulte, sa naïveté d’enfant reste intacte. Elle rêve de quitter Clocher-les-Bécasses et de rejoindre Paris. Sur la route de la capitale, sa rencontre avec Loulotte, petit bébé adopté par la Marquise de Grand‐Air va bouleverser son existence. Elle en devient la nourrice et une grande complicité s’installe entre elles. Un souffle joyeux règne alors dans le château. Mais pour combien de temps encore? Car les dettes s’accumulent et l’arrivée d’un curieux marionnettiste grec ne va rien arranger. Mais c’est sans compter sur Bécassine qui va prouver une nouvelle fois qu’elle est la femme de la situation.
Après tant d’autres personnages de bandes dessinées devenus des héros de cinéma, il fallait bien que Bécassine passe aussi par la case grand écran. C’est donc chose faite grâce à Bruno Podalydès . Et on a envie de dire… heureusement que c’est Podalydès qui est, ici, aux manettes! Car le réalisateur possède un véritable univers où l’humour souvent loufoque se mêle à une certaine poésie teintée de nostalgie comme en attestent Liberté Oléron (2001), Adieu Berthe, l’enterrement de Mémé (2012) ou Comme un avion (2015). Le personnage créé en 1913 par Caumery et Pinchon s’intègre avec aisance dans le petit monde de Podalydès qui s’applique à montrer une Bécassine beaucoup moins neu-neu que le veut la légende. Mieux que cela, la généreuse Bécassine se révèle certes naïve mais spontanée, sincère, créative et inventive, élaborant quelques systèmes domestiques qui lui vaudront même une notoriété américaine.
Multipliant les péripéties autour de la nounou en vert-blanc-rouge qu’Emeline Bayart incarne avec drôlerie et tendresse, Bécassine! (France – 1h42. Dans les salles le 20 juin) va gentiment son petit bonhomme de chemin. Podalydès n’affole jamais sa caméra mais distille un humour charmant. Il prête attention à chacun de ses personnages et les confie à des comédiens avec lesquels il travaille régulièrement. Ainsi son frère Denis, présent dans tous ses films, campe un Adalbert Proey-Minans bien coincé, Michel Vuillermoz est un oncle Corentin qui veillera à l’éducation de Bécassine et Karin Viard une Marquise de Grand-Air libérée et dépensière… Le cinéaste s’est gardé Rastaquoueros, l’escroc escamoteur. Autour d’eux, il y a encore Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté, Philippe Uchan, Vimala Pons, Claude Perron et même Josiane Balasko en irascible Mademoiselle Châtaigne. Il suffit de garder une âme d’enfant pour prendre plaisir à cette comédie.
CALVAIRE.- A 16 ans, Nisha est une adolescente comme les autres… lorsqu’elle est, avec ses copains, dans les rues neigeuses d’une petite ville de Norvège. Lorsqu’elle rentre chez elle, ce sont les pesanteurs des traditions de ses parents pakistanais qui s’imposent à elle. Mirza, le père, tient une supérette. La mère s’occupe de la maison tandis qu’Asif, le frère aîné, rêve de faire des études de médecine. Un soir, un rouquin petit ami escalade la façade de la maison et se glisse dans la chambre de Nisha. Lorsque Mirza entre dans la pièce pour vérifier que sa fille dort, c’est le drame. Le père frappe le jeune Norvégien et s’emporte contre sa fille. Prise en charge par les services sociaux, celle-ci trouvera provisoirement refuge dans un foyer. Mais Nisha préfère pourtant retourner dans sa famille. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est que ses parents ont décidé de l’envoyer vivre au Pakistan, dans la famille de la soeur de Mirza…
En 1952, Georges Brassens chantait La mauvaise réputation et brossait le portrait d’un robuste anticonformiste. Dans son second long-métrage, c’est exactement la situation inverse que décrit Hiram Haq. La famille de Nisha est issue d’une culture obsédée par l’avis des autres et où la tradition et le sens de l’honneur sont prédominants. Hva vil folk si, le titre original de La mauvaise réputation (Norvège – 1h47. Dans les salles le 6 juin) signifie, en urdu, « Que vont dire les gens? » Pour raconter le calvaire de Nisha, la cinéaste s’est largement inspirée de sa propre histoire. En effet, alors qu’elle avait 14 ans, ses parents l’ont kidnappée et emmenée au Pakistan, où elle a été contrainte de vivre durant un an et demi. Il a fallu du temps à Hiram Haq pour franchir le pas du cinéma. C’est à la suite de la réconciliation avec son père mourant que la cinéaste s’est senti prête à raconter l’aventure de Nisha (la débutante Maria Mozhdah dont le regard terrifié impressionne) qui est donc aussi la sienne. Son souci était de montrer que l’héroïne n’est pas uniquement la victime de ses parents mais de faire ressentir également un amour impossible qui peut exister entre des parents et leur fille. Mais l’issue de La mauvaise réputation, autour d’un mariage arrangé, n’est pas heureuse, tant le fossé qui sépare leurs deux cultures apparaît très profond. Une oeuvre féministe dont le discours atteint clairement le spectateur.
PAGES.- Dans le Londres de 1946 fracassé par les bombes, la population tente de revivre normalement. Même si elle a déjà connu le succès, la jeune écrivaine Juliet Ashton est pourtant en manque d’inspiration. Et son éditeur aimerait beaucoup qu’elle se remette à écrire. Un jour, l’élégante Juliet reçoit une lettre d’un mystérieux membre du Club de Littérature de Guernesey créé durant l’Occupation allemande. Intriguée et curieuse d’en savoir plus, la jeune femme se rend sur l’île et rencontre alors les excentriques et attachants membres du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates dont Dawsey Adams, le fermier à l’origine de la lettre. Les confidences des membres du Cercle, leur attachement à l’île et à ses habitants mais aussi l’affection naissante de Juliet pour le charmant Dawsey vont changer le cours de la vie de l’écrivaine. D’autant qu’un lourd secret lié à la tragédie de la guerre dans cette île anglo-normande va peu à peu émerger…
Publié aux Etats-Unis en 2008 (et l’année suivante en France chez NiL éditions), Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, fiction historique épistolaire écrite par Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, a connu un succès considérable et a inspiré la création de nombreux clubs de lecture. Très logiquement, ce best-seller devait connaître une adaptation cinématographique. C’est le Britannique Mike Newell qui s’est chargé de la chose. Le réalisateur de Quatre mariages et un enterrement (1994) ou de Harry Potter et la coupe de feu, quatrième volet de la saga de J.K Rowling sur grand écran, signe, avec Le cercle littéraire de Guernesey (Grande-Bretagne – 2h04. Dans les salles le 13 juin), une aventure romantico-mystérieuse qui peine, hélas, à convaincre. On suit bien sûr Juliet Ashton (Lily James) dans sa « conquête » de Guernesey mais les situations dépeintes par Newell sont un peu trop « jolies », bucoliques et poétiques pour qu’on s’y attache. Il est question, ici, de survie pendant la guerre lorsque le minimum vient à manquer et qu’une tourte aux épluchures de papates devient une gourmandise mais, évidemment, aussi de survie intellectuelle à travers la consommation sans modération de littérature. Pour le reste, on ne croit guère aux différentes romances… On reconnaît avec plaisir dans le rôle d’Eben Ramsay, Sir Tom Courtenay, 81 ans, grande figure du théâtre et du cinéma anglais.